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Le régime des crédits commerciaux est-il pertinent ?

Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes

Lors des deux précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les crédits commerciaux.

Ces dispositions ont pour objet de mettre en place un cadre libéral partiel pour la réalisation des opérations relatives aux crédits commerciaux.

Ce cadre libéral s’articule autour de deux volets : la définition des opérations relatives aux crédits commerciaux et la fixation des conditions de leurs réalisations.

Ces deux volets concernent les deux séquences du cycle de vie des opérations précitées, à savoir : les opérations d’octroi de crédits et celles relatives au remboursement de ces crédits.

Ces éléments, présentés de manière détaillée dans les deux précédents entretiens, soulèvent toutefois quelques questionnements concernant leur pertinence. Ces questionnements feront l’objet du présent entretien.

Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les crédits commerciaux ?

Les dispositions de la règlementation des changes régissant les crédits commerciaux soulèvent quelques observations.

Ces observations concernent particulièrement la première séquence du cycle de vie des opérations relatives aux crédits commerciaux, à savoir : les opérations d’octroi de crédits commerciaux.

 Quelles sont alors vos observations concernant les dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations d’octroi de crédits commerciaux ?

L’article 187 de l’Instruction Générale des Opérations de Change(l’IGOC-24) définit les crédits commerciaux librement réalisables en vertu de la règlementation des changes.

Cette définition s’établit comme suit :  « Les crédits commerciaux désignent les crédits accordés par l’exportateur de biens ou de services, ou une banque marocaine seule ou dans le cadre d’un consortium en faveur de clients non-résidents, sous forme de crédits fournisseurs ou de crédits acheteurs remboursables à court terme. Ces crédits doivent être liés à des opérations d’exportation de biens ou de services ».

Ces crédits peuvent être accordés, en vertu de l’article 188 de l’IGOC-24, dans la limite de 85% de la valeur des biens ou des services exportés et le cas échéant, couvrir 100% du coût de l’assurance-crédit à l’exportation souscrite auprès d’une entité habilitée établie au Maroc.

Ces dispositions soulèvent une première remarque concernant l’échéance des crédits : il s’agit de crédits remboursables à court terme.

Cette échéance a été fixée en 2022, alors qu’auparavant (de 2007 à 2022), ces crédits pouvaient être accordés à moyen et long terme.

Cette mesure constitue un antécédent dans l’histoire de la règlementation des changes. En effet, depuis le lancement du processus de libéralisation du contrôle des changes au début des années 1980, il n’y a jamais eu de retour en arrière sur une mesure libérale.

Ce retour en arrière demeure par ailleurs injustifié dans la mesure où l’expérience libérale menée ce titre, durant la période précitée, a révélé un très faible recours des entités résidentes ( les banques et les exportateurs) à cet instrument financier : les chiffres sont très modestes.

Une autre remarque soulevée au sujet des dispositions relatives aux crédits commerciaux concerne le fait d’autoriser les banques à réaliser ces opérations.

En effet, cette autorisation doit en principe être accordée par la règlementation prudentielle éditée par Bank Al Maghrib, réglementation qui définit les montants et les modalités de constitution des avoirs en devises par les banques.

Cette approche règlementaire est celle d’ailleurs  adoptée par plusieurs pays , notamment la Malaisie, la Moldavie, le Vietnam, les pays membres de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale , ainsi que ceux membres de  l’Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest .

Enfin, une dernière remarque au sujet des dispositions de la réglementation des changes régissant  les crédits commerciaux concerne le taux limite de 85% de la valeur des biens ou des services exportés .

Ce taux doit à mon avis être supprimé pour les raisons invoquées ci-dessus, notamment le faible enjeu macroéconomique de ces opérations.

Vous proposez si j’ai bien compris une libéralisation totale des opérations relatives aux crédits commerciaux !

Absolument . Plus précisément, les dispositions relatives aux crédits commerciaux pouvant être accordés par les entités résidentes (les banques et les exportateurs) seront régies, selon le schéma proposé, par deux cadres règlementaires.

Le premier cadre concerne les crédits accordés par les banques aux non-résidents qui seront intégrés dans  la règlementation prudentielle de Bank Al Maghrib.

Cette intégration devra être opérée, au niveau de la règlementation des changes, à travers une disposition générale qui stipule que « toutes les opérations en devises des banques sont définies par Bank al Maghrib ».

Quant au second cadre, il devra concerner les crédits accordés par les exportateurs.

Ces crédits bénéficieront d’un cadre totalement libéral selon le schéma proposé.

Est-ce que le schéma libéral que vous proposez ne risque t-il pas d’avoir un impact négatif sur les avoirs de réserve du Maroc ?

Le schéma proposé n’aura aucun impact sur les avoirs de réserve, car les opérations d’octroi de crédits commerciaux par les exportateurs constituent des opérations économiques limitées par des contraintes économiques pures.

Ces contraintes résident dans le fait que les exportateurs sont obligés d’encaisser les recettes issues de leurs opérations d’exportation pour payer leurs diverses charges courantes et financières, lesquelles charges représentent en moyenne  environ 90% de la valeur des biens produits.

En outre, il convient de signaler qu’environ 50% des recettes d’exportation  sont générées par des entreprises d’origine étrangère, lesquelles entreprises ont la liberté de transférer à l’étranger la totalité de leurs bénéfices à l’étranger.

Cet élément suggère qu’une bonne partie des risques présumés de non rapatriement des recettes ,en conséquence d’une éventuelle mesure de libéralisation des crédits commerciaux à moyen terme, existe déjà.

Ces arguments « théoriques » en faveur de la libéralisation totale des crédits commerciaux sont confirmés sur le plan empirique par l’expérience libérale du Maroc en la matière durant la période 2007-2022 soulignée ci-dessus, expérience ayant révélé le très faible recours des entités résidentes (les banques et les exportateurs) à cet instrument financier : les chiffres sont très modestes.

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