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Comptes en devises au Maroc : une exception mondiale à repenser

Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes

Lors des précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises.

Les explications fournies par l’économiste avaient une double portée : descriptive et analytique.

La portée descriptive réside dans la présentation des dispositions pratiques de la règlementation des changes relative aux comptes en devises.

Quant à la portée analytique, elle réside d’une part, dans la présentation « du rationnel » régissant les dispositions précitées, et d’autre part, dans l’application de ce « rationnel » à ces dispositions.

Cette application a permis, d’une part, de relever de multiples imperfections entachant les dispositions de la règlementation des changes relatives aux divers comptes en devises, et d’autre part, de faire émettre des propositions pratiques pour remédier aux imperfections précitées.

Le présent entretien sera consacré à la présentation de la synthèse des propositions précitées.

Vous avez lors des précédents entretiens opéré un diagnostic profond des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises des résidents. Vous avez ainsi à l’aune de ce diagnostic émis un ensemble de propositions pour réformer ces dispositions. Pourriez-vous nous présenter une synthèse de ces propositions.

Comme il est souligné en préambule à cet entretien, les dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises soulèvent de multiples remarques.

Ces remarques peuvent être scindées en deux catégories : celles de forme et celles de fond.

En matière de forme, la principale observation concerne le caractère pléthorique des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises :  16 régimes ce qui  constitue   un cas unique dans le monde.

En matière de fond, la principale observation concerne le caractère impertinent sur le plan économique de bon nombre de dispositions régissant les comptes en devises.

Pour remédier à ces insuffisances, plusieurs propositions ont été émises lors des précédents entretiens. Ces propositions suggèrent d’opérer une transition du cadre actuel constitué de 16 régimes vers un nouveau cadre règlementaire constitué de trois   principaux régimes, à savoir :

-Les comptes en devises pouvant être ouverts au nom des résidents auprès des banques nationales ;

-Les comptes en devises pouvant être ouverts au nom des non-résidents auprès des banques nationales ;

– Les comptes en devises pouvant être ouverts par les banques nationales auprès de leurs correspondants étrangers.

Régime des comptes en devises pouvant être ouverts au nom des résidents auprès des banques nationales. Pourriez-vous nous donner des précisions au sujet de ce régime suggéré ?

 Effectivement, comme je l’ai suffisamment expliqué lors des précédents entretiens, un régime uniforme en matière de comptes en devises des résidents peut être édité.

Ce régime sera destiné à faciliter la réalisation par les résidents de leurs opérations courantes ou en capital effectuées conformément aux dispositions de la règlementation des changes.

Cette facilitation consiste dans l’optimisation de la gestion des flux en devises occasionnés par les opérations courantes ou en capital effectuées par les personnes concernées. Cette optimisation revêt deux principaux aspects.

Le premier aspect concerne l’évitement d’opérations simultanées de cession de devises et d’achat de devises, opérations coûteuses en termes de frais (commissions de change) et également en termes de temps nécessaires pour leurs dénouements.

En effet, au lieu que les personnes qui génèrent des recettes en devises cèdent leurs recettes encaissées sur le marché des changes, puis procèdent au rachat de ces devises sur ce marché, elles peuvent éviter ces opérations à travers le maintien des devises encaissées dans leurs comptes en devises.

 Quant au second aspect, il concerne la couverture contre les risques de dépréciation des cours de change.

Ces risques surgissent en effet pour les personnes ayant des dépenses prévisibles en devises et qui souhaiteraient se prémunir contre les risques de dépréciation des cours de change.

Quelles sont les modalités pratiques de fonctionnement de ce compte uniforme en devises des résidents ?

Ces comptes peuvent enregistrer au crédit les opérations suivantes :

-Les encaissements en devises réalisés par les détenteurs des comptes au titre de leurs activités ;

-Les sommes provenant d’un autre compte en devises ou en dirhams convertibles ouvert au nom du détenteur du compte ;

-Les opérations courantes ou en capital librement réalisables en vertu de la règlementation des changes en vigueur ;

– Les opérations d’achat de devises sur le marché des changes ;

 -Les intérêts sur les dépôts à vue.

 Quant aux opérations pouvant être enregistrées au débit du compte uniforme précité , il s’agit des opérations suivantes :

  -Les opérations courantes ou en capital librement réalisables en vertu de la règlementation des changes en vigueur ; 

– Les opérations de cession de devises sur le marché des changes.

-Les frais de tenue de compte.

Si j’ai bien compris, ce compte est destiné à être un compte intégrateur et qui se traduira de facto par l’abrogation de plusieurs comptes en devises des résidents, n’est-ce pas ?

Effectivement , ce compte devra se traduire par l’abrogation des comptes suivants :

-Les comptes en devises des exportateurs de biens et de services ;

Les comptes en devises ouverts au nom des personnes physiques résidentes non inscrites au registre du commerce et disposant de revenus de source étrangère ;

-Les comptes en devises des exportateurs de services soumissionnaires ou titulaires de marchés à l’étranger ;

-Les comptes en devises « assurances en devises » ;

-Les comptes en devises « réassurances en devises » ;

-Les comptes en devises « placement à l’étranger des OPCVM, OPCC et OPCI » ;

– Les comptes en devises « des investissements et placements à l’étranger des sociétés d’assurances et de réassurance » ;

– Les comptes en devises « courtage réassurance en devises » ; 

-Les comptes en devises au titre des opérations de couverture contre les risques de fluctuation des prix des produits de base.

En effet, comme cela a été suffisamment expliqué dans les entretiens précédents, toutes les opérations prévues par les comptes présentés ci-dessus peuvent être effectuées dans le cadre du régime du « compte en devises proposé ».

De même, ce compte permettra également la réalisation d’autres opérations non-prévues dans le cadre des dispositions actuelles.

Quelles sont ces opérations ?

Toutes les opérations courantes peuvent être effectuées par le biais du compte en devises des résidents proposé.

Par exemple, un importateur qui souhaite s’auto-couvrir contre le risque de dépréciation du cours de change du dirham par rapport à une devise donnée pourra acheter les montants en devises prévus au titre de son opération d’importation et les loger dans le compte en devises précité.  

Alors que dans le cadre du régime adopté actuellement en matière de comptes en devises, cette possibilité est offerte uniquement aux exportateurs de biens et de services.

Mais est ce que ce régime proposé ne risque-t-il pas d’avoir un impact sur les réserves de change ?

Non, ce régime n’aura aucun impact sur les avoirs de réserve du Maroc, car les comptes en devises précités sont par construction neutre sur le plan « devises ».

Cela signifie que ces comptes n’ont aucun impact sur les réserves de change du Maroc.

Qu’est- ce que vous entendez par le vocable « par construction » ?

Le vocable « par construction » symbolise deux éléments essentiels.

Le premier élément est que les comptes en devises précités n’accordent aucun avantage spécifique à leurs détenteurs en matière de régime de convertibilité du dirham.

En effet, les opérations pouvant enregistrées au débit de ces comptes sont généralement les opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes.

Par conséquent, l’alimentation des comptes en devises par leurs détenteurs n’engendre aucune augmentation des dépenses potentielles du Maroc.

Quant au second élément, il réside dans le fait que les devises logées dans les comptes précités sont des devises confiées par des entités résidentes (les exportateurs marocains) à des entités résidentes (les banques marocaines).

Par conséquent ces devises restent dans le marché des changes marocain.

Ces deux éléments suggèrent ainsi que ces comptes sont « par construction » neutres sur le plan « devises » : ils n’ont aucun impact sur les réserves de change du Maroc.

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