
Omar Bakkou–Chercheur dans le domaine de la politique de change
Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises « assurances en devises ».
Les explications fournies par l’économiste nous ont permis de comprendre les modalités de fonctionnement de ces comptes.
Ces modalités soulèvent bien entendu des questionnements concernant leurs pertinences.
Ces questionnements feront l’objet du présent entretien.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises « assurances en devises » ?
A mon avis, ce compte n’a pas de raison d’être.
Pourquoi ?
Pour répondre à cette question, il serait nécessaire au préalable d’identifier la finalité présumée du régime des comptes en devises « assurances en devises ».
Cette finalité réside en effet dans l’optimisation de la gestion des flux en devises occasionnés par les opérations d’émission de polices d’assurance libellées en devises par les sociétés marocaines d’assurance et de réassurance.
Cette optimisation revêt trois principaux aspects.
Le premier aspect concerne la facilitation des paiements relatifs aux dépenses en devises inhérentes aux opérations d’émission de polices d’assurance libellées en devises par les sociétés marocaines d’assurance et de réassurance.
Cette facilitation consiste à dispenser les sociétés précitées de la formalité de présentation aux banques des documents justificatifs des opérations objets de des dépenses en devises précitées.
Ces opérations englobent toutes les opérations citées au débit des comptes en devises « assurances en devises » explicitées lors du précédent entretien, à savoir : les indemnités, les frais de sinistres, les quotes-parts des primes et autres montants dus aux co-assureurs, etc.
En effet, le seul document exigé à ce titre consiste dans le contrat en devises souscrit conformément à la réglementation des assurances en vigueur.
Ce document est remis par la société marocaine d’assurances et de réassurance au moment de l’ouverture du compte en devises.
S’agissant du second aspect, il concerne l’évitement d’opérations simultanées de cession de devises et d’achat de devises, opérations coûteuses en termes de frais (commissions de change) et également en termes de temps nécessaires pour leurs dénouements.
En effet, au lieu que les sociétés d’assurances et de réassurance cèdent les recettes encaissées sur le marché des changes, puis procèdent au rachat de ces devises sur ce marché, elles peuvent éviter ces opérations à travers le maintien des devises encaissées dans leurs comptes en devises.
Quant au troisième aspect, il concerne la couverture contre les risques de dépréciation des cours de change.
Ces risques surgissent en effet pour les sociétés d’assurances et de réassurance, du fait que ces dernières sont appelées à effectuer des paiements en devises pour la réalisation d’une panoplie d’opérations indiquées ci-dessus.
Vous dites ci-dessus que les comptes en devises « assurances en devises » n’ont pas de raison d’être en soulignant que les arguments qui étayent votre proposition peuvent aisément être saisis à l’aune de l’appréhension de la finalité présumée de ces comptes. Pourriez-vous nous expliquer cela davantage ?
Effectivement, l’analyse approfondie des raisons fondamentales derrière la mise en place du régime des comptes en devises « assurances en devises » permet de relever que ce régime n’a pas de raison d’être.
En effet, concernant la première raison évoquée ci-dessus, à savoir celle consistant à dispenser les sociétés d’assurance et de réassurance de la formalité de présentation aux banques des documents justificatifs des opérations objets des dépenses en devises précitées, cette dispense doit en principe être étendue à l’ensemble des opérations réalisées par lesdites sociétés.
S’agissant de la deuxième et la troisième raisons, à savoir l’évitement des opérations simultanées de cession de devises et d’achat de devises , ainsi que la couverture contre le risque de dépréciation des cours de change, ces raisons ne nécessitent pas la création d’un compte en devises spécifique « assurances en devises ».
En effet, ces opérations peuvent être parfaitement intégrées dans le compte en devises des exportateurs.
Vous dites ci-dessus que la formalité de présentation aux banques par les sociétés d’assurances et de réassurance de documents justificatifs relatifs à leurs opérations doit être généralisée à l’ensemble des opérations en devises de ces sociétés. Pourriez-vous nous expliquer ça davantage ?
Cette question a été traitée dans la quarante sixième partie de notre entretien.
En effet, le secteur des assurances est un secteur « entièrement régulé » : il est encadré par un dispositif constitué d’un corpus règlementaire et d’un organe de supervision.
Le corpus règlementaire est constitué d’un ensemble de textes règlementaires qui définissent les opérations pouvant être effectuées librement entre les résidents et les non-résidents en matière d’opérations d’assurances et de réassurance.
Quant à l’organe de supervision, il s’agit de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale(l’ACAPS) , laquelle autorité a pour mission de veiller au respect par les différents opérateurs des dispositions prévues par les textes précités.
Ce système de régulation a notamment pour implication un encadrement assez strict des transactions extérieures effectuées par les sociétés d’assurances et de réassurance : elles sont totalement définies par la règlementation des assurances.
Ces éléments suggèrent ainsi la mise en place d’un système assoupli en matière d’opérations de change effectuées par les sociétés d’assurance et de réassurance.Ce système devra s’articuler autour de deux principes clés :
-Un cadre libéral en matière de réalisation de toutes les opérations effectuées par les sociétés d’assurance et de réassurance conformément à la règlementation des assurances (sans présentation de manière détaillée de la liste des opérations pouvant être effectuées librement par les sociétés d’assurances et de réassurance, comme c’est le cas actuellement) ;
-Un cadre simplifié en matière de formalités documentaires bancaires exigées préalablement à l’exécution par les banques des paiements en devises au titre des opérations effectuées par les sociétés d’assurances et de réassurance conformément à la règlementation des assurances : présentation d’un simple document interne établi par les sociétés en question , faisant ressortir la nature du paiement(prime ou indemnité) et de l’opération(assurance ou réassurance) , ainsi que le montant à transférer, etc.
Ainsi, l’adoption de ce système simplifié aura pour implication qu’il ne sera plus nécessaire de prévoir un régime particulier pour les sociétés d’assurances et de réassurance qui émettent des polices d’assurance libellées en devises.
Cela videra de sa substance le régime des comptes en devises « assurances en devises », car ce compte a pour finalité de faire bénéficier lesdites sociétés de cet avantage règlementaire, à savoir celui d’effectuer leurs paiements en devises en dispense des formalités documentaires bancaires.
Vous dites également ci-dessus que l’objectif « d’optimisation des flux en devises » n’exigent pas de prévoir un régime particulier « comptes assurances en devises »
Effectivement, car les opérations d’émission de polices d’assurance libellées en devises par les sociétés marocaines d’assurances et de réassurance constituent des opérations d’exportation de services.
Cette qualité a pour implication que ces opérations (émission de polices d’assurance libellées en devises) sont parfaitement intégrables dans le régime des comptes en devises des exportateurs de biens et de services.
En effet, les recettes réalisées au titre desdites opérations peuvent être portées au crédit des comptes en devises des exportateurs de biens et de services.
De même, les dépenses en devises inhérentes auxdites opérations peuvent être portées au débit des comptes en devises des exportateurs de biens et de services.
Donc vous proposez si j’ai bien compris l’intégration du compte en devises « comptes assurances en devises » dans le compte en devises exportateurs de biens et de services.
Oui , effectivement.