UE-CHINE : Pourquoi ces tensions sur les véhicules électriques
La récente décision de la Commission européenne d’imposer des droits de douane supplémentaires provisoires allant jusqu’à 38,1% sur les véhicules électriques (VE) fabriqués en Chine repose sur des allégations infondées, ce qui suscite de vives inquiétudes quant au protectionnisme commercial et à l’application de « deux poids, deux mesures ».
Cette hausse des droits de douane intervient huit mois après que la Commission européenne a ouvert une enquête anti-subventions sur les VE à batterie importés de Chine, y compris des marques chinoises telles que BYD, Geely et SAIC, ainsi que Tesla, BMW et d’autres marques étrangères.
Cette mesure a été prise à la suite d’accusations de la Commission européenne selon lesquelles la Chine « inondait » le bloc de VE moins chers en raison d’une « surproduction », que la Commission européenne attribuait à d’importantes subventions publiques en Chine.
Cependant, le raisonnement justifiant l’augmentation des droits de douane est loin d’être convaincant, comme le montrent plusieurs facteurs : l’enquête anti-subventions et son résultat sont tous deux motivés par des considérations politiques ; le secteur chinois des VE est en fait confronté à une sous-production, plutôt qu’à une surproduction, dans le processus d’électrification des transports ; et l’accusation portée contre la Chine concernant les subventions publiques est exagérée et applique « deux poids, deux mesures ».
Tout d’abord, l’enquête anti-subventions a été annoncée par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans son discours sur l’état de l’Union en septembre 2023, quelques instants avant qu’elle n’appelle à la « réduction des risques » vis-à-vis de la Chine, ce qui montre à quel point le commerce, l’économie et la politique sont étroitement liés.
Selon les règles de l’UE, une enquête anti-subventions n’est généralement lancée que lorsqu’une plainte a été déposée par une industrie ou un Etat membre. Toutefois, dans le cas présent, la Commission européenne a lancé l’enquête de sa propre initiative.
L’enquête et la hausse des droits de douane coïncident avec la montée du protectionnisme commercial de la part de l’UE. Depuis janvier 2024, l’UE a introduit au moins 33 mesures de protection commerciale contre la Chine.
L’enquête et la hausse des droits de douane qui en découle constituent un abus de pouvoir, sont injustes pour les entreprises chinoises et ont suscité une vive controverse et divisé l’opinion publique européenne.
Un certain nombre de PDG de l’industrie automobile européenne, dont ceux de Mercedes-Benz, Stellantis et VW, ont exprimé leur opposition à la hausse des droits de douane. En outre, certains hommes d’affaires européens influents en Chine ont informé l’Agence de presse Xinhua que l’industrie n’avait pas demandé de hausse des droits de douane et qu’elle ne les appréciait pas du tout.
La Chambre de commerce de Chine dans l’UE, basée à Bruxelles, a indiqué à Xinhua qu’elle avait constaté que les constructeurs automobiles de l’UE pensaient qu’une telle hausse des droits de douane ne renforcerait pas la compétitivité des marques européennes. Au contraire, ils estiment que cela pourrait entraver leurs efforts de transformation et nuire aux objectifs de neutralité carbone de l’UE.
Deuxièmement, les allégations de l’UE concernant la « surproduction » dans le secteur chinois des VE est en grande partie une idée fausse, et représente un prétexte pratique au protectionnisme commercial et à la politique de « deux poids, deux mesures ».
En 2023, environ 80% des automobiles allemandes étaient vendues à l’étranger. En comparaison, seuls 12,7% des véhicules à énergies nouvelles de la Chine ont été vendus à l’étranger. Il n’y a aucune raison d’accuser la Chine de « surproduction ».
Au contraire, l’industrie chinoise des VE est confrontée à une sous-production à long terme. A mesure que l’électrification des transports progresse, la demande croissante en VE pousse les constructeurs automobiles à augmenter leur capacité de production.
Les statistiques de l’industrie montrent qu’en 2023, plus de 9 millions de véhicules à énergies nouvelles ont été vendus en Chine, portant le taux de pénétration du marché à plus de 30%. D’ici 2035, les ventes devraient dépasser les 38 millions, avec un taux de pénétration de 90%.
Malgré l’adoption généralisée des VE dans les plus grandes villes chinoises, il reste un potentiel de croissance substantiel dans les villes de troisième et quatrième rangs, ainsi que dans les marchés ruraux, ce qui garantit une demande soutenue pour les VE à long terme.
Dans un rapport d’enquête publié en avril 2024, Bloomberg n’a trouvé aucune donnée permettant d’étayer les allégations de « surcapacité » de la Chine dans le secteur des VE, et les stocks des constructeurs automobiles chinois ne semblaient pas élevés.
Le boom de la production de VE en Chine aidera également le monde à répondre à la demande internationale de plus en plus forte en VE si la planète veut parvenir à des émissions nettes nulles.
Enfin, en ce qui concerne les subventions, les accusations de l’UE sont exagérées. Le vice-ministre chinois du Commerce Ling Ji a déclaré au début du mois que la Chine avait constaté que bon nombre des « subventions » invoquées par l’UE dans le cadre de l’enquête n’étaient pas considérées comme des subventions au sens des règles de l’OMC.
Parmi les subventions accordées tant dans l’UE qu’en Chine, certaines se sont avérées plus élevées dans certains secteurs de l’UE qu’en Chine, a ajouté M. Ling.
Les subventions sont des pratiques courantes utilisées pour soutenir des industries spécifiques. L’UE et les Etats-Unis ont tous deux augmenté leurs subventions de manière significative ces dernières années. La « Loi sur la réduction de l’inflation » aux Etats-Unis a offert des centaines de milliards de dollars de subventions pour les énergies propres, dont 12 milliards de dollars de subventions et de prêts pour les constructeurs de VE.
L’UE a adopté la « Loi sur l’industrie zéro net », qui vise à développer la fabrication de technologies propres, sans parler des subventions colossales à son secteur agricole, qui représentent environ 20% du budget annuel total de l’UE.
Certains hommes politiques européens estiment que les subventions publiques chinoises ont entraîné une compétitivité importante dans le secteur des VE. Toutefois, les spécialistes de l’industrie en Chine attribuent cette compétitivité aux progrès technologiques dus à une concurrence féroce, à des chaînes d’approvisionnement complètes, à des infrastructures flambant neuves, ainsi qu’à des coûts énergétiques et fonciers moins élevés, plutôt qu’à des subventions excessives.
« Les subventions publiques jouent un rôle, mais elles peuvent être secondaires par rapport à l’innovation : la Chine devance l’UE et les Etats-Unis en matière de publications sur les technologies vertes évaluées par des pairs », note le rapport de Bloomberg. (Xinhua) —
L’enquête de la Commission européenne (communiqué)
Dans le cadre de son enquête en cours, la Commission a provisoirement conclu que la chaîne de valeur des véhicules électriques à batterie en Chine bénéficiait de subventions déloyales, ce qui constitue une menace de préjudice économique pour les producteurs de véhicules électriques à batterie de l’UE. L’enquête a également examiné les conséquences et l’incidence probables des mesures sur les importateurs, les utilisateurs et les consommateurs de véhicules électriques à batterie dans l’UE.
Par conséquent, la Commission s’est adressée aux autorités chinoises pour examiner ces conclusions et étudier les moyens de résoudre les problèmes observés d’une manière compatible avec les règles de l’OMC.
Dans ce contexte, la Commission a préalablement notifié le niveau des droits compensateurs provisoires qu’elle instituerait sur les importations de véhicules électriques à batterie en provenance de Chine. Si les discussions avec les autorités chinoises ne devaient pas aboutir à une solution efficace, ces droits compensateurs provisoires seraient introduits à partir du 4 juillet par constitution d’une garantie (selon la forme qui sera décidée par les autorités douanières de chaque État membre). Ils ne seraient perçus que si des droits définitifs sont institués, et à ce moment-là uniquement.
Les droits individuels que la Commission appliquerait aux trois producteurs chinois retenus dans l’échantillon seraient les suivants:
• BYD: 17,4 %;
• Geely: 20 %; et
• SAIC: 38,1 %.
Les autres producteurs de véhicules électriques à batterie en Chine, qui ont coopéré à l’enquête mais n’ont pas été retenus dans l’échantillon, seraient soumis au droit moyen pondéré de 21 %.
L’ensemble des autres producteurs de véhicules électriques à batterie en Chine qui n’ont pas coopéré à l’enquête seraient soumis au droit résiduel de 38,1 %.
Procédure et prochaines étapes
Le 4 octobre 2023, la Commission a officiellement ouvert une enquête antisubventions d’office concernant les importations de véhicules électriques à batterie conçus pour le transport de personnes originaires de Chine. L’enquête doit être terminée au plus tard 13 mois après son ouverture. Les droits compensateurs provisoires peuvent être publiés par la Commission dans les 9 mois suivant l’ouverture de la procédure (en l’occurrence, le 4 juillet au plus tard). L’institution de mesures définitives doit avoir lieu au plus tard 4 mois après celle des droits provisoires.
À la suite d’une demande motivée, un taux de droit calculé individuellement au stade définitif peut être appliqué à un producteur de véhicules électriques à batterie en Chine — Tesla. Tout autre producteur de véhicules électriques à batterie en Chine non retenu dans l’échantillon final et souhaitant que sa situation particulière soit examinée peut demander un réexamen accéléré, conformément au règlement antisubventions de base, immédiatement après l’institution des mesures définitives (soit 13 mois après l’ouverture de la procédure). Le délai pour mener un tel réexamen à terme est de 9 mois.
Des informations sur les niveaux des droits provisoires envisagés sont communiquées à toutes les parties intéressées (y compris les producteurs de l’Union, les importateurs et exportateurs et leurs associations représentatives, les producteurs-exportateurs chinois et leurs associations représentatives, ainsi que le pays d’origine et/ou d’exportation, c’est-à-dire la Chine), ainsi qu’aux États membres de l’UE avant l’institution de telles mesures, conformément aux procédures établies par le règlement antisubventions de base de l’Union. Ces informations sont également publiées sur le site web de la Commission.
Les sociétés retenues dans l’échantillon ont reçu individuellement des informations sur les calculs les concernant et ont la possibilité de formuler des observations sur leur exactitude. Lorsque ces observations apportent suffisamment d’éléments de preuve contribuant à contrebalancer ses calculs, la Commission peut revoir ceux-ci dans le respect du droit de l’Union.