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La destruction du camp de Jénine, une stratégie d’effacement de la mémoire?

Le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, est désormais presque entièrement vidé de ses habitants et inaccessible. Au cœur de l’opération israélienne « Mur de fer », sa destruction illustre une stratégie plus large, dénoncent habitants et journalistes palestiniens: l’effacement d’une mémoire collective.

Depuis plusieurs mois, l’armée israélienne mène une vaste opération militaire en Cisjordanie, baptisée Mur de fer. Objectif affiché par les autorités israéliennes: l’élimination de brigades armées palestiniennes. L’un des principaux foyers de cette offensive est le camp de réfugiés de Jénine. Sur place, les bulldozers israéliens détruisent les habitations les unes après les autres, sous haute surveillance militaire.

Hatem, un Palestinien originaire de Haïfa, regarde les engins à l’œuvre depuis le toit d’un immeuble, à la périphérie du camp. Il habitait à Jénine depuis quarante ans. « Tous les jours depuis l’ordre de destruction, je venais voir si ma maison était encore là. Je lui disais ‘Bonjour, comment ça va ?’, je lui parlais comme à un humain », confie-t-il au micro de La Matinale de la RTS.

Mais sa maison vient d’être détruite, sur décision de la Cour suprême israélienne. « Je me suis mis à pleurer quand j’ai vu ma maison d’ici. Je vois les bulldozers tout démolir, c’est dévasté, dévasté! Ce n’est plus qu’une ruine. Je n’arrive pas à y croire encore maintenant. Là je vous parle, mais en réalité mon esprit n’est pas là », ajoute-t-il.

Des journalistes pris pour cible

Le camp de Jénine est aujourd’hui presque interdit d’accès. Des tireurs embusqués dissuadent les journalistes de s’en approcher, comme le rapporte Bassam Abou Alrub. Ce reporter palestinien couvre la région depuis vingt ans. Il documente la destruction du camp et le déplacement de ses habitants. Mais les conditions de travail sont devenues périlleuses.

« On filmait depuis le balcon d’un hôtel et ils ont tiré dans notre direction. Vous pouvez voir un grand nombre d’impacts de balles à l’intérieur de l’hôtel. Ils nous ont attaqué », témoigne-t-il.

Pour lui, ces attaques visent à faire taire les témoins. « Je pense que l’armée israélienne a une nouvelle stratégie. Ils veulent diviser le camp, ils créent de grandes routes pour pouvoir s’y déplacer facilement. Je pense qu’ils veulent changer la nature des camps pour en faire un quartier comme un autre. Ils veulent tuer l’espoir et le rêve de tous les réfugiés de pouvoir retourner sur leurs terres qui sont occupées depuis 1948 », analyse-t-il.

« Faire disparaître la preuve de l’expulsion »

Cette crainte, Jamal Zubeidi la partage. Déplacé du camp de Jénine, cet homme de 70 ans est l’oncle de Zakaria Zubeidi, figure de la résistance palestinienne, libéré de prison en janvier dernier.

Pour lui, la stratégie israélienne vise l’effacement de toute une mémoire collective: « Les Israéliens n’ont jamais caché cette stratégie d’effacement de l’identité des réfugiés palestiniens. Le camp est le symbole de l’exode palestinien et de la Nakba de 1948. Ils veulent faire disparaître la preuve de l’expulsion des Palestiniens et la demande de retour des réfugiés », estime-t-il.

Et d’ajouter: « Ce qui se passe aujourd’hui dans les camps vise à transformer les camps en simples quartiers de la ville plutôt qu’en symboles du refuge. Ils prévoient même de donner de nouveaux noms à ces quartiers transformés, en effaçant les noms des camps, qui sont un symbole de la cause des réfugiés. »

Alors qu’Israël vient d’annoncer la construction de 22 nouvelles colonies en territoire palestinien occupé, l’opération « Mur de fer » a déjà entraîné le déplacement de plus de 45’000 personnes dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie. Un chiffre qui alimente encore davantage les inquiétudes quant à l’avenir d’un État palestinien aux côtés d’Israël.

rtsinfo

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