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RÉCLAMATION SINISTRE-AUTO : QUE FAIRE POUR L’ATTÉNUER?

L’assurance automobile est l’une des assurances obligatoires au Maroc. Ce produit de masse et d’appel est le fer de lance de toute compagnie d’assurance sans exception  et chaque compagnie met le paquet et cherche à se démarquer par ses offres et par sa qualité de service. Sans le moindre doute ses offres et solutions ont embelli l’image du marché mais sans pour autant changer la perception de l’assuré qui ne voit pas du bon œil les compagnies d’assurances

L’expérience de l’assuré sinistré reste l’élément déterminant dans cette bataille. Elle pourrait, en cas d’une mauvaise prestation de la part de l’assureur, faire immigrer un assuré mécontent d’une compagnie à une autre. Ce dernier pourrait faire autour de lui une tâche d’huile et le château de cartes s’écroule d’un seul coup. Comme, elle  pourrait faire d’un assuré satisfait un ambassadeur de la compagnie et de la marque qui en fait la promotion auprès d’autres assurés et autour de lui.

En somme, l’expérience vécue par l’assuré influence son attitude vis-à-vis du produit et, par ricochet, vis-à-vis des compagnies d’assurance.

Il est certain que les compagnies d’assurance fournissent en matière de prospection et de recrutement de  nouveaux assurés des efforts colossaux avec un coût assez important. Le revers de la médaille c’est que la fidélisation/rétention des assurés se voit difficile vu le nombre de réclamations que génère cette branche et qui ne laissent pas la confiance, socle de tout contrat d’assurance, s’installer et s’inscrire dans la durée en créant une relation stable et durable avec l’assuré. La relation client est au-delà de la gestion mécanique  d’un dossier. En fin de course, et toutes choses égales par ailleurs, les compagnies d’assurance, bon gré mal gré, se trouvent prisonnières  du syndrome du seau troué.

La réclamation est-elle un mal nécessaire pour les assureurs ?

La réclamation est une distorsion entre une qualité de service rendue ou délivrée par l’assureur, et une qualité de service attendue par l’assuré. Autrement dit, c’est une distorsion entre une qualité de service reçue par l’assuré et celle attendue ou perçue par l’assuré lui-même.

Cette qualité perçue est un « élément sur lequel les clients se basent pour évaluer la contrepartie de ce qui est donné et ce qui est reçu ». En outre, elle demeure un « élément décisif dans la prise de décision de l’assuré entre renouveler son contrat ou aller chez la concurrence ».

La majorité des réclamations trouvent leur source dans le contrat d’assurance aussi bien sur le volet juridique que technique et dans la non communication de la politique du service après-vente des compagnies d’assurance

Face au flot de réclamations, les assureurs prétendent qu’il s’agit d’un mal nécessaire et que songer à son éradication définitive n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Cette croyance réduit fortement le champ d’action des compagnies d’assurance en se limitant, comme à l’accoutumée, à mettre en place un processus de gestion de la réclamation en montant une entité dédiée. Plus encore, l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale(ACAPS) s’est limitée à mettre en place une plateforme pour recevoir les réclamations des assurés et autres (avocats …) et de les transférer aux compagnies d’assurance en suivant  leurs traitements , sans oublier le médiateur qui a un rôle important à jouer dans la gestion des désaccords  opposant  les assurés aux assureurs.

Faut-il se contenter de gérer une réclamation en attendant l’arrivage d’une autre similaire ou faut-il analyser les causes pour apporter des solutions adéquates et définitives en vue de réduire substantiellement le nombre de réclamations ?

L’espace réservé à cet article, ne nous  permet pas de citer en détail et d’une manière exhaustive  les différentes typologies des réclamations et plaintes qui atterrissent chez les compagnies d’assurance ou la plateforme ACAPS .

Sur le plan quantitatif et si on se réfère, en absence de données communiquées par les compagnies d’assurance, aux statistiques publiées  par l’ACPAS, les réclamations suivent une tendance haussière.

Les réclamations les plus répandues concernent, le montant de l’indemnisation, le délai de traitement des dossiers, le sort du véhicule réformé ou l’exécution des jugements lorsqu’il s’agit des dommages corporels.

Le plus important est d’apporter une analyse en questionnant les processus et  par la suite des réponses durables à des réclamations généralement récurrentes à quelques exceptions près.

La majorité des réclamations trouvent leur source dans le contrat d’assurance aussi bien sur le volet juridique que technique et dans la non communication de la politique du service après-vente des compagnies d’assurance.

Le contrat d’assurance source de réclamation!

 Les compagnies d’assurance ne veulent pas admettre que le consommateur de l’assurance a une « culture très faible en matière d’assurance » et du coup une clarification des articles et clauses du contrat d’assurance automobile avec des termes simples s’impose plus que jamais et évitent  certainement aux assureurs un nombre assez important  de réclamations. Nous nous contentons ici de citer quelques exemples pour démontrer le bien-fondé de notre constat.

L’article « Exclusion concernant le permis de conduire » figurant sur les Conditions Générales Automobile précise : « (…) il n’y a pas assurance lorsque au moment du sinistre, le conducteur n’est pas titulaire d’un permis de conduire en état de validité exigé par la réglementation pour la conduite du véhicule assuré ». Une lecture attentive de cet article ouvre légitimement droit à un nombre de questions : Que faut-il comprendre par « permis de conduire en état de validité » ? Que faut-il comprendre par « un permis de conduire en état de validité exigé par la réglementation ». À quelle réglementation faut-il se référer ?

En sus, il est bien clair que cet article montre que le contrat d’assurance automobile à lui seul n’est pas suffisant pour comprendre certaines clauses et agir en conséquence. Il faut se référer à d’autres réglementations et d’autres textes de lois. Pour le cas qui nous concerne, il faut revenir au  dahir n° 1.10.07 du 26 Safar 1431 (11 février 2010) portant promulgation de la loi n° 52-05 portant Code de la route pour répondre aux questions posées ci-dessus.

Encore l’article 3 dudit dahir renvoie sur des conventions bilatérales entre le Maroc et certains pays en matière de permis de conduire : « (…) Les Marocains et les étrangers titulaires d’un permis délivré par un État avec lequel le Maroc est lié par un accord de reconnaissance réciproque des titres de conduite peuvent échanger leurs titres de conduite contre un permis de conduire marocain, dans les conditions fixées par ledit accord. Les titulaires d’un permis de conduire délivré par un État reconnaissant l’échange du permis de conduire marocain contre son permis national, peuvent échanger leurs titres contre un permis de conduire marocain, dans les conditions fixées par l’administration ».

Est-ce que l’assuré est censé connaître ces pays? Si oui, est ce que la liste de ces États est annexée au contrat d’assurance automobile?

Cet exemple est  fort intéressant si nous intégrons dans notre raisonnement et analyse que l’assuré  au titre du contrat d’assurance automobile n’est pas uniquement le propriétaire du véhicule, il est aussi le conducteur du véhicule avec l’autorisation du propriétaire.

 Imaginons qu’un propriétaire d’un véhicule a prêté son véhicule à un ami de nationalité étrangère qui a un permis de conduire délivré par son pays d’origine. Entre-temps, il a eu un accident de circulation grave dont il est responsable. Le propriétaire du véhicule déclare le sinistre au titre de sa garantie dommages tous accidents pour être indemnisé. Sa compagnie d’assurance après étude du dossier et l’ensemble des documents ( permis de conduire du conducteur au moment du sinistre, la carte grise , l’attestation d’assurance …) décide le rejet de l’indemnisation au motif que le permis de conduire du conducteur n’est pas valable au Maroc , et que le pays d’origine du conducteur n’a aucune convention « de reconnaissance ou d’échange de permis de conduire » avec le Maroc .

Il est bien clair que cet article montre que le contrat d’assurance automobile à lui seul n’est pas suffisant pour comprendre certaines clauses et agir en conséquence

Voilà une source de réclamation. Que font les compagnies d’assurance pour clarifier ces clauses ?

Nous prenons un autre exemple en se référant à l’article relatif à la prescription : « toute action dérivant du présent contrat est prescrite par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance dans les conditions fixées par les articles 36 et 38 de la loi n° 17-99  ».

De prime abord, il faut préciser que la prescription de l’action en responsabilité civile est de 5 ans. Elle est de deux ans pour les assurances de biens. Le contrat d’assurance automobile passe sous silence le délai de prescription de la garantie Responsabilité Civile.

En se référant à la Convention d’Indemnisation Directe « CID » qui lie les compagnies d’assurance en matière de gestion des accidents de circulation impliquant la garantie « Responsabilité civile », nous constatons que le mot prescription ne figure nulle part.

Cette convention, pour une compréhension collective, a « pour but de permettre aux entreprises d’assurances et de réassurance signataires de la convention d’indemniser directement leurs propres assurés partiellement ou non responsables et d’améliorer ainsi la qualité du service et l’expérience client. Elle définit les conditions d’indemnisation directe de leurs assurés en Responsabilité Civile ».

Elle stipule dans son article 24 – Forclusion : « L’assureur direct dispose d’un délai de 18 mois à compter de la date de l’accident pour présenter son recours. Passé ce délai, il perd le bénéfice du  recours  conventionnel et conserve à sa charge le règlement de l’indemnité ».

Selon cet article, l’assureur qui a indemnisé son assuré non responsable ou partiellement responsable d’un accident de circulation au titre de la garantie responsabilité civile, dispose de 18 mois pour récupérer le règlement versé à son assuré  auprès de la compagnie de l’assuré responsable de l’accident de circulation.

En réalité, cette clause de forclusion dissimule la clause de prescription : si l’assuré ne dépose pas ses pièces justificatives de règlement (exemple facture de réparation, ou si l’expert tarde de valider son rapport d’expertise) dans un délai n’excédant pas 18 mois à compter de la date de l’accident, son assureur est en droit de lui opposer  le rejet de tout règlement car il perd d’emblée son recours auprès de la compagnie d’assurance du responsable.

Si nous supposons que le délai de prescription est de deux ans comme le précise les conditions générales du contrat d’assurance automobile ; qui prime alors, en cas de litige avec l’assuré : les conditions générales automobile ou la convention CID que l’assuré ignore complètement?

Nous pouvons continuer sur la même lancée en produisant d’autres exemples de clauses et dispositions techniques et juridiques pour démontrer que le contrat est une  source de réclamations.

La non-communication de la politique de gestion après-vente est une source de réclamation

Nous revenons à la convention CID qui trace dans une large mesure la politique de gestion des sinistres matériels survenus au titre de la garantie Responsabilité Civile. D’ailleurs, en termes de garantie, les réclamations adossées à  la garantie Responsabilité Civile sont les plus nombreuses.

Nous citons deux processus qui génèrent  le plus de réclamations :

1-  Le processus d’expertise contradictoire : la convention stipule qu’à partir d’un certain montant de dommage (plus de 20 000 dhs), l’expertise du véhicule accidenté doit se faire en présence de l’expert de la compagnie de l’assuré non responsable de l’accident et celui de la compagnie de l’assuré responsable. Un simple désaccord entre les deux experts pourrait retarder la gestion du sinistre sans se soucier des tracas générés pour l’assuré. Si cet accord persiste sans que les deux experts se mettent d’accord, il y a lieu d’entamer alors un autre processus, celui de l’arbitrage.

Dans tous ces processus, l’assuré n’est qu’un spectateur d’une scène qui le concerne en premier lieu mais incapable d’agir sauf par l’envoi d’une réclamation. Ne Faut-il pas, dans ce genre de cas, lui donner la possibilité d’être accompagné par un expert privé de son choix ?

2-  Le  processus de gestion des véhicules réformés : Sans exagération aucune, la gestion des véhicules réformés  vient en tête  des réclamations et constitue pour les compagnies d’assurance un vrai casse-tête.Sur ce registre, les compagnies d’assurance, vu la montée  des réclamations, ont essayé plusieurs modèles sans trouver celui qui idéalement peut fluidifier la gestion des véhicules réformés économiquement ou techniquement. Au-delà de la gestion administrative, la détermination de la valeur vénale (le prix marchand du véhicule avant l’accident)  ainsi que la gestion et la vente de l’épave en passant par des appels d’offres auprès des épavistes de tout bord, sont les deux types de réclamations qui reviennent souvent.

De même , il y a lieu de noter que les compagnies d’assurances, conformément au dahir n° 1.10.07 du 26 Safar 1431 (11 février 2010) portante promulgation de la loi n° 52-05 portant code de la route plus particulièrement le chapitre IV section 2 / articles 78 et 79, confient l’expertise des véhicules gravement accidentés à leurs experts sans se soucier du respect des articles cités ci-dessous et qui stipulent :

Article 78 : les rapports d’expertise, mentionnés aux articles 71, 73, 74 et 75 ci-dessus, sont établis par un expert en automobile qualifié pour la délivrance de certificats établissant que les véhicules sont irréparables ou gravement accidentés, justifiant d’une formation initiale et d’une formation continue au contrôle des véhicules irréparables ou gravement accidentés dispensée dans les conditions fixées par l’administration.

Article 79 : L’administration établit la liste nationale des experts qualifiés visés à l’article 78 ci-dessus.

Pour conclure, il est, à notre avis, intéressant de retenir à travers les exemples cités trois constats auxquels il faut peut-être apporter des solutions :

1- que la gestion de la réclamation est loin d’être une simple réponse  ou notification par mail, courrier physique ou autres. Mais, il s’agit d’un vrai travail de Fourmies pour bâtir une relation client où l’assureur et l’assuré sont d’égal à égal en termes d’informations et de compréhension du contrat et ses ramifications.

2-  que  le contrat d’assurance automobile ne suffit pas à lui  seul  pour que l’assuré  ait toute l’information qu’il  lui faut pour être un élément actif dans la gestion de son sinistre et comprendre ce qui se passe autour de lui.

3- La  politique du service après-vente n’est pas communiquée aux assurés  d’autant plus que le processus de traitement des sinistres est chronophage vu le nombre d’intervenants dans la chaîne de la déclaration jusqu’à la clôture du sinistre. Ce nombre d’intervenants est susceptible de générer des réclamations si la compagnie d’assurance ne gère pas comme il le faut ses prestataires de service (Experts,  garages conventionnés…). Pour ne pas être taxé par la fameuse règle « personne n’est censée ignorer la loi », l’assuré est  appelé à régler sa prime d’assurance et chercher, par la suite, un prestataire qualifié pour l’aider à comprendre son contrat et ses ramifications réglementaire et technique, voire l’accompagner en cas de sinistre !

Nous avons fait un tour d’horizon sans pour autant entrer dans le détail en accentuant notre analyse sur les sources principales  de  réclamations touchant la garantie responsabilité civile  concernant les dégâts matériels ou les garanties contractuelles . Notre objectif est d’inviter les acteurs du marché d’assurance à chercher d’abord  le pourquoi de toute réclamation  et voir comment apporter  par la suite des solutions durables pour éviter de s’inscrire dans un cercle vicieux voleur de temps et  du coût.

Enfin,  la réclamation est une opportunité d’amélioration que les compagnies d’assurance et les acteurs du marché doivent saisir afin de faire de cette réclamation un levier de fidélisation.

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