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INTERVIEW-LAHCEN DAOUDI: CARTES SUR TABLES!

On vous a concocté bien de dossiers chauds, ô combien nombreux ! Dans cette interview exclusive avec Lahcen Daoudi Ministre  Délègue Chargé des Affaires Générales et de la Gouvernance, nous traitons de la décompensation, l’éthique, le manque de compétences, le système des valeurs,  le nouveau modèle de développement, le manque de coordination sectorielle,  le gaspillage public…sans oublier bien sûr la responsabilité politique du Ministre. Cartes sur tables !

La responsabilité politique veut dire aussi assumer sa responsabilité devant Dieu. Avez-vous cette prise de conscience là?

Elle est là. Sachez aussi que Dieu est juste. Ma responsabilité est engagée quand je vois quelque chose et que je reste les bras croisés. Mais quand  une charge est supérieure à ma capacité…que voulez-vous que je fasse ? Il y a mille et mille choses à revoir. Il y a mille priorités et quasiment toutes les lois sont à revisiter. Figurez-vous que des lois qui datent des années 1910 et 1920 sont encore en œuvre. Le monde change aujourd’hui trop vite, et à quel rythme change le Maroc? Faites entrer une loi au parlement et dites-moi combien de temps va-t-elle prendre pour être votée? La transformation de la société marocaine est trop, trop lente. Trop complexe aussi : quand on se retrousse les manches pour travailler dur, ils disent qu’il veut aller plus vite que la musique. C’est une question de culture. Sans parler du manque de compétences.

Sentez-vous réellement ce manque de compétences?

Absolument. J’en ai vraiment besoin et je peux vous assurer que je ne suis pas le seul. Toute à l’heure en parlant des lois, le Secrétariat général du gouvernement cherche inlassablement des compétences en la matière, en vain…

Pourquoi ne pas recruter des experts à titre contractuel?

Voulez-vous que les fonctionnaires nous fassent la grève (sourire)…

Parmi vos attributions, contribuer à consolider l’éthique?

Le rôle de l’éthique est fondamental, mais on n’en parle pas assez. Il ne faut cesser de matraquer pour qu’on puisse devenir perméable au code d’éthique. Malheureusement, on s’en éloigne petit à petit sans s’en rendre compte. C’est comme une plante qui pousse que son évolution reste imperceptible à l’œil nu. Il faudrait 40 à 50 ans pour pouvoir la saisir par l’esprit. Prenez l’exemple du sérieux et du mensonge dans nos relations. Aujourd’hui, on n’a pas de sociologues, de psychologues…qui réfléchissent pour la société. Qui va alors réfléchir à leur place : Facebook, WhatsApp…? Le système de valeurs qui va le transmettre…?

Qu’en est-il du contrôle des prix à la veille de Ramadan ?

Je tiens à rassurer sur le contrôle et la stabilité des prix. On ne peut pas attendre jusqu’à l’avènement du mois sacré pour procéder aux contrôles nécessaires, question de sécuriser l’approvisionnement normal du pays en produits de large consommation. C’est une affaire de tous les jours, car on a une plateforme dédiée spécialement pour cela.

On constate plusieurs intervenants au niveau du contrôle de la qualité des produits sachant que vous êtes la plaque tournante du gouvernement.  Comment expliquez-vous cette situation ?

Effectivement, il y a plusieurs intervenants tels le ministère de l’Industrie, celui de l’Energie, l’ONSSA, les collectivités locales, etc. Mais nous sommes en train d’installer une plateforme informatique permettant un contrôle dynamique des opérations. Cette centralisation permet de suivre en temps réel les opérations de chacun et réaliser de grandes économies d’échelle.

 Il arrive que plusieurs départements interviennent en même temps comme ce fut le cas dans les carburants par exemple ?

Oui, c’est vrai sachant que le contrôle de qualité du pétrole ne relève pas de nos compétences, mais de celles du ministère l’Énergie. Pour bien illustrer, je vous donne l’exemple des stations de distribution des carburants où nous sommes trois à intervenir : notre département en plus de ceux de l’Energie et de l’Industrie. Un décret en cours nous permettra d’assurer le contrôle du  totem afficheur des prix des carburants. Mieux encore, nous sommes en train d’installer un système de convergence des politiques pour éviter par exemple de construire un barrage sans prévoir en même temps l’infrastructure routière et ainsi de suite. Vous voyez, il y a des avancées bien qu’elles sont lentes…

Qui dit multiplicité des intervenants, dit déperdition…N’est-ce pas ?

Je ne vous cache pas qu’il y a effectivement des déperditions. Le fait d’intervenir tous en même temps, on risque de perdre en efficacité. Mais ce n’est pas aussi dramatique, je pense que ça évolue.

La plupart pour ne pas dire la majorité de vos évènements et rencontres se font aux hôtels 5 étoiles. Un gaspillage de l’argent public… ?

Où est-ce que vous voulez que nous accueillions les grandes personnalités et les banquiers par exemple…?

Mais ce ne sont pas les invités de tous les jours…?

Ce n’est pas grave. C’est une question de culture et la transformation de la société se fait trop lentement.

Quelles sont vos prévisions pour l’avenir du Maroc?
Je tiens à vous souligner que l’avenir du Maroc est rayonnant eu égard à ses bases solides. Prenez l’exemple de l’OCP, qui capte aujourd’hui à lui seul 70% du marché africain. Ses exportations culmineraient à 100 milliards de dirhams à l’horizon 2022. Certes, nous traversons une conjoncture difficile, mais je pense qu’elle ne pourrait durer encore que 4 à 5 ans. Cela ne veut pas dire pour autant de continuer de s’endormir sur ses lauriers. Le monde change trop vite, et le rythme de transformation de notre société est trop, trop lent. L’avenir du Maroc dépend aussi de sa jeunesse et surtout de sa formation. Sera-t-elle demain à même de concurrencer la jeunesse coréenne ou japonaise ?  Si la question est juste d’assurer la pérennité du modèle actuel, je peux vous garantir que notre pays pourrait vivre tranquillement grâce à son voisin européen.  Le continent est en train de vieillir et a besoin de nos ressources humaines et d’investir chez nous…
Selon nombre d’économistes, le modèle de développement en place a atteint ses limites. Qu’en pensez-vous?
Il n’est pas aussi mauvais qu’on puisse l’imaginer. Voulez-vous qu’on le jette à la poubelle? Le modèle actuel a besoin d’être revu et corrigé. Quand on parle de modèle économique, il faut préalablement se poser la question : quelles sont les priorités du pays? Personne ne pourrait répondre aujourd’hui à cette question. Il ne faudrait donc pas confondre l’analyse sectorielle et l’analyse des priorités. Celles-là sont les clés d’entrée au changement auquel nous aspirons tous.

Et si je vous dis quelles sont alors les priorités à décliner ?

Je les résume en cinq priorités qui elles-mêmes sous-tendent d’autres priorités de second rang. Ses priorités sont :

1-Le capital humain ;

2-L’eau ;

3-  Les moteurs de la croissance :

  • Les nouveaux métiers mondiaux
  • Les phosphates
  • Le Maroc vert

4-Les activités travaillistiques

5-Les filets sociaux.

 

Tout le monde parle aujourd’hui du plafonnement des marges. Qu’en est-il en réalité ?

Le plafonnement des marges est décisif. Et je reste confiant dans les négociations en cours avec la profession. Mais si jamais on n’aboutira à rien, je n’aurais, alors, d’autres choix que de recourir au plafonnement unilatéral. Bien que cette alternative soit exclue temporairement.

…Et votre réunion avec les pétroliers?

Aussi nombreux soient-ils, il faut que les pétroliers accordent d’abord leur violon. N’empêche que   nous en sommes proches d’un consensus, qui nous permet une solution pérenne.

Quid de l’avis du conseil de la concurrence ?

Il faut le respecter, un tant soit peu. Par contre, je veux dire aux Marocains que je dispose d’un bâton, mais si jamais je frappe avec et se casse…

Comment qualifiez-vous la structure du marché pétrolier aujourd’hui : monopolistique, oligopolistique, entente sur les prix…?

Il n’y a rien de tout cela. Je dirai plutôt un marché de concurrence libre. Selon nos enquêtes, même les petits opérateurs importent librement du pétrole raffiné de l’Espagne. L’approvisionnement du marché se fait sans problème, tout le monde importe en général.  Néanmoins, je tiens à souligner que le problème ne se situe pas au niveau des importations, mais à l’échelle de la distribution. Autrement dit, au niveau spatial. Le monopole n’existe donc que sur le terrain.

Oui, mais de telles situations  existent aussi sous d’autres cieux pour ne citer que notre voisin européen comme vous l’avez bien dit. Dans ce cas, que pourrait faire le conseil de la concurrence?

Il ne pourrait rien faire, tant il est clair que l’échange est libre…

Quel est le sort réservé à la Samir?

Le dossier de la Samir est aujourd’hui entre les mains de la justice et c’est à elle que revient la charge d’en sceller le sort.  Ceux qui versent dans cette surenchère gratuite arguant que l’État doit sauver la Samir sont tenus de savoir que ce n’est pas à l’État d’honorer les impayés. Je le répète encore une fois, c’est la justice qui va trancher.

À quand la décompensation du sucre et du gaz ?

C’est encore loin, mais malheureusement c’est de l’argent public qui s’évapore.  Devant nos yeux se déploie toujours le scénario de la libéralisation des prix des carburants. À cela vient s’ajouter l’ombre des élections de 2021 qui plane déjà sur la scène publique. Nous veillons donc à ne pas recommencer l’expérience de 2015, quoiqu’il y avait urgence, et construire sur des bases plus solides.

Pourquoi ne pas libéraliser le sucre puisque bien d’études scientifiques recommandent d’en contrôler sa consommation?

Le sucre est le menu quotidien du petit peuple. Pour lui, c’est une matière fondamentale, car il n’a pas un menu riche et varié. En plus, ces recommandations ne concernent que les personnes qui mangent beaucoup ou celles en surpoids…

Cette année, les gouvernements espagnol et allemand ont invité leurs opérateurs de l’industrie agroalimentaire à réduire de 10 à 15% la teneur en sucre de leurs produits. Qu’en pensez-vous ? 

C’est une bonne chose. Mais n’oubliez pas que nous aussi avons procédé au titre de la loi de Finances 2019 à la taxation des boissons sucrées.

Permettez-moi de revenir à la décompensation du gaz butane. C’est un bien de consommation très sensible…

Nous sommes conscients de cela.  D’ailleurs, l’une de mes priorités est d’imposer l’usage de l’énergie solaire en agriculture en substitution du gaz butane subventionné par l’État. Un recensement est en cours pour identifier les usagers et surveiller les quantités consommées, ce qui représente près de 40% du marché. Comme ça nous prenons notre temps avant de cibler l’usage domestique (cocotte minute)… Mohamed Mounjid

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