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En quête d’une politique maritime marocaine consensuelle!

Professeur Mustapha EL KHAYAT

Président de l’AMLOG

A l’aune de la sortie officielle tant attendue du rapport de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement, EL KHAYAT propose à la rédaction de redonner vie à un de ses vieux articles qui date de près de 10 ans. A bon entendeur !

Nul besoin d’insister sur l’importance des transports maritimes dans l’économie marocaine. Le commerce extérieur marocain est exclusivement maritime. En effet, plus de 95% du commerce extérieur est maritime. Cette dépendance naturelle vis –à-vis du vecteur maritime doit normalement se traduire par une véritable politique maritime. Cette politique maritime a connu des mouvements cycliques: politique timide au début de l’après indépendance ( 1956-1972), suivie par une politique de promotion du pavillon à partir des années soixante dix( 1972-1982), puis politique de moins d’Etat amorcée à partir du milieu des années quatre vingt ( 1984-2002) et enfin politique de libéralisation et privatisation ( 2003-2011) qui s’est soldée par l’anéantissement graduel des avantages acquis et la liquidation des armements publics à savoir la COMANAV, MARPHOCEAN,

I. Aperçu sur le développement de la flotte marocaine: raisons et conséquences du déclin:

Le déclin de la flotte marocaine est dû à plusieurs variables: cessation à partir de 1984 des aides de l’Etat au développement de la flotte sous pavillon national, concurrence acharnée sur les marchés maritimes, émergences des méga –carriers en nombre réduit qui envahissent les marchés traditionnels de la flotte marocaine, adhésion du Maroc aux Zones de Libre échange, etc. En outre, le déclin de la flotte marocaine est dû aussi à la mauvaise gestion, au comportement de certains armateurs qui se sont intéressés au secteur maritime pendant la période des aides financières substantielles de l’Etat et du protectionnisme maritime (code de conduite des conférences, accords bilatéraux de partage de trafic. etc.)et qui sont sortis du secteur par la suite. Une fois que les aides diverses de l’Etat et la protection du pavillon ont cessé, la flotte marocaine est entrée dans une crise profonde: diminution de la flotte en nombre et en tonnage: cessions et vente de navires appartenant à des armements publics et privés, car non rentables, surdimensionnés ou vieux et qu’il fallait liquider dans le cadre de l’assainissement financier et de la restructuration des entreprises de transport maritime en difficulté ou en faillite.. Pendant la crise du secteur maritime marocain la COMANAV et MARPHOCEAN ont perdu une très grande partie de leur flotte, suite à une gestion déficiente, un gaspillage des deniers publics et une dilapidation des compétences.

II.Existe-t-il vraiment une nouvelle politique maritime marocaine?

La marine marchande marocaine qui est le régulateur et le soutien du secteur transport maritime était attachée à plusieurs ministères depuis l’indépendance . Cette institution stratégique n’a cessé de transiter par plusieurs ministères dont aucun ne disposait du temps et des compétences pour traiter en temps opportun les problèmes du secteur maritime. Depuis 1998 la marine marchande est devenue une partie du Ministère de l’Equipement et des transports. Depuis lors la politique maritime s’est soldée par une marginalisation de la flotte marocaine au profit des opérateurs globaux du secteur maritime. Les transports maritimes se trouvent relégués au second plan par rapport au secteur portuaire (une culture du tout équipement au détriment du vecteur stratégique qui est l’armement national).2

III.Le Maroc a-t-il vraiment besoin d’une flotte sous son pavillon?

Cette question a été mise en avant depuis 1998. Le Maroc ne devrait pas être considéré comme un pays purement chargeur et pourtant on se contente de recourir à des transporteurs étrangers à coût de fret compétitif.Les défenseurs de cette politique avancent que la concurrence entre fournisseurs étrangers permet aux produits marocains d’être acheminés au coût de fret optimal. La compétitivité des produits marocains sur les marchés étrangers serait dépendante d’une maîtrise de la chaîne logistique et donc des transports maritimes (la flotte marocaine ou celle contrôlée par des opérateurs marocains). Notons aussi que l’expérience acquise pendant plus de quarante ans dans la domaine maritime a permis de constituer un noyau de compétences qu’il serait regrettable de réduire à néant par une politique de tout libéralisation à outrance et de privatisation brutale et non mesurée. Certaines formes de libéralisation maritime pourraient être trop brutales et conduire à la disparition totale du secteur maritime marocain. La privatisation de la COMANAV est un premier pas dans cette direction Après son rachat, les investisseurs n’en ont gardé que le fonds de commerce.Une telle politique de privatisation est donc inutile si elle se solde par la disparition irrémédiable du secteur maritime. N’est il pas logique pour un pays premier exportateur de phosphate de posséder une flotte compétitive de vraquiers, et des transporteurs d’acide phosphorique? N’est il pas stratégique pour un pays importateur net d’hydrocarbures d’en maîtriser le transport? N’oublions pas de souligner avec force qu’une flotte bien gérée, flexible (économies d’échelle, flexibilité d’affectation des navires: passage d’un marché à un autre selon la conjoncture, les saisons, les trafics tiers, etc.), à l’écoute des opérateurs nationaux ou locaux serait un appui à la compétitivité des échanges extérieurs marocains et une source de gains et / ou économies de devises.

IV.Les chargeurs marocains maîtrisent ils le vecteur transport maritime?

Les chargeurs marocains malheureusement n’ont aucune maîtrise de la chaine logistique internationale dans laquelle la partie maritime occupe une place stratégique. Ils n’ont aucune maîtrise du transport et malheureusement acceptent les Incoterms qui laissent aux partenaires étrangers la maîtrise de la chaîne logistique et en particulier la phase maritime. Le souci des chargeurs est le renforcement de la compétitivité du commerce extérieur marocain. Cette compétitivité n’est pas liée seulement à la qualité du produit marocain et au choix des meilleurs fournisseurs (pour l’import), mais englobe toute la chaîne logistique de l’approvisionnement à la distribution. Au vu de l’ouverture à la concurrence du secteur maritime avec la pénétration en profondeur des méga carriers et la non maîtrise du transport maritime, les chargeurs centrent malheureusement leurs critiques seulement sur les questions certes importantes, du passage portuaire.

V.L’environnement institutionnel est-il favorable au développement de la flotte marocaine?

Le droit applicable au domaine maritime est constitué par des textes datant du 31 mars 1919. Ces textes ne sont plus adaptés au secteur maritime de ce siècle. Ils ne permettent pas à l’armement marocain d’être flexible au niveau de la nationalité des navires,du financement des navires (leasing, affrètement coque nue, etc.) et de la gestion des gens de mer.Ces obstacles juridiques sont de véritables barrières pour le développement du secteur maritime marocain. La Marine Marchande marocaine en tant que responsable institutionnel de la flotte marocaine et des affaires maritimes souffre du manque d’une vision d’avenir sur le secteur et d’une véritable autonomie de prise de décision. A cette faiblesse il faut ajouter le manque de ressources humaines de haut niveau pour répondre au défi du monde maritime actuel.3

VII.Fiscalité,financement et recrutement des gens de mer:

Les armateurs marocains(ceux qui existent encore) sont en crise. Ils n’ont plus de place sur le trafic tiers. Ils se sont repliés sur le trafic national. Même à ce niveau, leurs parts sont réduites par la concurrence directe des méga carriers (Maersk, CMA-CGM, armateurs espagnols, etc.). Ils souffrent d’une concurrence déloyale des armements étrangers qui immatriculent leurs navires sous pavillon de complaisance ou pavillon bi. Ces pavillons leurs permettent de bénéficier d’avantages fiscaux (Taxes sur le tonnage et non sur les résultats de l’armement). et de jouir de larges facilités de financement (leasingpar le biais des paradis fiscaux et marchés financiers offshore). Au Maroc les armateurs sont traités comme toute entreprise sans que l’on tienne compte de leurs spécificités (marchés maritimes mondiaux ouverts à la pleine concurrence). Ils éprouvent également des difficultés pour trouver des sources de financement international du fait de leur soumission au droit maritime marocain de 1919 et des conditions de financement draconiennes imposées par les banques marocaines (garanties basées sur d’autres actifs que les navires,plus des taux d’intérêts élevés). Enfin, les armateurs marocains n’ont pas la souplesse de leurs concurrents, en particulier les méga carriers en ce qui concerne le recrutement et la gestion des gens de mer. Ils sont soumis au droit marocain avec toutes ses contraintes et coûts en ce qui concerne le personnel navigant.

VIII. Quels enseignements peut-on tirer de la réussite des pays asiatiques et du Brésil qui ont réussi à maitriser la filière maritime?

La maitrise du vecteur maritime constitue l’élément clé de la réussite des pays émergents (Asiatiques et Brésil). Il convient de noter que les pays asiatiques ayant un secteur maritime développé sont importateurs nets de matières premières. Dans ces pays, la maitrise du vecteur maritime fait partie d’une expérience d’industrialisation relativement longue, associée à des progrès dans les domaines agricoles, de la formation, ….et bénéficiant d’une intervention omniprésente de l’Etat. Ces pays ont même dépassé le cadre de la maitrise des transports maritimes pour intégrer la filière maritime dans sa globalité (technologie navale, génie portuaire, etc.). Ce sont les politiques, en particulier d’intégration dans l’économie mondiale, qui déterminent, dans une certaine mesure, la réussite ou l’échec des stratégies d’entrée. L’intégration dans l’économie mondiale s’effectue de façon conflictuelle, avec des barrières à l’entrée et à la libre circulation. Dans ce contexte, les pays asiatiques et le Brésil ont choisi des politiques d’ouverture sélectives. Il faut aussi noter que l’entrée réussie de ces pays dans les activités maritimes a été également facilitée par une dynamique externe: mondialisation du capital, crise des pays occidentaux depuis les années 70 dans les filières maritimes, et une dynamique interne: politiques maritimes en profondeur insérées dans des stratégies d’industrialisation intelligentes. A l’inverse, l’entrée du Maroc dans les industries de transport maritime a été un demi-échec. Il a fondé en partie de ses stratégies sur le mythe d’un Nouvel Ordre Economique International (NOEI). Aujourd’hui, les certitudes sur lesquelles se fondait ce NOEI ont disparu. Le Maroc ne parvient plus presque à maitriser les marchés de ses exportations traditionnelles, et sa part déjà très modeste dans le tonnage de la flotte mondiale ne fait que s’amenuiser. La revendication d’un Nouvel Ordre Maritime International (NOMI) (code de conduite des conférences, régulation des pavillons de libre immatriculation, Règles de Hambourg, etc.), s’est avérée n’être qu’un mirage. La crise maritime marocaine est une crise profonde, une crise d’involution qui risque de conduire le Maroc au retrait de l’économie maritime mondiale.4

IX. Que faire?

L’enseignement à tirer des pays asiatiques et du Brésil, c’est d’avoir avant tout un Etat fort ayant un souci de bonne gouvernance de la chose publique.Ceci nécessite un consensus entre armateurs, opérateurs maritimes et Etat. Le secteur maritime se développe dans des Etats solides et économiquement agressifs. La maitrise du vecteur maritime ne peut être envisagée en dehors d’une politique économique clairvoyante et animée par une volonté de projet maritime consensuel. Le vecteur maritime ne peut être détaché d’une industrialisation en profondeur dans un univers complexe où plusieurs éléments sont interdépendants. Le Maroc ne peut envisager son avenir que par une maîtrise des industries innovantes parmi lesquelles la filière maritime constitue un complexe industriel à maitriser.

X. Comment? Par une nouvelle politique maritime consensuelle

Pour sauver et construire sur des bases solides une flotte marocaine, il faut opter pour une stratégie qui combine les actions des armements privés et / ou publics et de l’Etat.Pour schématiser cette stratégie,il faut d’une part définir le rôle des armateurs et d’autre part le rôle de l’Etat.

Le rôle des armateurs: Ils doivent avoir la culture des affaires maritimes, centrer leurs efforts sur la valorisation des navires pour la recherche continuelle de la qualité de service, avoir une politique de maîtrise dela chaine de transport pour répondre aux besoins croissants des chargeurs. Par ailleurs il leur faut garder présent à l’esprit la recherche de l’innovation qui nécessite de l’audace et de l’imagination dans les stratégies maritimes. Enfin,ils doivent mener une gestion consensuelle avec les instances publiques à savoir le gouvernement.

Le rôle de l’Etat: avec les nouvelles tendances de l’économie mondiale l’Etat doit avoir une politique globale dans les secteurs connexes du vecteur transport maritime: promotion des exportations, aménagement industrialo portuaire, politique portuaire et multimodale, politique de la filière maritime dans toutes ses composantes: construction et réparation navales, etc. Il faut que la politique maritime de l’Etat soit exprimée par un libéralisme éclairé et / ou un protectionnisme vertueux. Last but not least, l’Etat doit mener des actions concertées avec les armateurs marocains afin de les aider à s’adapter et à maitriser les mécanismes du marché maritime très complexes et fluctuants. L’Etat doit créer une nouvelle Marine Marchande Nationale à l’écoute des opérateurs maritimes en optant pour une stratégie d’intelligence économique par la création d’un Observatoire National des Transports Maritimes et d’un Cluster Maritime pour permettre au Maroc de maîtriser la filière maritime dans toutes ses compos

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