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Les deux médaillés «Nobel» des maths

Maryna Viazovska, de l’EPFL, et Hugo Duminil-Copin, de l’Université de Genève, reçoivent la prestigieuse médaille Fields, la plus haute récompense en la matière.

Double consécration pour l’arc lémanique. Deux chercheurs qui y travaillent ont été récompensés, ce 5 juillet, par la Médaille Fields, considérée comme le Nobel des mathématiques. Cette Médaille, créée en 1936, est décernée tous les quatre ans à des mathématiciens de moins de 40 ans, lors du Congrès international de mathématiques qui s’ouvre aujourd’hui à Helsinki.

L’une des scientifiques récompensées est Maryna Viazovska, 37 ans, titulaire de la Chaire d’arithmétique à l’EPFL. C’est la deuxième femme seulement à recevoir cette prestigieuse distinction sur plus de 60 mathématiciens récompensés à ce jour, après Maryam Mirzakhani en 2014 (Iranienne enseignant aux États-Unis, décédée en 2017 à 40 ans d’un cancer du sein).

Le deuxième lauréat est Hugo Duminil-Copin, 36 ans, professeur ordinaire à la Section de mathématiques de la Faculté des sciences de l’Université de Genève (UNIGE) et professeur permanent à l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES, membre fondateur de l’Université Paris-Saclay).

Comment empiler des oranges

Maryna Viazovska est récompensée pour la résolution du problème de l’empilement des sphères dans les dimensions 8 et 24. La question de l’empilement optimal de sphères avec un minimum de vide entre elles (tel que dans une pyramide d’oranges) occupe les mathématiciens, depuis déjà plus de quatre siècles. C’est en 1611 précisément que Johannes Kepler a suggéré, sans toutefois le prouver, que dans un espace en trois dimensions, c’est la forme pyramidale qui est optimale. Ce n’est toutefois qu’en 1998 que la preuve mathématique a pu en être donnée.

Il était temps de passer aux autres dimensions. «La difficulté est que si le problème est formulé de la même façon, chaque dimension est différente et les solutions optimales dépendent beaucoup de la dimension», avance la mathématicienne. Pourquoi s’intéresser aux dimensions 8 et 24? «Parce que les solutions y sont particulièrement belles et que ce sont des dimensions spéciales», répond la chercheuse. Il y a plus de dix ans, les travaux de Henry Cohn et Noam Elkies avaient établi que ces empilements étaient proches de la perfection (au milliardième de pour cent près) mais sans pouvoir le prouver de manière définitive. Ce que fera Maryna Viazovska.

Ses travaux sont présentés en mars 2016: la démonstration prend 23 pages. Dans la foulée, Henry Cohn la félicite et lui suggère d’étendre la méthode à la dimension 24. Une semaine plus tard, Maryna Viazovska, Henry Cohn et deux autres collègues mettent en ligne un théorème, démontrant la perfection de l’empilement pour un univers de dimension 24.

Née en Ukraine

La carrière de la jeune mathématicienne, née à Kiev, en Ukraine, le 2 décembre 1984, a été précoce et passionnée. Comment en est-elle venue aux maths? Tout simplement: «J’aime les mathématiques depuis l’école. Cela m’a toujours semblé la matière la plus claire». C’est au cours de ses recherches postdoctorales à la Berlin Mathematical School et à l’Université Humboldt de Berlin, qu’elle empoigne et résout la question de l’empilement sphérique dans la huitième et la vingt-quatrième dimension. En décembre 2016, elle choisit de rejoindre l’EPFL, en tant que professeure assistante tenure-track. À peine un an plus tard, âgée tout juste de 33 ans, elle est nommée professeure ordinaire.

Maryna Viazovska explique ses recherches.Mediacom EPFL

Étude des changements brusques de la matière

Les travaux d’Hugo Duminil-Copin, expert en probabilités et passionné de physique, portent, eux, sur la branche mathématique de la physique statistique. Il étudie les changements brusques des propriétés de la matière, comme le passage de l’état gazeux à l’état liquide de l’eau, en faisant appel à la théorie des probabilités. Ces dernières sont en particulier utilisées pour analyser des modèles mathématiques décrivant trois phénomènes distincts: la porosité des matériaux, le ferromagnétisme et les polymères. Dans le premier cas, il s’agit de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans des matériaux tels que la pierre ponce ou le café (quel chemin l’eau emprunte-t-elle lorsqu’elle traverse un tel matériau, par exemple?). Dans le second, de déterminer le comportement des aimants, plus précisément la perte progressive de leur magnétisme, lorsqu’ils sont soumis à des températures élevées. Dans le troisième, il s’agit de comprendre le positionnement des polymères lorsque ceux-ci sont plongés dans un solvant.

En utilisant de nouvelles connexions entre ces modèles, Hugo Duminil-Copin a obtenu des résultats améliorant notre compréhension des phénomènes critiques en physique statistique. «Il s’agit de recherche purement fondamentale, sans application directe. Néanmoins, modéliser mathématiquement les transitions de phase demeure très important: cela permet de mieux comprendre le comportement de la matière. Ce sont des bases solides dont pourra se saisir la recherche appliquée en vue de développements industriels encore impossibles à prévoir», s’enthousiasme le chercheur.

Né le 26 août 1985 à Châtenay-Malabry (France), Hugo Duminil-Copin a grandi en région parisienne. Il entre en 2005 à l’École Normale Supérieure de Paris. Agrégé de mathématiques et titulaire d’un master de probabilités et statistiques de l’Université Paris-Saclay (anciennement Université Paris-Sud), il rejoint l’UNIGE en 2008 pour y effectuer sa thèse de doctorat, qu’il obtient en 2011, sous la direction du professeur Stanislav Smirnov, médaillé Fields en 2010.

C’est la quatrième fois qu’un professeur ou un ancien étudiant de l’UNIGE reçoit la médaille Fields, après Vaughan Jones en 1990, Stanislav Smirnov en 2010 et Martin Hairer en 2014.

Reçus avec les honneurs jeudi à Genève

Les deux lauréats sont aujourd’hui à Helsinki pour recevoir leur prix. Ils rentreront jeudi 7 juillet, en Suisse, où ils seront accueillis en début de soirée, à l’aéroport de Genève, par les autorités genevoises et vaudoises.

Deux autres mathématiciens ont reçu la médaille Fields ce 5 juillet, il s’agit du chercheur basé aux États-Unis, June Huh, et du Britannique James Maynard.

Source: lematin.ch

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