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Maroc-Péninsule Ibérique: Le Portugal sort du lot

  • PAR Fatine MABKHOUT
  • Experte Consultante en Politique européenne de Voisinage

Si dans le pourtour méditerranéen, notamment entre la rive nord et la rive sud, ou plus précisément entre le Royaume et la péninsule ibérique, il y a des peuples qui ont en commun un héritage antique, si profond, vu sous différents angles; historique, économique et culturel, c’est bel et bien les peuples marocain, portugais et espagnol.

Si la donne géographique s’impose par elle-même quand on évoque le Maroc, l’Espagne et le Portugal, la donne historique est incontournable pour la compréhension du passé, du présent et de la mise en avant des perspectives des relations  futures entre les trois pays.

D’un côté, le Maroc et l’Espagne entretiennent une relation à dimension stratégique globale, caractérisée par sa maturité et son contenu significatif.

Les deux pays ont toujours voué à promouvoir leur coopération culturelle, sociale, économique et sécuritaire pour mieux relever leurs défis respectifs découlant de leur interdépendance géographique.

D’autre part, le Portugal  fort de ses liens de proximité, d’un  parcours historique commun et de relations politiques très étroites, a toujours  fait du Maroc un partenaire et un interlocuteur privilégié au Maghreb.

En effet, les relations luso – marocaines  sont anciennes et se sont traduites au fil des années  par une intensification et une consolidation des relations bilatérales, et par un engagement actif au niveau multilatéral.

  Ces voisins ibériques, le Royaume les a toujours considérés comme compères à dimension semblable ; ayant subi l’influence des mêmes civilisations, possédant respectivement un modèle économique équilibré et une stabilité socio-politique avérée ; tout autant d’atouts qui les ont fortement motivés pour un rapprochement privilégiant la coopération et le partenariat.

  Cette dynamique positive qui marque des décennies derrière de bon voisinage semble ne jamais s’estomper, mais en réalité, elle n’a jamais été à l’abri de fluctuations économiques  inter-temporelles et de soubresauts politiques.

Si le Portugal qui a l’avantage d’être un pays sans traumas coloniaux ni revendications territoriales dans la terre marocaine jouissant, aujourd’hui, d’une ouverture sans précédent vers un approfondissement progressif et durable de ses liens bilatéraux avec le Royaume chérifien ; les relations avec l’Espagne, quant à elles, n’ont pas été toujours harmonieuses.

Malgré le voisinage, l’histoire partagée et les intérêts communs, l’actualité rappelle que certaines pages de cette histoire commune n’ont pas été tournées et que certains contentieux attendent d’être résolus.

Nul doute que les relations distinguées entre le Maroc et l’Espagne ont donné lieu à un partenariat multidimensionnel à caractère stratégique. Une consécration soutenue par les initiatives et les différentes positions que les deux pays ont prises dans le cadre de la coopération bilatérale et le grand intérêt porté par Rabat et Madrid pour renforcer et consolider leur partenariat. 

En détrônant la France de sa première place de partenaire commercial, notre voisin du Nord a su se propulser au rang de leader des échanges tant au niveau importations qu’exportations en amplifiant, au cours des dix dernières années, le taux de croissance estimé à plus de 10% par an avec des recettes dépassant les 144 milliards de Dirhams.

 Son objectif était même de démultiplier les flux commerciaux à l’horizon 2025. Cependant, l’incertitude totale dans les milieux économiques et d’affaires maroco-espagnols déclenchée par la crise sans précédent entre les deux pays affecte indéniablement l’ensemble des domaines de coopération, en l’occurrence, le volet économique qui serait, selon des économistes chevronnés, l’un des dossiers les plus touché par cette tension.

Une thèse appuyée par une réduction importante de la représentation diplomatique à Madrid avec le départ récent de deux fidèles collaborateurs de Mme l’Ambassadeur Karima Benyaich ainsi que du chargé d’affaires de l’Ambassade. Car, bien que réconciliés théoriquement après l’affaire Brahim Ghali, les deux nations n’ont pas encore officiellement tourné la page de ce différend. N’en dirait pas moins le chef de la diplomatie espagnole ; José Manuel Albares qui sous-entend « que la réconciliation officielle et le retour de l’ambassadrice du Maroc à son poste prendra encore du temps. “Nous devons dissiper toute méfiance, cela peut prendre plus ou moins de temps et je suis sûr que nous y arriverons en fin de compte”. 

Malgré l’appel souverain fait par les monarques  des deux pays, l’un déjà exprimé par le Roi Mohamed VI dans son discours du 20 Août 2021, suivi par celui du monarque espagnol Felipe VI courant Janvier de cette année qui se veut une redéfinition conjointe des relations entre les deux Royaumes sur des piliers plus forts et plus solides, la crise bilatérale amorcée par l’opération Ghali orchestrée par les services secrets algériens avec la complicité du gouvernement de Pedro Sanchez a eu de graves répercussions économiques et politiques laissant l’Espagne à l’écart de nombreux projets d’infrastructure et commerciaux en plus de la détérioration de la situation frontalière de Ceuta et Melilla. Mais particulièrement, elle a eu un impact négatif sur les relations politiques avec le gel des liens diplomatiques, le non retour de l’Ambassadrice du Maroc à son poste, le report sine die de la réunion de haut niveau hispano-marocaine prévue en Décembre 2021 et le refus du Ministère marocain des Affaires Etrangères de la visite du Ministre de la diplomatie espagnole José Manuel Albarés à Rabat.

Pour l’analyste géopolitique espagnol, Pedro Canales « le clash qui a impacté les deux pays partenaires ; sa solution n’est pas économique, mais politique et implique la reconnaissance explicite du gouvernement Pedro Sanchez de l’erreur qu’il a commise avec l’affaire Ibrahim Ghali en n’informant pas dûment le Maroc au préalable. »

Il va sans dire que la position du voisin ibérique sur le dossier du Sahara demeure sujet à interprétation raison pour laquelle cette question continue à exacerber les relations entre Rabat et Madrid. Bien que dans son discours prononcé pour le 68ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le Roi Mohamed VI avait mis en garde contre les positions ambivalentes de quelques pays supposés être amis du Maroc, Madrid n’a encore procédé à aucun acte de bonne foi dans ce sens laissant le dissentiment politique s’étaler.

C’est ce retour à la case de départ de la coopération bilatérale qui remet à zéro les bases de solidité de sa constitution livrant le volet économique dont le monde des affaires dans une nébulosité totale, car quand la confiance est ébranlée au niveau politique, les liens économiques, même si toujours existantes, sont affaiblies.

Dans sa relation avec la péninsule ibérique, le Maroc entreprend une démarche relationnelle avec ses pays avoisinants visant à embrasser la diversité des situations de partenariats offertes à lui en préconisant une approche qui se veut souple, flexible basée sur la confiance, le dialogue, le respect mutuel des engagements et de la souveraineté de chaque Etat.  

Le Portugal est la meilleure illustration de cette apogée rassemblant deux pays amis liés par plus de 240 années de relations diplomatiques dont les contextes politiques et sociaux, les populations, les aspects économiques, et les moyens de transmissions du savoir et des connaissances constituent l’ossature d’une ancienne, belle et pérenne histoire commune.

Grâce à leur coopération stratégique et une volonté politique respective de plus en plus dévouée, le Maroc et le Portugal ont réussi à construire un réseau large et diversifié d’intérêts entrecroisés servant à resserrer le dialogue et à créer des liens mutuellement bénéfiques.

Au cours de ces dernières années, les deux voisins ont vu leurs modèles de sociétés et leurs économies s’amender radicalement en plus d’être des marchés complémentaires se dotant d’une main d’œuvre qualifiée et d’un potentiel important en termes de partenariats dans des  secteurs porteurs et diversifiés.

Le point culminant de cet élan dynamique qui a imprégné les liens économiques et commerciaux tout au long de cette décennie est la présence forte en nette progression des investissements portugais ; on compte aujourd’hui entre 200 et 300 entreprises implantées au Maroc, et la diversification des secteurs de coopération, comme les services, l’industrie, l’agriculture et pêche, les travaux publics, l’énergie, les transports & équipements, les technologies de l’information ou encore l’hôtellerie et le tourisme. Ainsi, l’évaluation des progrès réalisés en matière d’attractivité du potentiel commun entre les deux rives se traduit par la volonté sine qua non d’inscrire le développement des investissements et le partenariat d’entreprises au cœur de leurs actions de coopération conjointe.

En effet, l’excellence des relations maroco-portugaises et de la qualité du partenariat économique qui ne cesse de se raffermir sont attestées par les données tant commerciales que celles relatives aux investissements  positionnant le Maroc en tant que 1er partenaire commercial du Portugal dans le monde arabe, son 2ème en Afrique et son 10ème fournisseur au niveau mondial avec un volume des échanges dépassant les 13 Milliards de Dirhams en 2019.

Pour José Maria Texeira, Président de la Chambre de Commerce et d’industrie du Portugal à Casablanca et l’un des pionniers de cette réussite exemplaire dans les échanges bilatéraux affirme que cette approche constructive menée conjointement par les deux pays depuis des années n’a qu’une seule destinée, celle d’accroître et d’évoluer en se montrant confiant quant aux perspectives de partenariat futures compte tenu, notamment, des potentiels respectifs et des complémentarités concrètes entre les secteurs productifs des deux économies. Et d’ajouter, « que l’année 2021 a connu un rebond historique dans les exportations portugaises envers le Royaume avec une augmentation nette à 110%, et d’une hausse de 25% dans les exportations marocaines. » En revanche, ce qu’il regrette un peu, c’est la communication sur le fort potentiel des produits portugais qui reste à ce jour en deçà des expectatives voulues.

Dans ce sens, d’importantes mesures et démarches ont été prises pour remédier à cette carence par la création de synergies entre les différentes parties comme la création du Conseil Economique Maroc -Portugal qui tend à renforcer davantage les capacités de chaque marché et de leur image auprès des acteurs du monde des affaires marocain comme portugais dans une perspective de développement durable et participatif.

Si la proximité géographique et l’excellentissime des relations diplomatiques ont contribué au cours de l’histoire à créer des échanges extraordinaires entre les deux états, les opportunités d’interactions économiques et créatives demeurent aujourd’hui infinies mais peu connues.

Selon de nombreuses études de terrain conduites par des Consultants marocains, s’il y’a un pays qui gagnerait plus en faisant connaitre ses professionnels et ses savoir-faire sur le marché marocain, c’est bien le Portugal, qui se distingue à travers ses entreprises ainsi qu’à la renommée de ses professionnels en passant par la richesse de ses produits qui se veulent d’une qualité exceptionnelle.

Sur cette voix triomphale qui conjugue les efforts fournis et une volonté politique considérable entre les gouvernements des deux pays, le Maroc et le Portugal illustrent bien leurs motifs pour approfondir leur coopération. La mise en place de groupes de travail techniques et des commissions mixtes qui accompagnent les différents accords signés entre les deux Etats instituent des espaces de rencontre et de dialogue qui ont permis le passage des paroles aux actes.

La convention récente signée entre Rabat et Lisbonne sur l’emploi et le séjour des travailleurs marocains au Portugal en renforçant simultanément la coopération entre les deux pays dans le domaine de la gestion des flux migratoires réguliers est un bel exemple de cette maturité politique. De plus, l’ouverture d’autres chapitres de coopération dans des domaines émergents tels que l’hydrogène vert, le gaz et la connexion électrique consolide cette grande ambition de ces confrères méditerranéens, comme l’a bien dit, l’homme politique portugais  Pequito Rebelo, « Le Portugal est méditerranéen par nature, atlantique par sa position. »

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