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Le sort triste de Labbas Sbaï, le chirurgien maroco-suisse

Le docteur Labbas Sbaï, double national suisse et marocain, vient de sortir de la prison de Zagora, dans le sud du Maroc. Son crime? Celui de dénoncer inlassablement les trafics et la corruption dans cette région déshéritée, près de la frontière algérienne. Ce chirurgien est surtout l’un des pionniers du tourisme écologique au Sahara.

«J’ai commencé à créer une réserve naturelle, un lieu de vie où la végétation, les animaux et les hommes pourraient profiter d’un coin protégé et préservé», nous expliquait le médecin lors de notre première rencontre. L’oasis accueille désormais des gazelles, des fennecs, des perdrix du désert. «Et même parfois des chacals, à condition qu’ils ne s’en prennent pas aux chèvres», nous assurait-il en souriant.

S’il est marocain, le pionnier du tourisme écologique est aussi suisse. «Et quand on a vécu en Suisse, on ne peut pas fermer les yeux sur certaines pratiques. Sur la collusion entre des trafiquants et certains responsables locaux. J’ai dénoncé le trafic de cigarettes, de drogue, les vols de chameaux. Les autorités m’ont conseillé de fermer les yeux et de me contenter de faire des affaires. Je n’ai pas voulu», raconte le médecin.

Résultat, il est incarcéré une première fois en 2006 pour «outrage à magistrat» et «désordre dans un lieu public». Emprisonné à Ouarzazate, une ville au sud du pays, Labbas Sbaï est rapidement libéré sous la pression de la population qui manifeste devant la prison. Nouvelle arrestation en 2010. Cette fois, il entame une grève de la faim et retrouve la liberté. Ses déboires continuent. «Dans le même temps, les autorités locales se sont acharnées contre lui pour le dépouiller de tous ses biens, et notamment de l’oasis sacrée d’Oum Lâalag qui appartient à notre famille, pour que son bivouac périclite», dénonce son frère Ali Sbaï, dans une lettre ouverte, intitulée «Les combats d’un défenseur d’une région oubliée», envoyée le 14 juin dernier au nom du Comité de soutien du docteur Labbas Sbaï.

Violemment frappé en prison

Mais infatigable, à 67 ans, Labbas prend alors au début de l’année 2022 la tête d’un comité de vigilance des nomades de la région afin de dénoncer les expropriations de terres de certaines tribus et les vols de chameaux. Il est jugé le 26 mai 2022 pour «outrage» et condamné à deux mois de prison ferme. Tandis qu’à l’extérieur du tribunal, la population crie: «Nous sommes tous des Labbas», «Libérez Labbas», ou encore: «Réveillez-vous, la corruption est quotidienne et à tous les niveaux». Il est enfermé dans la prison de Zagora, une autre ville du Sud marocain.

Le 27 mai, Ibrahim, un autre de ses frères, qui habite au Maroc, reçoit par téléphone un appel désespéré de Labbas: «On m’a frappé, on m’a frappé, j’ai perdu conscience deux fois … Ici c’est Guantanamo, ici c’est Abou Ghraib… » Le médecin se plaint de très violents maux de tête. Ali Sbaï quitte alors Genève pour Zagora. Il est reçu le 31 mai par le directeur de la prison, qui lui assure que Labbas va bien, bénéficiant d’une chambre individuelle, avec douche et télévision.

La version du prisonnier est très différente: il raconte à son frère qu’il a été ceinturé et tabassé dès le lendemain de son incarcération pendant plus d’une demi-heure. Il a de violentes douleurs à la tête et réclame un scanner. Le directeur de la prison est alors contraint de reconnaître que le chirurgien a bien reçu des coups, «mais involontaires, dans un malentendu avec un gardien […] On a examiné l’incident et on en a conclu que ça ne nécessitait pas une poursuite…», assure-t-il à Ali Sbaï.

Mais l’état de santé du prisonnier ne cesse de se dégrader. «Il est dans un état de semi-coma, le regard hagard, sans prononcer un mot. Il n’arrive pas à bouger ni à réagir à ce qu’il voit», nous assure Ibrahim. À peine rentré en Suisse, Ali prévient swissinfo.ch qu’il prend le 18 juin un vol Genève-Marrakech. Cette fois, il sera accompagné de Selim et Amina, les deux enfants du médecin, de son petit-fils Elia, sept mois, et de Samuel Lehmann, le compagnon d’Amina. «Nous sommes très inquiets sur l’état de santé de notre père. Nous ne savons toujours pas si les autorités carcérales à Zagora nous autoriseront à le voir», nous explique Selim Sbaï à l’aéroport de Genève. Mais lundi 20 juin, coup de théâtre, le docteur Labbas Sbaï est libéré sans explication.

Très affaibli, il n’a pas pu nous parler depuis sa libération. Il est actuellement hospitalisé à Marrakech. Vendredi 24 juin, son frère Ali nous a adressé un bref message: «C’est horrible ce qu’a vécu Labbas». Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) n’est pas resté inactif, précisant à swissinfo.ch qu’il était «en contact avec M. Sbaï et sa famille ainsi qu’avec les autorités locales». Quant à l’ambassade de Suisse à Rabat, elle est intervenue auprès du Ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger du Royaume du Maroc, et à deux reprises auprès de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR).

De leur côté, les autorités locales se murent dans le silence. En effet, si l’état de santé du docteur Sbaï avait continué à se dégrader, les conséquences auraient pu être très graves non seulement pour la direction de la prison, mais aussi pour la justice locale.

Source: Swissinfo

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