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Le régime des « financements en dirhams » est -il pertinent ?

Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes,

Lors des deux précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au
sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les
opérations de « financement en dirhams ».
Ces dispositions ont pour objet de mettre en place un cadre libéral pour la
réalisation d’une liste bien définie de prêts bancaires accordés en dirhams aux
non-résidents.
Ce cadre libéral s’articule autour de deux volets : la définition des opérations de
financement en dirhams librement réalisables et la fixation des conditions de
leurs réalisations.
Ces éléments, présentés de manière détaillée dans les deux précédents
entretiens, soulèvent toutefois quelques questionnements concernant leur
pertinence. Ces questionnements feront l’objet du présent entretien.


Quel regard portez-vous au sujet des dispositions de la règlementation des
changes régissant les opérations de « financement en dirhams » ?

Les dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations de
« financement en dirhams » sont consignées dans la sous-section 3 de la
section 2(opérations en capital des résidents) relevant du chapitre IV de
l’Instruction Générale des Opérations de Change-24.
Ces dispositions présentées de manière détaillée dans les deux précédents
entretiens soulèvent des remarques de forme et de fond.
Quelles sont vos remarques de forme au sujet de ces dispositions ?
A l’instar de toutes les opérations en capital, les opérations relatives aux
« financements en dirhams » sont des opérations inter-temporelles.

Cela signifie qu’il s’agit d’opérations ayant un cycle de vie , cycle dans lequel on
observe plusieurs opérations continues dans le temps.
Ces opérations peuvent être scindées en deux catégories d’opérations. La
première catégorie d’opération consiste dans l’opération d’octroi de prêts par
les banques marocaines aux entités non-résidentes.Quant à la seconde
opération, il s’agit de l’opération ou plutôt des opérations de remboursement
des prêts extérieurs précités.
Ces deux catégories d’opérations doivent bien entendu faire l’objet de
dispositions de la règlementation des changes.
Or, on remarque que les dispositions régissant les opérations de
« financements en dirhams » précitées concernent uniquement les opérations
d’octroi de prêts par les résidents aux non-résidents.
En revanche, les opérations relatives au remboursement de prêts ne sont pas
encadrées sur le plan de la règlementation des changes. Autrement dit, il n’y a
pas une disposition qui oblige les banques de se faire rembourser.
Quid de vos remarques de fond au sujet des dispositions de la règlementation
des changes régissant les opérations de « financements en dirhams » ?

J’ai quatre principales remarques au sujet des dispositions de la règlementation
des changes régissant les opérations de « financements en dirhams ».
La première remarque concerne l’intitulé « financements en dirhams », intitulé
qui me paraît incohérent avec le titre de la sous-section « Prêts au profit des
non-résidents ».
En effet, cette partie « financements en dirhams » constitue une subdivision de
la sous -section « Prêts au profit des non-résidents ».

Cette subdivision doit, par conséquent, être logiquement intitulée « prêts en
dirhams ».
Cette appellation permettra également d’éviter toute confusion avec la sous-
section 2 « financements extérieurs » relevant de la section 1 (du chapitre IV),
financements qui désignent les emprunts extérieurs pouvant être contractés
par les résidents.
S’agissant de la deuxième remarque, elle concerne le plafond établi en matière
de crédits pouvant être accordés par les banques pour l’acquisition et/ou la
construction de biens immeubles au Maroc, plafond fixé à 70% du prix du bien
immeuble à acquérir ou à construire.
Ce plafond destiné en principe à réduire la demande de crédits accordés aux
non-résidents pour la construction ou l’achat de biens immeubles au Maroc
est à mon avis inutile pour les deux principales raisons suivantes :

  • La Première raison est que les banques financent rarement à concurrence de
    100% les projets pour lesquels les crédits sont demandés ; par conséquent
    cette limitation est établie de facto.
  • La seconde raison est que l’objectif présumé de ce plafonnement indiqué ci-
    dessus demeure absurde, particulièrement dans un contexte d’atonie du
    secteur de l’immobilier.
    Pour ce qui de la troisième remarque, elle concerne les documents exigés par la
    règlementation des changes préalablement à la réalisation des opérations de
    « financements en dirhams ». Ces documents explicités lors du précédent
    entretien doivent à mon avis être supprimés.

Pourquoi ? 

Les documents exigés par la règlementation des changes ont pour finalité de
justifier « l’effectivité présumée » des opérations librement réalisables en vertu
de cette règlementation.
Or les opérations de « financements en dirhams » concernent des prêts
accordés en dirhams par des banques marocaines, prêts qui constituent par
nature des opérations effectives. Autrement dit, les banques ne peuvent pas
accorder des prêts fictifs en dirhams , du fait qu’elles sont contrôlées par un
dispositif de supervision assez lourd et tatillonne.
Et qu’est-ce que vous proposez comme alternative ?
Je propose une disposition qui stipule que préalablement à l’octroi des prêts en
dirhams aux non-résidents, les banques doivent se faire remettre les
documents habituellement requis pour l’octroi de prêts bancaires.
Venons maintenant à votre quatrième remarque concernant les dispositions
de la règlementation des changes régissant les opérations de « financements
en dirhams » !

La quatrième remarque concerne les dispositions relatives aux modalités de
dénouement monétaire de deux opérations de « financements en dirhams », à
savoir les crédits accordés par les banques au personnel étranger relevant de
représentations diplomatiques ou d’organisations internationales et les
accordés aux personnes physiques étrangères non-résidentes pour le
financement de l’acquisition et/ou de la construction de biens immeubles au
Maroc.
Cette disposition consiste dans l’obligation que les crédits précités soient virés
dans des comptes ouverts au nom des bénéficiaires, appelés « compte spécial » en dirhams, compte qui ne doit donner lieu à aucune opération de transfert à
l’étranger.
Cette contrainte réglementaire doit à mon avis être supprimée.
Supprimée , cela signifierait la suppression de cette catégorie de comptes ,
appelés « comptes spéciaux » !

Effectivement.
Mais cela ne risque-t-il pas de créer un vide réglementaire, car à ma
connaissance ces entités non-résidentes bénéficiaires de prêts bancaires ne
peuvent pas ouvrir des comptes en dirhams ?

En vertu des dispositions de l’article 157 de l’IGOC-24, les banques sont
autorisées à ouvrir au nom des personnes physiques étrangères non-
résidentes des comptes en dirhams convertibles pouvant enregistrer au crédit
une liste bien définie d’opérations économiques .Cette liste ne contient pas les
opérations relatives aux prêts en dirhams accordés par les banques à ces
personnes.
Ces dispositions peuvent être modifiées en ajoutant à la liste précitée les
opérations relatives aux prêts en dirhams accordés par les banques à ces
personnes.
Permettre aux personnes physiques étrangères non-résidentes bénéficiaires
de crédits en dirhams de loger les fonds qui leur sont prêtés par les banques
dans des comptes en dirhams convertibles signifie que ces personnes peuvent
transférer le produit de ces prêts à l’étranger.
Effectivement, les disponibilités des comptes en dirhams convertibles peuvent
dans ce cas faire l’objet de virement à l’étranger.

Mais il s’agit d’opérations portant sur des montants très modestes, et partant,
de très faibles enjeux macroéconomiques.

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