
Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes,
Lors des deux précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises des Ex-MRE.
Les explications fournies par l’économiste avait une double portée : descriptive et analytique.
La portée descriptive réside dans la présentation de l’objet et de la logique de fonctionnement des comptes en devises des Ex-MRE.
Quant à la portée analytique, elle réside dans l’identification de certains dysfonctionnements des comptes précités et, partant, la proposition de quelques mesures concrètes pour pallier ces dysfonctionnements.
Dans le présent entretien, nous allons interroger Bakkou au sujet d’une autre catégorie de comptes en devises , à savoir les comptes en devises des entreprises bénéficiant du statut CFC.
Quelles sont les modalités de fonctionnement des comptes en devises des entreprises bénéficiant du statut CFC ?
Préalablement à la définition des modalités de fonctionnement des comptes en devises des entreprises bénéficiant du statut CFC,il convient au préalable de préciser la finalité présumée de ces comptes.
Cette finalité est de faire bénéficier les entreprises précitées d’un avantage particulier sur le plan de la règlementation des changes.
Cet avantage réside dans la mise en place d’un régime de convertibilité quasi- totale pour les avoirs en devises de ces entreprises.
Quels sont ces avoirs ?
Selon la circulaire n°2/2018 de l’Office des Changes relative aux dispositions de la règlementation des changes applicables aux entreprises « CFC » , les avoirs liquides en devises de ces entreprises comprennent :
-Les fonds de provenance étrangère collectés par les entreprises « CFC » ;
-Les fonds librement transférables en vertu de la règlementation des changes confiés à ces entreprises dans le cadre de la gestion pour le compte de tiers ;
– Les recettes relatives aux exportations de services réalisées par les entreprises « CFC ».
Fonds de provenance étrangère collectés par les entreprises « CFC ». Pourriez-vous nous en parler davantage ?
Les fonds de provenance étrangère collectés par les entreprises « CFC » comprennent, d’une part, les capitaux collectés par ces entreprises pour leur propre compte, et, d’autre part, les capitaux mis à la disposition des entreprises « CFC » dans le cadre de la gestion pour le compte de tiers.
Les capitaux collectés par ces entreprises pour leur propre compte englobent les fonds issus de l’émission de titres étrangers, de la mobilisation de financements extérieurs et de parts souscrites en devises au capital des entreprises « CFC » par les personnes étrangères et les MRE.
Quant aux capitaux mis à la disposition des entreprises « CFC » dans le cadre de la gestion pour le compte de tiers, ils comprennent les fonds appartenant à des personnes non-résidentes.
Quid des fonds librement transférables en vertu de la règlementation des changes. Pourriez-vous nous éclairer davantage à ce sujet ?
Les fonds librement transférables en vertu de la règlementation des changes désignent les avoirs liquides en devises(ou en dirhams convertibles) déposés auprès de banques marocaines et qui peuvent ,en vertu de la règlementation des changes, être transférés à l’étranger , et ce, sans que ces transferts ne soient soumis à la condition de l’adossement.
La condition de l’adossement symbolise l’idée que les paiements en devises doivent être effectués pour la réalisation d’opérations économiques bien définies par la règlementation des changes (opérations libres).
Par contre « les fonds librement transférables » ,selon le jargon de la règlementation des changes, désignent les avoirs liquides qui peuvent être transférés à l’étranger sans que ces transferts ne soient soumis à la condition de l’adossement précitée.
Autrement dit, ces avoirs peuvent être transférés à l’étranger pour la réalisation de n’importe quelle opération économique. Ceci contrairement aux autres avoirs dont le transfert à l’étranger est conditionné par la réalisation d’opérations économiques bien définies.
C’est clair pour la définition de ces fonds, mais on souhaiterait connaître concrètement la consistance des fonds librement transférables en vertu de la règlementation des changes ?
Les fonds librement transférables en vertu de la règlementation des changes englobent :
-Les disponibilités des comptes en devises ou en dirhams convertibles ouverts auprès des banques marocaines au nom des personnes physiques ou morales étrangères ou au nom des MRE ;
-Les disponibilités des comptes en devises et des comptes en dirhams convertibles ouverts auprès des banques marocaines dans le cadre des dispositions de la loi relative à la contribution libératoire ;
-Les disponibilités des comptes en devises ou en dirhams convertibles ouverts auprès des banques marocaines dans le cadre de la loi n° 63-14 relative aux avoirs et liquidités détenus à l’étranger par les MRE transférant leur résidence fiscale au Maroc ;
-Les fonds pouvant faire l’objet de transfert à l’étranger par les institutions financières marocaines habilitées à effectuer des opérations de placement à l’étranger;
-Les disponibilités des comptes en devises ou en dirhams convertibles ouverts au nom des entreprises « CFC » réalisant des opérations d’exportation de services.
Vous dites ci-dessus que les avoirs en devises des entreprises « CFC » comprennent également les recettes relatives aux exportations de services réalisées par les entreprises « CFC ». Pourriez-vous nous en parler davantage ?
En vertu de la loi relative au statut de « Casablanca Finance City » telle que modifiée et complétée, les entreprises bénéficiant du statut « CFC » comprennent deux principales catégories.
La première catégorie concerne les « entreprises financières ». Ces entreprises englobent les établissements de crédit, les entreprises d’assurance et de réassurance, les sociétés de courtage en assurance et en réassurance, les institutions financières opérant dans le secteur de la gestion d’actifs et les prestataires de services d’investissement, etc.
Quant à la seconde catégorie, elle concerne les « entreprises non financières ». Ces entreprises englobent les entreprises qui fournissent des services professionnels, les sièges régionaux et internationaux et les sociétés holding.
Ainsi, les entreprises qui fournissent des services professionnels sont autorisées en vertu de la règlementation des changes à confier leurs recettes, dans le cadre de la gestion pour compte de tiers, aux entreprises financières.
Vous dites ci-dessus que la finalité des dispositions régissant les comptes en devises des entreprises bénéficiant du statut CFC est de faire bénéficier ces entreprises d’un régime de convertibilité quasi- totale pour les avoirs en devises de ces entreprises. Maintenant que les avoirs en devises à la disposition des entreprises CFC sont clairs, on voudrait vous interroger sur ce que vous entendez par régime de convertibilité quasi- totale pour les avoirs précités ?
Le régime de convertibilité pour les avoirs précités signifie que leurs détenteurs peuvent en disposer librement et les mouvementer sans restriction.
La liberté de disposition de ces avoirs signifie que leurs détenteurs peuvent les garder dans des comptes en devises détenus auprès de banques marocaines.
S’agissant de la liberté de mouvement desdits avoirs, elle signifie que leurs détenteurs peuvent les investir à l’étranger, disposer des revenus de ces investissements, réinvestir librement ces revenus à l’étranger, céder lesdits investissements, réinvestir le produit de cession à l’étranger, etc.
Vous dites ci-dessus que les entreprises bénéficiant du statut CFC peuvent céder les investissements réalisés à l’étranger et réinvestir le produit de cession de ces investissements. Cette affirmation ne ressort pas explicitement à la lecture de la circulaire n°2/2018 précitée !
Effectivement, les opérations librement réalisables sont celles pouvant être enregistrées au crédit des comptes en devises des entreprises CFC.
Or, à la lecture des opérations pouvant être enregistrées au crédit de ces comptes, on remarque que les opérations de cession des investissements réalisées à l’étranger ne sont pas citées parmi ces opérations.
En revanche, les opérations relatives aux revenus générés par les investissements (les placements selon les termes de la circulaire) sont citées.
Toutefois, la circulaire précitée utilise une formulation passe partout « tous autres avoirs en devises de provenance étrangère ».
Cette formulation inclut les opérations de cession des investissements réalisés à l’étranger.
Vous avez ci-dessus souligné que la finalité du régime des comptes en devises des entreprises « CFC » est de faire bénéficier les entreprises précitées d’un régime de convertibilité quasi- totale pour les avoirs en devises de ces entreprises. Or, les explications présentées ci-dessus laissent entendre que ces entreprises bénéficient d’un régime de convertibilité « totale » et non pas « quasi-totale ».
En fait, les entreprises « CFC » ne bénéficient pas d’un régime de convertibilité totale, et ce, du fait que le régime de convertibilité prévu en faveur de ces entreprises n’inclut pas les investissements réalisés au Maroc par ces entreprises.
Concrètement, lorsqu’une entreprise « CFC » effectue un investissement au Maroc, cette entreprise ne peut pas bénéficier du produit de cession en devises de cet investissement.
Autrement dit , cette entreprise ne peut pas créditer son compte en devises du produit de cession de cet investissement.