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Cameroun: comment les banques bloquent les activités de la Caisse des dépôts et consignations

Dans une correspondance adressée le 5 mai 2023 à la présidente de l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam), Gwendoline Abunaw, directeur général (DG) d’Ecobank, Richard Evina Obam (photo), le tout premier DG de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC), révèle les difficultés qu’il éprouve à conduire les activités de cette structure publique, en raison du manque de collaboration des banques. Concrètement, les établissements de crédit rechignent à déclarer, ou alors font des déclarations partielles des fonds à transférer à la CDEC. 

« À ce jour, beaucoup d’établissements de crédit n’ont pas effectué cette déclaration, et ceux qui l’ont fait n’ont pas tenu compte des critères arrêtés, minimisant ainsi le volume de fonds destinés à être transférés à la CDEC », se plaint Richard Evina Obam dans sa lettre à la présidente de l’Apeccam. Avant de poursuivre, un brin menaçant : « (…) en vertu de la loi, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir inviter vos confrères à procéder aux déclarations des fonds dévolus à la CDEC et inscrits dans leurs livres, dès réception de la présente ». De sources proches du dossier, rendu à ce 21 juin 2023, nombre de banques traînent toujours le pas.

C’est que, suite à l’opérationnalisation de la CDEC, à la faveur de la désignation de ses premiers dirigeants intervenue le 20 janvier 2023, soit 15 ans après la création de cette structure étatique, le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, a instruit les banques en activité dans le pays de déclarer les fonds et valeurs dévolus à la Caisse des dépôts et consignations au plus tard le 31 mars 2023. Il s’agit notamment « des comptes inactifs et des dépôts à termes des administrations publiques, des Collectivités territoriales décentralisées, des établissements publics administratifs et des entreprises du secteur public et parapublic », détaille le DG de la CDEC dans la lettre citée plus haut.

Détérioration des dépôts bancaires

Afin d’accorder leurs violons, une réunion entre les responsables de la CDEC et les banquiers a été organisée le 29 mars 2023, soit deux jours avant le délai de déclaration des fonds prescrit aux établissements de crédit par le ministre Motazé. Au cours de cette rencontre, apprend-on, ont été adoptées « les définitions consensuelles des comptes inactifs, tout en déterminant les modalités de leur transfert » vers la Caisse des dépôts et consignations. Suite à cette entente entre les parties, le DG de la CDEC va, par correspondance du 12 avril 2023, proroger au 28 avril 2023 le délai initial accordé aux banquiers pour déclarer les fonds inactifs inscrits dans leurs livres. Mais rien n’y fera. Les banques continuent à ne pas s’exécuter. D’où cette lettre de rappel à l’ordre adressée le 5 mai 2023 à la présidente de l’Apeccam. 

La réticence des établissements de crédit à déclarer les fonds destinés à être transférés à la CDEC tient de ce que l’opérationnalisation de cet organisme financier de l’État va les délester d’un important volume de dépôts, et par conséquent réduira leurs marges de manœuvre en matière de placements. Certaines sources avancent le chiffre de 20% des dépôts actuels, qui quitteront les banques pour la CDEC.

Cependant, au regard des missions dévolues à la CDEC, les banques ne sont pas les seuls partenaires impactés par l’opérationnalisation de la CDEC au Cameroun, même s’ils sont le réceptacle de tous les dépôts ciblés par la Caisse des dépôts, dont la mission est, selon le ministère des Finances, de collecter, sécuriser et rentabiliser sur le long terme les ressources généralement « oisives », pour les orienter vers l’accompagnement des politiques publiques. Ces ressources proviennent, apprend-on, de l’épargne règlementée, des dépôts des notaires ou des professions juridiques, des consignations administratives et de cautionnements, des fonds des caisses nationales d’épargne ou de caisses de sécurité sociale, des fonds de retraite et des régimes de retraite des fonds d’assurance et de garantie, etc.

Puissant instrument de développement

Au regard de ce qui précède, pour l’heure, ces ressources que la CDEC est appelée à centraliser et à gérer sont aux mains d’autres structures de l’administration ou du secteur privé, qui ne voient pas d’un bon œil l’avènement d’un organisme destiné à accaparer ces avoirs parfois au centre de pratiques ne servant aucun intérêt général. De bonnes sources, ce sont ces réticences qui expliquent le blocage de l’opérationnalisation de la CDEC pendant 15 ans.

« La visite de travail du Forum (des Caisses de dépôt) dans notre pays permettra sans doute d’améliorer la perception des autorités et du public sur les enjeux et les défis de la mise en place d’une Caisse des dépôts, mais aussi d’apaiser les réticences de certains de nos partenaires quant à la complémentarité de cet instrument au service du développement des pays », avait d’ailleurs confessé le ministre des Finances en novembre 2022, lors de la visite au Cameroun d’une délégation du Forum des caisses des dépôts. Cette visite aux relents de lobbying avait été suivie, deux mois plus tard, de la désignation des premiers dirigeants de la CDEC du Cameroun.  (Investir au Cameroun)

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