ExpertsFlash

QUELLE POLITIQUE DE TRANSPORT MARITIME FACE AUX ENJEUX LOGISTIQUES GLOBAUX ?

Mustapha EL KHAYAT

Président de l’AMLOG, Consultant international, Avocat-Conseil

 

 

 

 

 

 

Aperçu sur le développement de la flotte marocaine : raisons et conséquences du déclin

Le déclin de la flotte marocaine est dû à plusieurs variables : cessation à partir de 1984 des aides de l’État au développement de la flotte sous pavillon national, concurrence acharnée sur les marchés maritimes, émergences des méga –carriers en nombre réduit qui envahissent les marchés traditionnels de la flotte marocaine, adhésion du Maroc aux Zones de Libre échange, etc. En outre, le déclin de la flotte marocaine est dû aussi à la mauvaise gestion, au comportement de certains armateurs qui se sont intéressés au secteur maritime pendant la période des aides financières substantielles de l’État et du protectionnisme maritime (code de conduite des conférences, accords bilatéraux de partage de trafic. etc.) et qui  sont sortis du secteur par la suite. Une fois que les aides diverses de l’État et la protection du pavillon ont cessé, la flotte marocaine est entrée dans une crise profonde : diminution de la flotte en nombre et en tonnage : cessions et vente de navires appartenant à des armements publics et privés, car non  rentables,  surdimensionnés ou vieux et qu’il fallait liquider dans le cadre de l’assainissement financier et de la restructuration des entreprises de transport maritime en difficulté ou en faillite.. Pendant  la crise  du secteur maritime marocain, la COMANAV et MARPHOCEAN ont perdu une très grande partie de leur flotte, suite à une gestion déficiente, un gaspillage des deniers publics et une dilapidation des compétences et une privatisation suicidaire. Aux années quatre-vingt, la flotte était de plus de 60 navires et une vingtaine d’armateurs. La flotte marocaine actuelle de transport de fret est constituée de 8 navires actifs en 2018 appartenant à 7 compagnies maritimes : 1 Bitumier,  4 Porte-conteneurs,  3 Pétroliers.

Existe-t-il vraiment une nouvelle politique maritime marocaine ?

La marine marchande marocaine qui est le régulateur et le soutien du secteur transport maritime  était attachée à plusieurs ministères depuis l’indépendance. Cette institution stratégique n’a cessé de transiter par plusieurs ministères dont aucun ne disposait du temps et des compétences pour traiter en temps opportun les problèmes du secteur maritime. Depuis 1998 la marine marchande est devenue une partie du Ministère de l’Équipement et des Transports. Depuis lors la politique maritime  s’est soldée par une  marginalisation de la flotte marocaine au profit des opérateurs globaux du secteur maritime. Les transports maritimes se trouvent relégués au second plan par rapport au secteur portuaire (une culture du tout équipement au détriment du vecteur stratégique qui est l’armement national).

Le Maroc a-t-il vraiment besoin d’une flotte sous son pavillon ?

Cette question a été mise en avant depuis 1998. Certains ont fait le choix politique pour rendre le MAROC un simple pays chargeur et ont participé à la liquidation de sa flotte de transport maritime qui était très diversifiée. Les défenseurs de cette politique avancent que la concurrence entre fournisseurs étrangers permet aux produits marocains d’être acheminés au coût de fret optimal.  La compétitivité  des produits marocains sur les marchés étrangers sera dépendante d’une maîtrise de la chaîne logistique et donc  des transports maritimes (la flotte marocaine  ou celle contrôlée par des opérateurs marocains). Notons aussi que l’expérience acquise pendant  plus de quarante ans dans le domaine maritime a permis de constituer un noyau de compétences qu’il est regrettable de réduire à néant par une politique d’une  libéralisation à outrance  et d’une  privatisation brutale et non mesurée. Certaines formes de libéralisation maritime ont été  trop brutales et ont conduit à la disparition totale  du secteur de transport  maritime marocain. La privatisation de la COMANAV est un premier pas dans cette direction de disparition de la flotte marocaine. N’est-il pas logique pour un pays premier exportateur de phosphate de posséder une flotte compétitive de vraquiers, et de chimiquiers ? N’est-il pas stratégique pour un pays importateur net d’hydrocarbures d’en maîtriser le transport? N’est-il pas concevable que des passagers venant d’Europe puissent transiter sur des bateaux marocains comme auparavant?

N’oublions pas de souligner avec force qu’une flotte bien gérée, flexible (économies d’échelle, flexibilité d’affectation des navires : passage d’un marché à un autre selon la conjoncture, les saisons,   les trafics tiers, etc.),  à l’écoute des opérateurs nationaux ou locaux serait un appui à la compétitivité des échanges extérieurs marocains et une source de gains et/ou économies de devises.

Les chargeurs marocains maîtrisent-ils le vecteur transport maritime ?

Les chargeurs marocains malheureusement n’ont aucune maîtrise de la chaine logistique internationale dans laquelle la partie maritime occupe une place stratégique. Ils n’ont aucune maîtrise du transport et malheureusement acceptent les Incoterms qui laissent aux partenaires étrangers la maîtrise de la chaîne logistique et en particulier la phase maritime.

L’environnement institutionnel est-il favorable  au développement de la flotte marocaine ?

Le droit applicable au domaine maritime est constitué par des textes datant du 31 mars 1919. Ces textes ne sont plus adaptés au secteur maritime de ce siècle. Ils  ne permettent pas à l’armement marocain d’être flexible au niveau de la nationalité des navires, du financement des navires (leasing, affrètement coque nue, etc.) et de la gestion des gens de mer. Ces obstacles juridiques sont de véritables barrières pour le développement du secteur maritime marocain. La Marine Marchande marocaine en tant que responsable institutionnel de la flotte marocaine et des affaires maritimes souffre du manque d’une vision d’avenir sur le secteur et d’une véritable autonomie de prise de décision. À cette faiblesse il faut ajouter le manque de ressources humaines de haut niveau pour répondre au défi du monde maritime actuel.

 Fiscalité, financement et recrutement des gens de mer :

Les armateurs marocains (ceux qui existent encore)  sont en crise. Ils  n’ont plus de place sur le trafic tiers. Ils se sont repliés sur le trafic national. Même à ce niveau, leurs parts sont réduites par la concurrence directe des méga carriers (Maersk, CMA-CGM, armateurs espagnols, etc.).  Ils souffrent d’une concurrence déloyale des armements étrangers qui immatriculent leurs navires sous pavillon de complaisance ou pavillon bis. Ces pavillons leurs permettent de bénéficier d’avantages fiscaux (Taxes sur le tonnage et non sur  les résultats de l’armement).et de jouir de larges facilités de financement (leasing par le biais des paradis fiscaux et marchés financiers offshore). Au Maroc les armateurs sont traités comme toute entreprise sans que l’on tienne compte de leurs spécificités. Ils éprouvent également des difficultés pour trouver des sources de financement international du fait de leur soumission au droit maritime marocain de 1919 et des conditions de financement  draconiennes imposées par  les banques marocaines (garanties basées sur d’autres actifs que les navires, plus des taux d’intérêt élevés). Enfin, les armateurs marocains n’ont pas la souplesse de leurs concurrents, en particulier les méga carriers en ce qui concerne le recrutement et la gestion des gens de mer. Ils sont soumis au droit marocain avec toutes ses contraintes et coûts en ce qui concerne le personnel navigant. Ces armateurs qui arrivent à résister peignent à trouver des officiers marocains à cause de manque d’une politique de formation au sein de l’ISEM pour répondre aux besoins du secteur maritime et son avenir.

  1. Que faire ? Le Maroc ne peut envisager son avenir que par une maîtrise des industries innovantes parmi lesquelles la filière maritime constitue un complexe industriel à maitriser.
  2. Comment ? Par une nouvelle politique maritime consensuelle ?

Pour sauver et construire sur des bases solides une flotte marocaine, il faut opter pour une stratégie qui combine les actions  des armements privés et/ou publics et de l’État. Pour schématiser cette stratégie, il faut d’une part définir le rôle des armateurs et d’autre part le rôle de l’État.

–              Le rôle des armateurs : Ils doivent avoir la culture des affaires maritimes, centrer leurs efforts sur la valorisation des navires pour la recherche continuelle de la qualité de service, avoir une politique de  maîtrise de la chaine de transport pour répondre aux besoins croissants des chargeurs. Par ailleurs il leur faut garder présent à l’esprit la recherche de l’innovation qui nécessite de l’audace et de l’imagination dans les stratégies maritimes. Enfin, ils doivent mener une gestion consensuelle ave les instances publiques à savoir le gouvernement.

–              Le rôle de l’État : avec les nouvelles tendances de l’économie mondiale l’État doit avoir une politique globale dans les secteurs connexes du vecteur transport maritime : promotion des exportations, aménagement industrialo portuaire, politique portuaire et multimodale, politique de la filière maritime dans toutes ses composantes : construction et réparation navales, etc.  Il faut que la politique maritime de l’État soit exprimée par un libéralisme éclairé et/ou un protectionnisme vertueux. Last but not  least, l’Etat doit mener des actions concertées avec les armateurs marocains afin de les aider à s’adapter et à  maitriser les mécanismes du marché maritime très complexes et fluctuants. L’État doit créer  une nouvelle Marine Marchande Nationale  à l’écoute des opérateurs maritimes en optant pour une stratégie d’intelligence économique  par la création d’un Observatoire National  des Transports Maritimes et d’un Cluster Maritime pour permettre au Maroc de maîtriser la filière maritime dans toutes ses composantes.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page