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TRANSPORT AÉRIEN DE MARCHANDISES-COVID19: EFFETS DU DÉCRET- LOI N° 2.20.292 SUR LES DÉLAIS DE RÉSERVES ET D’ACTION EN RESPONSABILITÉ

Par Mohamed Laazizi

Docteur en Droit Maritime et Aérien / Expert Consultant

(Directeur Fondateur du Cabinet INSTRASOL)

Au  Maroc, l’état d’urgence sanitaire ainsi que  les mesures de prévention et de lutte contre le COVID 19, ont été ordonnés par Décret-loi N°2.20.292 publié au Bulletin Officiel du 24 MARS 2020. Cet état d’urgence  a été  prorogé d’abord au 10 JUIN 2020 puis au 10 JUILLET  2020.

 Pour éviter la propagation de la pandémie, le Ministère de la justice a ordonné aux tribunaux la suspension des audiences, à l’exception de celles concernant les personnes poursuivies en état de détention, des dossiers en référé et des dossiers d’instructions.

Cette réduction des services de la justice ne permet pas aux parties aux contrats de transport  d’effectuer les formalités judiciaires exigées pour sauvegarder leurs droits de recours

C’est pourquoi l’article 6 de ce Décret-loi dispose que « tous les délais prévus par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, sont suspendus durant la période de cet état d’urgence sanitaire … Les délais précités recommencent  à courir le lendemain de  la levée de cet état d’urgence sanitaire. »

La crise sanitaire du COVID 19  pose un certain nombre de questions et impacte  les secteurs du transport dans la mesure où la fermeture des frontières, les périodes  de quarantaine et de confinement risquent d’occasionner un prolongement des délais  habituels du transport, de causer  des avaries aux marchandises, et un retard plus ou moins important à l’embarquement et à la livraison.

Ces questions portent notamment sur le point de savoir si ce Décret-loi et ces mesures sanitaires (fermeture des frontières et des tribunaux ,restrictions de quarantaine ,ordre de confinement ) dispensent  le destinataire des délais de réserves et d’action en  responsabilité contre le transporteur international de marchandises par air (I) et ,d’autre part s’ils constituent  ou non, une  force majeure de nature  à libérer ce transporteur aérien de toute responsabilité (II).

 I / SORT  DES DÉLAIS  DES RÉSERVES ET D’ACTION EN RESPONSABILITÉ CONTRE LE  TRANSPORTEUR AÉRIEN DE MARCHANDISES

Ces problématiques sont actuellement débattues en doctrine (1).

 Le Décret-loi N°2. 20.292 précité relatif à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire au Maroc, prévoit notamment le report des  délais  qui viendront à expiration au cours de ces périodes,  jusqu’au lendemain de la  levée de cet état d’urgence sanitaire.

Seuls en sont exclus, les délais d’appel de jugements rendus à l’encontre de personnes poursuivies en état de détention, le décompte des délais de mise en garde à vue et  des durées de détention préventive. Ces termes incluent de l’avis des auteurs,  les délais d’émission des réserves ainsi que les  délais d’action en responsabilité contre le transporteur.

1/ DÉLAIS DE RÉSERVES

Ces délais varient  suivant la nature du préjudice en question, selon qu’il s’agit de pertes et  avaries à la cargaison ou de retard à la livraison

A/ CAS DES PERTES ET AVARIES A LA CARGAISON

 – TRANSPORTS RÉGIS PAR LA CONVENTION DE VARSOVIE DE 1929  (2)

Cette convention (art 26) impose au destinataire la prise de deux mesures   en cas de pertes ou d’avaries aux marchandises pour la recevabilité de son action en responsabilité contre le transporteur,

a)-la notification immédiate au transporteur des dommages dès leur découverte   et au plus tard dans les quatorze  jours suivant la date de la réception des marchandises 

b)-cette protestation doit être faite par écrit, soit sur le titre de transport ou par tout autre écrit expédié.

A défaut de protestation dans les délais prévus, et sauf le cas de fraude du transporteur,  toutes les actions en responsabilité  contre celui ci sont irrecevables,.

L’absence  de l’une de ces mesures, est sanctionnée par la forclusion du destinataire qui perd tout recours contre le transporteur.

  –   TRANSPORTS RÉGIS PAR LA CONVENTION DE MONTRÉAL DE 1999 (3)

D’après l’article 31 de cette convention, « La réception des  marchandises sans protestation par le destinataire constituera présomption, sauf preuve du contraire, que les  marchandises ont été livrées en bon état et conformément au titre de transport » 

 En cas d’avarie, le destinataire doit adresser au transporteur une protestation :

– immédiatement après la découverte de l’avarie et, au plus tard,

– dans un délai de quatorze jours pour les marchandises à dater de leur réception.

 Toute protestation doit être faite par écrit et remise ou expédiée dans les  délais impartis.

 A l’instar de la convention de Varsovie, la convention de Montréal dispose que  l’absence  de l’une de ces mesures, est sanctionnée par la forclusion du destinataire qui perd définitivement tout recours contre le transporteur.

 B/ CAS DU RETARD 

Selon l’article  26 de la convention de Varsovie, en  cas de retard la protestation devra être faite par le réclamant au plus tard dans les vingt-et-un jours à dater du jour où les  marchandises auront été mises  à sa disposition.

 Toute protestation doit être faite par réserve inscrite sur le titre de transport ou par un autre écrit expédié dans le délai prévu pour cette protestation. A défaut de protestation sous forme écrite dans les délais prévus, toutes actions sont irrecevables contre le transporteur, sauf le cas de fraude de celui-ci.

  Selon la convention de Montréal de 1999, en cas de retard, la protestation devra être faite par le destinataire  au plus tard :

– dans les vingt et un jours à dater du jour où  les marchandises auront été mises à sa disposition. 

– toute protestation doit être faite par réserve écrite et remise ou expédiée dans le délai prévu pour cette protestation.

  A défaut de protestation dans les délais prévus, toutes actions contre le transporteur sont irrecevables.

 2/ Délais de recours contre le transporteur

Le délai d’introduire l’action en responsabilité contre le transporteur  est de deux ans, à compter de l’arrivée à destination, ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou de l’arrêt du transport. (Article 29 de la convention de Varsovie, article  35 de la convention de Montréal).

II / MESURES SANITAIRES ET EXONÉRATION DE LA RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR

Concernant la réponse à cette seconde question relative à la libération du transporteur de toute responsabilité pour  force majeure, on relève que ces  conventions édictent  en faveur du transporteur, d’une part un principe général d’exonération consistant pour celui-ci à prouver que lui-même et ses préposé ont pris certaines mesures pour éviter les dommages ou qu’il leur était impossible de les prendre ; et d’autre part, une liste plus ou moins longue de causes spécifiques d’exonération.

La convention de Varsovie dispose en effet  que  le transporteur n’est pas responsable, s’il prouve que lui et ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage ou qu’il leur était impossible de les prendre (article  20).

L’article 21 y ajoute la faute de la victime.L’article 18-2 de la convention de Montréal précise que  le transporteur n’est pas responsable s’il établit, et dans la mesure où il l’établit, que la destruction, la perte ou l’avarie de la marchandise résulte de l’un ou de plusieurs des faits suivants :

a) la nature ou le vice propre de la marchandise ;

b) l’emballage défectueux de la marchandise par une personne autre que le transporteur ou ses préposés ou mandataires ;

c) un fait de guerre ou un conflit armé ;

d) un acte de l’autorité publique accompli en relation avec l’entrée, la sortie ou le transit de la marchandise.

A/ PRINCIPE GÉNÉRAL D’EXONÉRATION :

En application de ce principe général d’exonération, la convention de Varsovie n’exige pas du transporteur  de prouver, pour se libérer de sa responsabilité, la survenance  d’un événement de force majeure, c’est-à-dire d’un événement extérieur, imprévisible et insurmontable, mais seulement la preuve que celui-ci et  ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage ou qu’il leur était impossible de les prendre. 

L’Article 19 de la convention de Montréal relatif au retard dispose que le  transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.(4)

Toute la question est de savoir si la fermeture des frontières et  l’état d’urgence  sanitaire ordonnés par les Autorités   constituent ou non un cas de force majeure exonérant le transporteur de sa responsabilité, ou bien  si le transporteur pouvait raisonnablement prendre les mesures exigées pour éviter le dommage.

Certains auteurs   débattent  de cette question (5) sur la base  du droit commun qui exige d’un évènement, les caractères extérieurs, imprévisible et irrésistible pour que celui-ci  soit qualifié de cas de  force majeure.

Or, il est à noter que cette question est nuancée en droit des transports aériens, généralement imprégné de la notion de partage des risques. En France par exemple Certains auteurs considèrent  que la responsabilité du transporteur est basée sur une présomption de responsabilité, d’autres considèrent même qu’elle est basée sur une simple  présomption de faute que le transporteur peut faire tomber par la  preuve qu’il n’a pas commis de faute (6).

 Ce principe général d’exonération évoque sans doute l’idée de force majeure, mais sans en exiger les caractères absolus d’un évènement irrésistible et insurmontable. La preuve exigée du transporteur consiste certes à établir  qu’il a pris en matière d’avaries les mesures nécessaires pour éviter le dommage ou qu’il lui était impossible de les prendre, et en matière de retardles mesures raisonnablementexigées pour l’éviter ou qu’il lui était impossible de les prendre ; mais  il ne s’agit pas d’une diligence absolue. La diligence requise du transporteur est une  diligence de dimension humaine, qui relève du possible. A l’impossible, Nul n’est tenu ! comme nous dit l’adage.

Les tribunaux ont un rôle important d’appréciation  à jouer en la matière. Qualifier l’état d’urgence sanitaire décrété   de force majeure ou non  dépend de l’appréciation des juges du fond .Ils doivent déterminer dans chaque cas d’espèce la diligence du transporteur et décider  si la pandémie du COVID 19 et la restriction de quarantaine qui s’en est suivie  constituent ou non des cas de force majeure au sens de ces  conventions.

Ainsi, le pouvoir discrétionnaire des juges du fond est  considérable mais la qualification est une question de droit, soumise au contrôle de la Cour de Cassation.

Il existe en fait deux appréciations possibles de cette diligence : une appréciation sévère et restrictive dite a posteriori ; et une appréciation large et extensive dite a priori  (7) .

L’interprétation a priori permet d’examiner la diligence du transporteur au regard de ses obligations avant la survenance des dommages .S’il a pris les mesures raisonnables ou nécessaires qui lui incombent, et que malgré cela le dommage et /ou le retard sont survenus, il est exonéré de toute responsabilité. S’il ne les a pas prises, sa responsabilité est engagée.

L’interprétation a posteriori permet  de se positionner après la survenance de  l’événement afin d’apprécier  cette diligence du transporteur. Après l’événement, il est facile de prendre du recul et de dire quelles étaient les mesures susceptibles d’éviter l’événement. Si le transporteur les a prises, on ne peut rien lui reprocher. S’il  ne les a pas prises, sa responsabilité est pleinement engagée.

Cette interprétation restrictive sévère est surhumaine car elle aboutit pratiquement à retenir toujours la responsabilité du transporteur et à vider ces dispositions légales de leur contenu libératoire. Car il faudrait avoir le don de lire l’avenir, de savoir ce qui allait se produire comme dommage et prendre alors les mesures susceptibles de l’éviter et le prévenir.

B/ CAUSES SPÉCIFIQUES D’EXONÉRATION

Tout aurait dépendu exclusivement  de l’appréciation des juges du fond, si ces conventions n’avaient pas prévu à coté de ce principe général, des causes spécifiques d’exonération. Or la convention de Montréal art 18-2, d) a prévu comme causes spécifiques d’exonération du transporteur un acte de l’autorité publique accompli en relation avec l’entrée, la sortie ou le transit de la marchandise. Pour ce qui est de la convention de Varsovie on ne voit pas quelles mesures le transporteur pouvait prendre pour éviter la déclaration de cet état d’urgence sanitaire, la fermeture des frontières et leurs conséquences..

L’état d’urgence sanitaire ordonné par le Décret-loi  précité résultant directement ainsi d’un ordre des Autorités, il sera considéré très probablement par les tribunaux  comme une cause d’exonération de toute responsabilité du transporteur.

CONCLUSION

En conclusion, le Décret précité a suspendu les délais impartis aux parties aux contrats de transports  et à leurs assureurs subrogés dans leurs droits, soit pour émettre  leurs réserves soit pour l’exercice d’une action en responsabilité ou pour exercer un recours contre un jugement rendu à leur encontre. Ces délais, ainsi mis entre parenthèses pendant  toute la durée de cette crise  reprendront, le lendemain de la levée de ces mesures sanitaires.

En ce qui concerne  la qualification de ces mesures de force majeure libératoire  de toute responsabilité du transporteur, la réponse parait positive même si la question relève en définitive de l’appréciation souveraine des tribunaux. Néanmoins, il faut souligner que même si cette exonération est a priori  acquise au transporteur, ce dernier est moins préoccupé  par le  souci de chercher à échapper à sa responsabilité (couverte du reste auprès de ses assureurs de responsabilité) en invoquant des cas de force majeure, que par la préparation de l’après Corona, en recherchant surtout les moyens de développer son  business et donner entière satisfaction à sa  clientèle.

 ………

 Notes :

(1) V. par ex Maître A.ELBAKOURI « IMPLICATIONS JURIDIQUES DU COVID 19 SUR LES DÉLAIS DE RECOURS EN MATIÈRE CIVILE », article en langue Arabe, in  Revue de l’Académie Arabe d’Arbitrage MARS 2020),

(2) V. Dr Mokhtar BEKKOUR : la responsabilité du transporteur aérien suivant le Droit Marocain et les conventions internationales, thèse de Doctorat :Université Mohamed V, Fsjes Rabat 1989 (en langue Arabe ) P 125 et s ; Mohamed Laazizi : Les Règles de Hambourg et la responsabilité du transporteur de Marchandises par mer ,  thèse de Doctorat en Droit Nantes 1987 , p : 235 et s .

(3) la convention de  MONTRÉAL du 28 MAI 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international est  entrée en vigueur le 4 NOVEMBRE 2003.Elle  a été ratifiée par  LE MAROC le  15/4/10 et est entrée en vigueur à son égard  le 14/6/10.

 (4) Une disposition  similaire du destinataire est prévue par les Règles de Hambourg en matière de transport international de marchandises par mer, voir : Mohamed Laazizi : « le retard à la livraison et la responsabilité du transporteur  de marchandises par mer », Annuaire de Droit Maritime et Aérospatial ,Tome XII, Université de Nantes -1993, P : 325.

(5) V. Maître  S. Fassi Fihri :  « La force majeure à l’épreuve du Coronavirus », Revue BFR 18 MARS 2020) ;  (Maître Khadraoui « implications juridiques du  COVID 19 sur les engagements contractuels » Revue de l’Académie Arabe d’Arbitrage MARS 2020),

 (6) V.Lamy transport : transports aériens N°6178 ; René Rodière : Droit des transports, ,Précis Dalloz 1974, p : 253 ; Mohamed Laazizi, thèse précitée p:236 ; Martine Remond Gouilloud : le contrat de transport, Ed Dalloz 1993 ,p : 50;

(7) V. Alain Sériaux : « La faute du transporteur » Thèse de Doctorat en Droit, Aix Marseille  1981 ,P : 76 et s .

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