Economie

Organisations patronales: Faut-il les subventionner?

 

Aujourd’hui plus que jamais, l’autonomie financière des organisations patronales est devenue une question d’intérêt général. Si les chefs d’entreprises marocains (97,5%) sont unanimes  à penser que le modèle de développement actuel a atteint ses limites, selon la dernière enquête du Centre marocain de conjoncture, c’est que la transparence dans la gestion des deniers publics est une exigence fondamentale. Si seulement 23,8% des patrons qui apprécient l’État interventionniste et que la majorité (67%) souhaite un État régulateur, alors les organisations patronales devraient se financer elles-mêmes. Un constat tiré de l’ambiguïté qui entoure le rôle des syndicats d’employés, leurs objectifs, leur financement. Sans parler de leur indépendance vis-à-vis de l’État. Au vu de l’essoufflement de la croissance, de la déficience du mode de gouvernance, de la faible diversification productive, de la faible compétitivité et attractivité de l’investissement, l’utilité même de la représentativité patronale se trouve contestée, mais pas unanimement rejetée. La représentativité patronale se mesure de par le monde à son audience, son influence et sa capacité à agir au nom de ses mandants. Ses mesures statutaires mettent au même pied d’égalité la TPE et la Multinationale. Certes la représentativité patronale n’est pas un débat proprement marocain ; bien évidemment elle est remise au goût du jour sous d’autres cieux. On se souvient des dernières élections de la Confédération générale des entreprises du Maroc(CGEM), qui n’ont attiré au vote que 1.851 entreprises, soit un taux de participation de 75%. Ce qui veut dire que les membres directs et affiliés ne dépassent pas le seuil de 3.000 entreprises, sachant que le nombre des entreprises marocaines disposant de l’identifiant commun de l’entreprise(ICE) s’élève à 614.533 à fin 2017. Bien que la CGEM soit autonome financièrement et fonctionne grâce aux cotisations collectées auprès de ses adhérents, sa représentativité demeure en question. Qui veut être le meilleur doit se comparer, dit-on. Et un petit un exercice de benchmarking nous montre que le modèle marocain ressemble à celui français, combinant tous les deux financement public et cotisations. Sachant que notre premier partenaire économique fait l’exception à l’échelle européenne, « alors que l’ensemble des mouvements patronaux interprofessionnels européens dispose de financements totalement privés ».  L’économiste Omar Kettani explique : « jugé obscur et injustifié, le financement public des structures patronales demeure critiqué au vu du très faible retour sur investissement. Souvent elles peinent à justifier la nature de leurs dépenses de fonctionnement ».  Et de conseiller qu’il faut repenser le principe de financement public en évoluant vers l’autonomie financière. À ses yeux, elles ne représentent pas réellement les intérêts des entreprises au vu du cadre général voulant que l’État trop envahissant désire tout contrôler.

Les patronats européens 100 % autofinancés !

En Italie, la Confindustria (Confédération générale de l’industrie italienne) regroupe 224 structures, soit plus de 150.000 entreprises, englobant plus de 5,5 millions de salariés en 2017. Son budget annuel est de 39 millions d’euros.

En Belgique, la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) regroupe environ 50 fédérations professionnelles et 3 organisations territoriales. Son budget de 14 millions d’euros provient d’un financement totalement privé.

En Allemagne, il y a deux structures, à savoir  le BDI (Fédération de l’industrie allemande) et la BDA (Confédération des associations d’employeurs allemandes). Les deux regroupent 1.100 000 entreprises pour environ 32,5 millions d’employés.

Au Danemark, le patronat interprofessionnel a également deux têtes, avec DI (Confédération de l’industrie danoise) et DA (Confédération des employeurs danois). Il rassemble plus de 10.000 entreprises représentant 1,2 million de salariés. Son budget annuel est de l’ordre de 130 millions d’euros.

Au Royaume-Uni, la CBI (Confédération de l’industrie britannique) regroupe 145 fédérations professionnelles. Son budget annuel est de l’ordre de 27 millions d’euros.

En Espagne, la CEOE (Confédération espagnole des organisations patronales) réunit quelque 130 fédérations professionnelles.  Son budget dépasse les 15 millions d’euros.

SOURCE : Cabinet de stratégie d’influence Stan.

ENTRETIEN

Omar Kettani, Économiste et Professeur à l’université Mohammed V à Rabat

« Tout ce qui est institutionnalisé n’est pas évalué!»

 Êtes-vous d’accord avec le financement public des organisations patronales ?

Dans l’état actuel des choses, je reste réticent. Bien que je n’aie rien contre le patronat. Ces subventions qui entrent dans le cadre des dépenses fiscales ne sont mobilisées en réalité que pour influencer l’orientation du syndicat des employeurs dans un pays où la rente capitalistique bat son plein. J’aurais aimé que ces aides financières soient allouées au financement du social, secteur qui ne revendique que 15% des dépenses fiscales. À la rigueur, je serais partant si l’Etat était sérieux et sévère en matière de productivité. Je le serai davantage si les subventions accordées obéissent à des critères objectifs. Autrement dit, soutenir la compétitivité et l’innovation des entreprises, quels que soient leur taille et non seulement les grands comptes.  Ce que j’observe au jour d’aujourd’hui c’est que l’État vit en dessus de ses moyens, ignorant toute politique volontariste de développement économique….

Défendent-elles bien les intérêts des entreprises?

Je tiens à souligner encore une fois que je ne suis pas contre les organisations patronales. Seulement que le cadre général ne leur permette pas de jouer un rôle politique et économique de premier plan. Prenons l’exemple de la fiscalité, elles restent impuissantes…

 

Sont-elles utiles au bon fonctionnement des institutions du pays?

Je vois mal comment elles vont réussir cette mission alors qu’il n y a pas de vision stratégique claire. Répondre à votre question revient à savoir s’il y a vraiment un contrôle voire une notation de ces organisations patronales.  Avoir un cahier de charges n’est pas suffisant, il faut évaluer leur performance. Malheureusement, tout ce qui est institutionnalisé n’est pas évalué. Avez-vous déjà entendu parler d’un contrôle ou d’une sanction prise à l’encontre d’une association ou fédération patronale? Pour discuter de leur utilité ou non, il faudrait préalablement savoir si leur fonctionnement respecte les normes internationales.

 

Font-elles de bonnes propositions pour améliorer l’économie nationale?

Franchement, je ne les vois beaucoup investir ce terrain-là. Loin de jouer le prophète du malheur, je ne manquerai pas d’attirer l’attention sur certaines associations qui font tout de même du bon travail pour ne citer que l’Association marocaine du textile et de l’habillement (AMITH). Mais cela reste insuffisant au vu des grands défis auxquels fait face notre pays. Aujourd’hui, le gouvernement ouvre un débat national sur le modèle de développement économique à suivre. Où est le patronat?

Quid de leur indépendance vis-à-vis de l’État ?

Soyons claires. L’Etat a besoin de gens qui acceptent l’état actuel des choses. Il ne faut pas être utopiste, leur indépendance est remise en cause.

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