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La digitalisation et l’impératif de l’inclusion numérique

  • Par Mohammed QMICHCHOU
  • Enseignant-Chercheur
  • Responsable du Master “Stratégies de Marketing Digital – SMD”
  • Université Ibn Tofail, Kenitra

 

 

Le dernier trimestre de l’année 2019 a constitué un point d’inflexion dans la consommation des médias dans le monde. Internet aurait détrôné, pour la première fois selon Statistica, la télévision en termes de durée moyenne journalière de consommation dans le monde. En ce moment où la digitalisation prend un tournant décisif, il devient aussi urgent et impératif de s’interroger sur le degré d’inclusion de ce média. La moyenne mondiale de plus de 170 minutes par jour pourrait bien cacher de très fortes disparités. En effet, selon l’Union Internationale des Télécommunications, seulement 51% de la population mondiale seraient connectés à Internet à la fin de 2018.

La digitalisation : une tendance irréversible

Utilisé aussi pour désigner “transformation digitale”, le concept de digitalisation signifie un recours de plus en plus profond à Internet et aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce qui induit une transformation radicale, voire disruptive, du fonctionnement des organisations, des métiers et des modèles économiques des organisations ainsi que des facteurs clés de succès (FCS) sur les marchés. Il en découle aussi des usages nouveaux pour les consommateurs et les citoyens, ce qui impacte de manière profonde et irréversible leurs comportements.

Permettant, certes, aux organisations d’atteindre des niveaux élevés d’excellence opérationnelle et relationnelle, la digitalisation toujours croissante de nombreux services ou démarches essentielles peut aussi faire du numérique un facteur d’exclusion supplémentaire, en particulier pour les populations en situation de précarité.

Les formes de l’exclusion face au digital

En s’engageant dans des démarches de transformation digitale pour améliorer leur fonctionnement, les entreprises comme les administrations ont dématérialisé leurs processus et ont fait d’Internet le canal de contact de prédilection avec leurs cibles. Ceci a eu pour conséquence d’exclure ou de rendre difficile l’accès à leurs prestations et plateformes à toutes les personnes en situation de précarité numérique. La précarité, à l’origine de l’exclusion numérique, pourrait avoir plusieurs origines :

  • Pour les personnes éloignées du numérique, c’est essentiellement le faible taux d’équipement en matériel informatique et de télécommunication (ordinateurs, tablettes, smartphones, …), aux problèmes de connectivité (ADSL, WiFi, 4G, …),
  • Pour les personnes en difficultés numériques, elle est principalement due à des problèmes plus structurels liés à l’analphabétisme et la non-familiarisation avec ces technologies,
  • Une forme supplémentaire d’exclusion pourrait être liée à des usages qui ne génèrent pas de valeur pour ces populations.

Pour pallier à ces disparités dans les usages et l’accès aux outils digitaux pour la totalité des consommateurs et citoyens, il est indispensable que l’ensemble des acteurs de l’écosystème digital (entreprises et startups, administrations et établissements publiques, sociétés de développement et de services informatiques, opérateurs de télécommunication, fournisseurs d’accès et d’hébergement Internet, établissements de formation et de recherche, monde associatif, …) s’activent ensemble pour mettre en place des solutions pour promouvoir un modèle plus inclusif faisant du digital un facteur de croissance et de développement durable.

Leviers de l’inclusion numérique

Selon “les cahiers connexions solidaires”, l’inclusion numérique, ou e-inclusion, est “un processus qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu, principalement la téléphonie et internet, et à leur transmettre les compétences numériques qui leur permettront de faire de ces outils un levier de leur insertion sociale et économique”. Ainsi, il est clair que la démocratisation de l’accès aux équipements et infrastructures Internet ainsi que la transmission des compétences nécessaires pour un usage de ces technologies qui soit sécurisé et créateur de valeur constituent les principaux leviers d’action. De tels programmes sont d’autant plus importants et urgents dans des pays, comme le Maroc, souffrant de problèmes structurels liés aux faibles niveaux des revenus et de scolarisation.

La promotion de la “culture numérique (digital literacy)” devient une priorité. Elle doit permettre aux individus d’avoir les compétences nécessaires pour vivre, apprendre et travailler dans une société ou la communication et l’accès à l’information se fait de plus en plus grâce aux technologies numériques comme les plates-formes Internet, les médias sociaux et les appareils mobiles. Ceci pourrait également permettre aux individus de devenir autonomes devant le digital (digital selfcare), c’est-à-dire ne pas dépendre d’autrui et avoir l’aptitude d’effectuer des actions de gestion de son compte ou d’avoir recours à des informations de support en toute autonomie en passant notamment par un site web, une application mobile ou un chatbot.

Il en est également de l’accès sécurisé à Internet pour ne pas être victime de piratage, hameçonnage, usurpation d’identité numérique et autres actes de délinquance et de criminalité sur le net. Ceci passe par la sensibilisation sur la sécurisation du terminal informatique (mise à jour, verrouillage, sauvegarde), sécurisation des achats en ligne, sécurisation des mots de passe, utilisation de la messagerie de façon sécurisée, la méfiance des faux sites administratifs, la communication sur les réseaux sociaux avec précaution, …

Enfin, un dernier aspect, et non des moindres, concerne la sensibilisation sur les aspects légaux de l’utilisation d’Internet et des technologies digitales. Une mise en conformité par rapport aux lois régissant les données à caractère personnel (loi 09-08 CNDP) est aussi d’une importance capitale.

Pour conclure, il est important de reconnaître que l’inclusion numérique est un facteur déterminant de l’inclusion sociale et économique dans une société de la connaissance ou les technologies digitales deviennent omniprésentes et jouent un rôle essentiel. Des technologies qui doivent constituer un levier de la transformation individuelle et collective pour la réduction des inégalités et des exclusions économiques et sociales.

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