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Euler Hermes : Faudra-t-il un deuxième plan Maroc vert ?

La compétitivité du Maroc suscite un examen critique des différents types d’indicateurs. Entretien avec Stéphane Colliac, économiste sénior Afrique chez Euler Hermes.

 

La croissance de la productivité agricole avait permis une forte accélération de la production. Ce facteur devrait s’essouffler. Pourquoi ?

Ce facteur s’est malheureusement déjà essoufflé. Avec la mécanisation croissante et la montée en compétence de la main d’œuvre, le Maroc a bénéficié d’une croissance élevée de sa production agricole. Mais cela n’est plus vrai depuis quelques années. Faudra-t-il un deuxième plan Maroc vert ? En tout cas, le fait que le gouvernement y songe montre que la problématique est bien réelle. On peut imaginer des mesures pour à nouveau accroitre la productivité agricole. Il faudrait, toutefois, aussi songer à un meilleur accompagnement de ces mesures. La hausse de la productivité a tendance à détruire de l’emploi agricole. Il faut donc créer suffisamment d’emplois dans d’autres secteurs pour donner des emplois à tous les Marocains. On peut dire que ce n’est pas ce qui s’est passé jusqu’ici, avec un chômage toujours proche de 10% de la population active. En la matière, l’éducation devra être une priorité, mais également le raccourcissement des délais de paiement, car des entreprises qui disparaissent trop vite manquent d’évidence à l’appel de la création d’emplois.

Le Maroc devrait bénéficier de la 5e croissance du continent en termes d’exportations (50 milliards de dollars) d’ici à 2030. Quels sont les secteurs derrière cette performance ?

Cette croissance signifierait un triplement des exportations marocaines par rapport à 2017. Celle-ci interviendrait dans un monde idéal, où la zone de libre-échange continentale africaine entrerait en vigueur dans l’ensemble de l’Afrique et s’accompagnerait de réformes favorables aux entreprises dans une grande majorité de pays. Elle irait également de pair avec un financement adéquat de ce commerce additionnel. Autant dire que les défis sont grands et que la réussite n’est pas une certitude. Toutefois, on peut imaginer dans un tel monde idéal que le Maroc pourrait bénéficier de sa spécialisation industrielle pour vendre davantage d’automobiles, de biens pharmaceutiques et de biens électriques en Afrique. Pour le moment, les débouchés de ces biens restent européens, le commerce en Afrique restant entravé par un fort protectionnisme, avec notamment des initiatives prises en ce sens en Égypte il y a deux ans et en Algérie en 2018.

La stabilité du dirham était la crainte, mais ce n’est finalement pas le problème. Son appréciation pourrait nourrir une problématique de compétitivité. Comment?

Le Maroc n’est pas devenu la zone euro parce qu’il produit un nombre croissant de ses voitures et que sa monnaie est ancrée en partie à l’euro. Un taux de change élevé ne reflète pas la situation de l’économie. Elle a tendance à faire perdre de la compétitivité au pays dans ses secteurs traditionnels d’exportations (agroalimentaire, textile), alors même que les nouveaux secteurs peinent à créer suffisamment d’emplois pour couvrir la croissance de la population. Il ne faut pas oublier que les stratégies gagnantes en termes d’ouverture se sont accompagnées de taux de change faibles, comme en Chine ou en Corée. La clé ici est de laisser la devise se sous-évaluer sans donner l’impression qu’elle se déprécie trop fortement, ce qui serait mal perçu par les Marocains.

Quel bilan d’étape dressez-vous depuis la mise en place de la flexibilité du taux de change?

Lorsqu’on voit ce qui s’est passé depuis juillet 2017, on a du mal à croire que cette flexibilisation a été précédée d’autant d’inquiétudes. Le dirham est finalement très stable. Mais cette stabilité est-elle si avantageuse ? À l’évidence, elle rassure. Mais avoir un dirham stable contre son panier euro-dollar, c’est aussi avoir un dirham qui s’apprécie contre l’ensemble des devises émergentes. À notre sens, tolérer une plus grande variabilité ne serait pas nécessairement une mauvaise décision. Surtout, l’univers douillet actuel retarde le développement de couvertures de change efficaces, ce qui pourrait dans le futur devenir préjudiciable au Maroc. Le risque de change peut soudainement croitre, et sans prévenir. Il est donc important de développer des outils de couverture des risques en amont, ce qui n’est possible que si les opérateurs ressentent ce risque.

Un environnement qui n’est pas nécessairement favorable à une montée en gamme de l’industrie. Le terreau n’est pas totalement favorable à la digitalisation de l’économie. Pourquoi?

Le Maroc est parvenu à développer une industrie exportatrice dans des secteurs aussi marquants que l’automobile, la pharmacie ou l’aéronautique, avec des développements dont le Royaume devrait encore bénéficier pendant quelques années. Toutefois, ce que nous disons, c’est que de tels succès sont réversibles. Le niveau de gamme, plutôt bas, dans lequel se situe pour le moment l’industrie marocaine est un créneau très concurrencé. En conséquence, il importe de suivre les transformations de l’industrie, afin de rester une terre d’expansion. À ce titre, nous notons un certain retard puisque le Maroc est 77e du classement Euler Hermes d’habilité au digital. L’investissement en capital physique en est une raison (le nombre de robots par habitant par exemple), mais l’éducation en est une autre. Le système éducatif marocain, outre ses nombreux retards, ne prépare pas très bien au digital.

S’agissant des défaillances d’entreprises, comment expliquez-vous la baisse de 3% en 2018 et la hausse de 4% en 2019 ?

Il faut garder en mémoire que l’année 2018 avait débuté par une forte baisse des défaillances d’entreprises, si on considère les données d’Inforisk. Or, on observe que cette tendance s’est renversée à partir du 2e trimestre. La baisse de -3% envisagée en 2018 masque ainsi une importante variabilité infra-annuelle. À partir du 2e trimestre, le ralentissement notable de la croissance économique a entrainé un rebond qui restera la norme de 2019. Avec une hausse de +4%, le record de fin 2017 sera ainsi battu. La cause principale, on la connait, reste des délais de paiement qui restent longs (83 jours) et qui font échouer les business models de nombre de start-ups marocaines, amputant d’autant la croissance du pays.

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