
Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes,
Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations de placement à l’étranger des résidents.
Les explications données par Bakkou nous ont permis de saisir l’objet de cette règlementation, à savoir la définition d’un cadre partiellement libéral pour la réalisation des opérations précitées.
Ce cadre s’articule pour rappel autour de deux volets : la définition des opérations de placement à l’étranger librement réalisables et la fixation des conditions de réalisation de ces opérations.
Ces éléments, présentés de manière détaillée dans le précédent entretien, soulèvent toutefois quelques questionnements concernant leur pertinence.
Ces questionnements feront l’objet du présent entretien.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations de placement à l’étranger ?
Les dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations de placement à l’étranger se caractérisent par quelques insuffisances.
Ces insuffisances concernent les deux volets de cette règlementation, à savoir le volet relatif à la définition des opérations de placement à l’étranger librement réalisables et le volet relatif aux conditions de réalisation de ces opérations.
Vous dites ci-dessus que la définition des opérations de placement à l’étranger est impertinente. Pourriez-vous nous expliquer cela davantage ?
Effectivement , cette définition souffre d’un biais conceptuel.
Ce biais réside dans le fait que le concept utilisé par l’IGOC-24 « placement à l’étranger » est un concept inexistant au niveau des systèmes de classification des transactions économiques internationales , notamment ceux du FMI.
En effet, le concept consacré à ce titre par les normes internationales est celui d’investissement de portefeuille.
Ce concept est utilisé sans aucune référence territoriale, et ce, afin de mieux appréhender les opérations d’investissement de portefeuille dans leur globalité.
Ces opérations peuvent en effet être réalisées par le biais d’achat d’instruments financiers émis soit à l’étranger soit à l’intérieur du pays ; l’essentiel c’est que les valeurs mobilières acquises par les résidents concernent des valeurs qui appartiennent à des non-résidents.
Si j’ai bien compris vous proposez le remplacement du titre actuel de cette sous-section « placement à l’étranger » par « Investissement des institutions financières », n’est-ce pas ?
Effectivement , je propose le remplacement de l’intitulé actuel de cette sous-section « placement à l’étranger » par l’intitulé « Investissement des institutions financières ».
Ce changement de l’intitulé de cette sous-section doit être accompagné par une modification de sa définition.
En effet, au lieu de la définition actuelle « les opérations de placement à l’étranger des institutions financières désignent tout placement à l’étranger licite au sens de la loi étrangère qui le régit, réalisée conformément à ……. », il est proposé de remplacer « tout placement à l’étranger » par toute opération donnant lieu à la constitution d’avoirs par les institutions financières ».
Cette définition est plus large que la précédente dans la mesure où elle permettra d’intégrer les instruments financiers émis par des non-résidents au Maroc.
En outre, sur le plan du benchmarking , cette définition est adoptée par plusieurs pays , notamment la Chine , l’Inde, la Malaisie (pour les émissions en devises),les pays de la Communauté Economique Monétaire des pays de l’Afrique Centrale , ainsi que la Namibie.
Vous dites ci-dessus que les conditions de réalisation des opérations de « placement à l’étranger » sont impertinentes, pourriez-vous nous expliquer cela davantage ?
Les conditions de réalisation des opérations de « placement à l’étranger » fixées par la règlementation des changes comprennent les éléments suivants :
-L’obligation de paiement des opérations de placement à l’étranger dans la limite de montants bien déterminés ;
-L’obligation d’exécution des paiements relatifs aux opérations précitées à travers les banques ;
-L’obligation d’accomplissement de certaines formalités par les personnes concernées par lesdites opérations auprès des banques ;
– L’obligation d’accomplissement de certaines formalités par les banques pour le compte de l’Office des Changes.
Ces conditions soulèvent plusieurs remarques de fond quant à leurs pertinences économiques. Ces remarques concernent essentiellement la première condition.
La première condition concerne l’obligation relative au fait que les montants pouvant être placés à l’étranger ne doivent pas dépasser certains seuils fixés par la règlementation des changes. Quelles sont vos remarques à ce sujet ?
En vertu de l’article 177 de l’IGOC-24, les opérations de placement à l’étranger peuvent être effectuées dans la limite de :
-Plafonds fixés par Bank Al Maghrib pour les banques ;
-5% du montant total de leur actif net du dernier bilan clos, pour les entreprises d’assurances et de réassurance ;
-5 % du volume total de leurs réserves, pour les organismes de retraite ;
-10% de la valeur de leur actif net, pour les OPCVM collectant des souscriptions en dirhams et 100% du montant des souscriptions, pour les OPCVM collectant des souscriptions en devises ou en dirhams convertibles .
– 50% des souscriptions collectées en dirhams, pour les OPCC collectant des souscriptions en dirhams et 100% du montant des souscriptions pour les OPCC collectant des souscriptions en devises ;
– 10% de la valeur de leur actif net, pour les OPCI collectant des souscriptions en dirhams et 100% du montant des souscriptions, pour les OPCI collectant des souscriptions en devises ou en dirhams convertibles.
Ce système de plafonnement me paraît asymétrique dans la mesure où il opère une différenciation entre les banques et les autres institutions financières.
En effet, les montants maximums pouvant être placés à l’étranger par les banques sont fixés par l’autorité de régulation de ces entités, à savoir Bank al Maghrib.
En revanche, les montants maximums pouvant être placés à l’étranger par les autres institutions financières ne sont pas fixés par l’autorité de régulation de ces entités .
Vous proposez donc que les montants maximums pouvant être placés à l’étranger soient du ressort des autorités de régulation de ces institutions.
Absolument, d’autant plus qu’une telle mesure sera susceptible d’améliorer notre système de gouvernance économique, et ce, en prévalant le principe de l’unité de commandement.
Principe de l’unité de commandement ?
Ce principe signifie concrètement que chaque opération économique internationale sera régie par une réglementation unique au lieu du cadre actuel marqué par une dualité réglementaire : les opérations de placement à l’étranger sont régies par la règlementation des changes et par les règlementations prudentielles applicables à ces opérations ( code des assurances pour les opérations de placement des sociétés d’assurance et de réassurance, etc.).
Mais l’approche que vous prônez ne risque-t-elle pas d’avoir des impacts négatifs sur les équilibres extérieurs du Maroc ?
Non au contraire, les règlementations prudentielles régissant les institutions financières dans tous les pays du monde fixent des montants maximums pouvant être investis dans des actifs libellés en devises étrangères.
Ces plafonds établis dans l’objectif de préserver la santé financière de ces institutions constituent des garde-fous naturels contre toute opération de « surinvestissement » au demeurant pernicieuse pour les équilibres extérieurs.
Si j’ai bien compris vous insinuez que les réglementations prudentielles des institutions financières fixent des plafonds en matière d’opérations de placements en devises de ces institutions lesquels plafonds sont compatibles avec les objectifs de préservation des équilibres extérieurs !
Absolument.