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Business Vert : Nouvelle source de profit ou mouvement de fond de nos sociétés ?

Par Sylvie Faucheux

Professeur agrégée des Universités en Sciences Économiques

CNAM Paris

Principales actrices de l’économie, les entreprises sont interpellées pour participer aux solutions de lutte contre le changement climatique. La « décarbonisation » de l’économie ne pourra pas se faire sans elles ! Leur rôle a d’ailleurs été crucial lors de la préparation de la COP 21 et durant la COP 22, à Marrakech, en exposant les solutions disponibles.

La question qui se pose alors, s’agit-il pour elles, d’une véritable prise de conscience environnementale et sociétale ou n’est ce qu’une alternative pour capter de nouveaux profits ?

A l’occasion du Sommet de Davos en 1999, Kofi Annan invitait formellement les entreprises à respecter et à promouvoir les grands principes internationaux en matière de développement durable en adhérant au Pacte Mondial.

Cette application, s’est faite par le biais de leur stratégie de responsabilité sociétale (RSE) et a donné lieu à la mise en œuvre d’un grand nombre d’outils allant des normes aux rapports de RSE, en passant par les codes de conduite, les approches d’éco-conception, la construction d’indicateurs ou encore d’indices s’adressant à des investisseurs responsables

Le positionnement et la stratégie de RSE peuvent, dans les faits, prendre les quatre grandes configurations suivantes :

  • L’entreprise délictuelle ou défensive, faisant fi des exigences écologiques, peut pratiquer le greenwashing et prendre le risque de basculer dans l’illégalité.
  • L’entreprise suiviste respecte les obligations juridiques mais sans anticiper les nouvelles exigences qu’elle considère comme une contrainte.
  • L’entreprise pro-active, se fixe des objectifs élevés de responsabilité environnementale et sociétale, et utilise sa performance extra-financière comme facteur compétitif.
  • L’entreprise sociétale définit son activité au regard des impératifs écologiques et/ou sociaux et aligne sa gestion interne sur les grands principes de développement durable.

Nombre d’auteurs, de travaux et de regroupement d’entreprises (tels que le World Business Council for Sustainable Development) ont insisté, dès les années 1990, sur le fait que les stratégies pro-actives de RSE, bien formulées, pouvaient induire un certain nombre d’avantages.

  • Une meilleure rentabilité et une réduction des coûts de fonctionnement, via par exemple, l’éco-efficience.
  • La capacité à attirer et retenir les bons employés et…à améliorer la productivité du travail.
  • L’amélioration de la réputation.
  • L’anticipation juridique et réglementaire.
  • Le moteur à l’(éco)-innovation.

Plusieurs études, publiées récemment, le confirment. Le plus complet, notamment en France, est le rapport gouvernemental intitulé « Responsabilité Sociale des entreprises et compétitivité. Evaluation et approche stratégique »[1]. Il s‘agit d’une enquête portant sur 8500 entreprises françaises, incluant les PME, qui analyse le lien entre la performance économique des entreprises et la RSE (avec une comparaison Régionale). Ce travail aborde bien, ce qui est rare, la RSE dans toutes ses dimensions : économique, sociale, environnementale.

Une des conclusions est édifiante : la RSE procure un gain de performance en moyenne de l’ordre de 13% par rapport aux entreprises qui ne la mobilisent pas !

Ce rapport offre la démonstration, par le terrain, en France (mais il n’y a aucune raison pour que les résultats soient différents ailleurs) et sur un très grand nombre d’entreprises, que loin de constituer des freins, les impératifs du développement durable peuvent revitaliser la croissance économique et que la « modernisation écologique », dont la décarbonisation fait partie, participe à la compétitivité d’une économie et de ses entreprises.

Le Maroc emprunte d’ailleurs cette voie. A titre d’illustration, citons le nouveau Plan d’accélération industrielle (2014-2020) visant à améliorer l’environnement et la compétitivité des entreprises, particulièrement des PME, et à soutenir l’intégration graduelle des TPE. Ce plan concerne au premier chef les filières vertes.

Alors, pour répondre à la question que nous posions en début d’article, oui le business vert, constitue une véritable opportunité pour la compétitivité des entreprises et leur profit. Mais c’est aussi positif pour l’environnement et le sociétal en créant de la valeur ajoutée et des emplois. Etre vertueuses, du point de l’environnement, relève, pour les entreprises, de ce que Porter et Van der Linde avaient qualifié, dans leur article célèbre de 1995, de « win-win » stratégie : gagnante pour l’environnement et gagnante pour l’entreprise[2].

Cela explique que les entreprises défensives ou suivistes seront dans les faits de moins ne moins nombreuses.

Mais qu’en est-il des entreprises Sociétales ?

L’entrepreneuriat sociétal répond aux besoins sociaux et environnementaux (éco-innovations, circuits courts, accès aux soins, économie circulaire, etc…) en créant de l’activité et des emplois non délocalisables sur les territoires. Cela consiste finalement à prendre son destin en main pour créer une nouvelle économie, plus durable, qui ne soit fondée ni sur le modèle du tout étatique ni sur celui du tout financier .

L’entrepreneuriat sociétal accompagne le mouvement de fond de nos sociétés qui font face à plusieurs mutations : contexte économique difficile, marché de l’emploi traditionnel en attrition, budgets publics réduits, inefficacité commerciale des entreprises, enjeux environnementaux. Un rapport du Centre d’Analyse Stratégique et de l’OCDE[3] souligne l’ampleur de ce phénomène.

Le premier baromètre du moral des entrepreneurs sociétaux, en France, est paru en Mars 2015[4]. Il en ressort un certain nombre de résultats édifiants et surtout encourageants.

86% des entrepreneurs sociaux interrogés considèrent qu’ils ont de fortes perspectives de croissance et d’emplois pour leur entreprise. Ils pensent que les moteurs de leur activité sont l’innovation, les ressources humaines, la préservation de l’environnement, la stratégie commerciale et les Technologies de l’Information et de la Communication. Le point le plus positif est certainement celui de l’intégration des jeunes qui y est exceptionnelle avec 93% des entrepreneurs sociétaux interrogés qui voient en eux un pari sur l’avenir ! A noter que 36% de ces dirigeants d’entreprises ont moins de 34 ans ! Au total les entrepreneurs sociétaux sont beaucoup plus enthousiastes pour l’avenir que les autres dirigeants d’entreprises.

L’entrepreneuriat sociétal ne doit pas être perçu comme une exception française. Il s’agit d’un mouvement mondial. La Commission Européenne, dans son programme Horizon 2020, a mis en exergue le soutien aux innovations dans ce champ.  Au Maroc, bien que la culture de solidarité et d’entraide fasse partie des traditions, l’émergence du secteur économie sociétale sous une forme structurée et organisée date du début des années 1990. C’est à partir de 2005, et le lancement de l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH) par sa Majesté le roi Mohamed VI que les organisations de l’économie sociétale se sont fortement mobilisées. Elles interviennent pour identifier les besoins des populations, porter des activités génératrices de revenus, participer au financement et aux organes de gouvernance de l’INDH, organiser les bénéficiaires des projets, etc… Une cartographie des opportunités d’emplois et d’entrepreneuriat sociétal, conduite dans le cadre du projet « YES GREEN » confirme l’existence d’un potentiel important pour l’insertion des jeunes (Nations Unies, 2016).

Une telle effervescence n’est pas sans lien avec la transformation, silencieuse (pour le moment !) mais irrémédiable de l’exigence des jeunes (appartenant à la génération dite Y) arrivant sur le marché de l’emploi, en faveur d’un emploi qui ait un sens dans une organisation (publique ou privée) et qui soit porteuse de valeurs.

Une étude récente auprès des jeunes diplômés du Supérieur, en France, menée en partenariat entre la Conférence des Grandes Ecoles (la CGE), le Boston Consulting Group et IPSOS, ne fait que confirmer de façon édifiante cette lame de fond…et son titre est suffisamment évocateur à lui seul : « Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi. Et si l’Enterprise sociétale et Solidaire était une solution ? »[5].

De façon synthétique, il y apparaît, non seulement que les étudiants et les jeunes diplômés sont davantage exigeants sur le contenu de l’emploi et l’ambiance au travail que sur les conditions matérielles, mais surtout que les valeurs, notamment environnementales, et le sens sont primordiaux : Utilité (97%), altérité (88%) et innovation 94%.

Il en ressort aussi qu’un étudiant sur deux souhaiterait travailler dans l’Economie Sociétale, en étant persuadé que ce secteur va connaître un bon considérable dans les prochaines années. Beaucoup déclarent envisager de se lancer, à un moment ou à une autre dans l’entrepreneuriat Sociétal.

Les domaines de prédilection sont aussi ceux qui correspondent le plus aux futurs éco-innovations responsables et surtout au croisement entre Développement Durable et Technologie de l’Information et de la Communication, notamment dans tout ce qui relève de l’économie de la fonctionnalité (remplacement des produits par des services) et de l’économie circulaire.

Il s’agit d’une transformation nous donnant un signal positif sur le fait que le Business vert n’est pas seulement un nouveau moyen de capter des profits pour les entreprises, mais que la  transition vers le développement durable est bien en marche….et ce sont les jeunes qui en sont les acteurs !

[1] de Salima Benhamou et Marc Diaye et publié chez France Stratégie en janvier 2016

http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_etude_rse_finale.pdf

 

 

[2] Porter M.E., van der Linde C., « Toward a New Conception of the Environment – Competitiveness Relationship », Journal of Economic Perspectives, 9(4), pp. 97-118, 1995

[3] http://www.oecd.org/cfe/leed/Social%20entrepreneurship%20policy%20brief%20FR_FINAL.pdf

[4] http://mouves.org/nos-publications/barometres/lancement-du-barometre-du-moral-des-entrepreneurs-sociaux/

[5] https://www.cresspaca.org/s-informer/actualites/nationale/talents-ce-qu-ils-attendent-de-leur-emploi-et-si-l-ess-etait-une-solution

 

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