Si nul ne peut remettre en cause l’utilité des aides publiques aux entreprises et leurs objectifs, le Conseil de la concurrence, dans son rapport au titre de l’année 2020, n’en fait pas moins l’objet de nombreuses critiques et controverses.
Le Conseil de la concurrence a observé que le champ des distorsions à la concurrence pouvant être toléré et, par conséquent, pouvant justifier des aides publiques aux entreprises, n’est pas délimité sur le plan législatif.
Plan d’Accélération Industrielle (PAI) 2014-2020
Les incitations publiques adossées à cette stratégie sont financées par le Fonds de Développement Industriel et des Investissements (FDII) qui prévoit des subventions à l’installation, en vue d’attirer des leaders industriels mondiaux, à même de fédérer un ensemble de fournisseurs nationaux, en particulier des PME et des TPE.
Ceux-ci pourront intégrer ces « écosystèmes industriels » par une extension de leurs activités ou dans le cadre d’un amorçage ou d’une filialisation, ou encore d’une fusion-acquisition. Construite sur le principe de la « compensation industrielle », cette stratégie a pour fondement un soutien public des coûts fixes initiaux jugés élevés dans le cadre des nouveaux investissements, induisant une baisse des coûts marginaux de reproduction, en contrepartie d’un taux d’intégration prédéfini des fournisseurs locaux et d’un engagement pour l’emploi de la main d’œuvre locale.
Toutefois, ce mécanisme d’incitation soulève quelques remarques quant à sa neutralité concurrentielle et sa capacité à induire des problèmes d’aléa moral :
1. La prise en charge publique d’une partie du programme d’investissement se base sur des « règles de préférence » pour déterminer les entreprises éligibles à ces aides ou pour fixer l’étendue de celles-ci, ce qui altère leur objectivité. D’où l’intérêt de tenir compte du droit de la concurrence avant la fixation des conditions d’éligibilité ;
2. Les « contrats offset », qui représentent la forme apparente de la compensation industrielle, reposent sur une double conception :
• En associant les incitations octroyées à des engagements contractualisés, ce qui leur garantit une certaine sécurité juridique, tout en s’apparentant à des « règles de raison structurées ». Cette transparence risque cependant d’être entravée par un choix discriminant d’entreprises à inclure dans les écosystèmes, en évinçant des entreprises concurrentes bien qu’éligibles ;
Dans le cadre de l’adjudication d’une commande publique au profit d’un donneur d’ordre international, où des règles de mise en concurrence sont censées s’appliquer à travers la réglementation marocaine des marchés publics, ainsi que les réglementations ad hoc soumises à la concurrence internationale. Par conséquent, tout en étant un levier pour renforcer la présence des entreprises marocaines dans les chaînes de valeurs mondiales, ces contrats devraient rendre endogènes les conditions de la « concurrence effective » à l’échelle nationale et internationale.
3. L’accès aux incitations devrait permettre à l’ensemble des entreprises locales, notamment les PME et les TPE, de prétendre aux mêmes chances de moderniser leurs processus productifs en vue d’intégrer les écosystèmes constitués ou en cours de formation, ce qui sous-tend une harmonisation intrinsèque des incitations.
Aides de l’Etat accordées aux entreprises publiques à caractère commercial
Les Etablissements et Entreprises Publics (EEP) représentent un maillon incontournable du modèle de développement économique et social du Maroc, en raison de leur forte contribution aux investissements stratégiques du Royaume, au développement de ses infrastructures, à la mise en exécution du service public, ainsi qu’au désenclavement des régions éloignées et leur insertion dans les projets de développement économique et social territorialisé.
Le portefeuille public est composé de plusieurs établissements publics et sociétés anonymes à participation directe du Trésor public.
Ces EEP revêtent soit un caractère commercial, lors de la vente de biens et services sur le marché à un prix couvrant les coûts de production, ou la vente de services financiers à leur clientèle, soit un caractère non commercial, avec la préoccupation de fournir des biens et services publics gratuitement ou à des prix inférieurs à leurs coûts de production.
A fin septembre 2020, le nombre des EEP à caractère commercial s’est établi à 71 entités, ce qui représente 26,5% du total des EEP.
Ce nombre reste important dans une perspective d’économie de marché où la propriété privée est le mode privilégié dans le secteur marchand, sachant qu’une majorité d’EEP agissent dans des secteurs de biens non échangeables.
A noter également que toutes les sociétés anonymes à participation directe de l’Etat portent un caractère commercial, ce qui n’était pas le cas avant 2020. Ceci met en évidence la volonté des pouvoirs publics d’instaurer un nouveau paradigme, axé sur une conciliation « efficace » entre la propriété publique et le mode de gestion privé, via un processus de « corporatisation ».
A la suite des Hautes Directives Royales émises lors du Discours du Trône du 29 juillet 2020 et du Discours Royal au Parlement à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 5ème année législative de la 10ème législature, une nouvelle dynamique de réforme des EEP a été proclamée.
Cette réforme dicte la mise en place d’un nouveau paradigme pour le pilotage stratégique de ceux-ci, en instaurant des transformations structurantes et des ruptures nécessaires quant à leur gestion et leur gouvernance.
Parmi les mesures majeures proposées figure la création d’une Agence Nationale dédiée et la suppression de plusieurs entreprises, ou leurs filiales, dont l’existence ne concorde plus avec les objectifs de création, ainsi que le regroupement, dans de grands pôles, d’entreprises œuvrant dans des secteurs similaires.
Cette réforme d’envergure est cependant confrontée à des préoccupations en rapport avec le champ de la concurrence, partant du fait que la présence des EEP dans divers secteurs marchands constitue un frein réel au développement d’un secteur privé dynamique et diversifié.
En effet, plusieurs EEP sont présents dans des secteurs non liés au développement des infrastructures nationales et pouvant être contrôlés en totalité par des entreprises privées.
Par conséquent, ils se présentent comme des concurrents potentiels dans des marchés ouverts à la concurrence, dans la mesure où leur objectif tient à réaliser des résultats nets excédentaires. Or, ces entreprises reçoivent des aides directes ou indirectes de l’Etat leur octroyant des « avantages concurrentiels » susceptibles d’entrainer des effets de distorsions sur les marchés.
Ces aides publiques aux EEP commerciaux interfèrent avec le jeu concurrentiel dès lors qu’il n’existe pas de distinction légale entre les activités commerciales et non commerciales au sein de ces entités. Par conséquent, bien qu’ayant une vocation non marchande, ces aides se mêlent inéluctablement aux coûts de production des biens et services commercialisés sur le marché.
Par ailleurs, en agissant sur des marchés monopolistiques ou dotés d’un niveau élevé de concentration en raison d’interventions publiques visant la restriction des entrées, les EEP commerciaux s’octroient des positions de dominance. Ces dernières se trouvent renforcée sous l’effet d’une régulation sectorielle permettant de s’étendre vers d’autres segments de la chaîne de valeur, à travers la création de filiales dans divers secteurs, unilatéralement ou par le biais des « joint-ventures » avec des partenaires nationaux ou étrangers.
Non seulement ces modes de régulation sont assimilables à des restrictions à l’entrée des marchés, de nature à réduire leur degré de contestabilité, mais génèrent aussi des effets d’éviction d’investissements privés et constituent des contraintes structurelles pour l’attractivité des IDE.
Le recours aux Partenariats Public-Privé (PPP), bien que représentant un cadre approprié pour améliorer la contestabilité des marchés, intervient dans un champ réglementaire qui n’est pas toujours conforme aux principes de concurrence.
D’une part, les instruments juridiques régissant ces collaborations se chevauchent entre la loi n°86-12 relative aux contrats PPP et les réglementations sectorielles, ce qui favorise une incomplétude des contrats, dans le sens de l’imprévisibilité des contingences et de l’asymétrie de l’information entre les contractants.
D’autre part, l’investissement des entreprises publiques dans le capital de certains opérateurs privés concurrents est jugé comme une pratique discriminatoire.
Aides de l’Etat accordées via les dérogations fiscales
Le type de dérogation le plus usité est l’exonération totale. En moyenne, les exonérations totales auraient représenté 57,7% du montant des dépenses fiscales entre 2017 et 2020.
Les facilités de trésorerie et les déductions qui constituent des dérogations actionnées en stimulant la fonction de production de l’entreprise (amortissements, coûts de matières premières, charges courantes, etc.) n’auraient représenté finalement en moyenne que 1,5% et 2,2% respectivement.
Par ailleurs, les entreprises auraient été les principaux bénéficiaires des dérogations fiscales, à hauteur de 51% en nombre de mesures prévues entre 2017 et 2020 et d’environ 49% en moyenne des montants issus des pertes de recettes fiscales. Cette dernière part varie selon les secteurs d’activité, impliquant que les objectifs d’incitation publique oscillent entre la dynamique de l’offre et celle de la demande.
A noter que la compatibilité des dépenses fiscales avec les principes de la concurrence se satisfait par deux déterminants importants de la « neutralité fiscale », à savoir (i) l’homogénéisation des objectifs d’incitation au sein de l’ensemble de l’économie et à l’intérieur des champs d’agissement des agents économiques pris distinctement, et (ii) la détermination des critères de dérogations sur la base des performances des agents économiques.
Eu égard à ces conditions, il semblerait qu’en déterminant des critères spécifiques aux mesures de dérogations et en prévoyant des régimes fiscaux différenciés à l’échelle intra et intergroupes, le système fiscal marocain s’expose explicitement à des risques d’atteinte à la concurrence.
Les situations suivantes montrent que certaines dérogations fiscales permettent de modifier le calcul économique de l’entrepreneur et, par là même, de changer sa position concurrentielle sur le marché :
1. la limitation du champ des bénéficiaires des exonérations totales ou partielles de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) à l’importation, aux entreprises procédant un investissement d’au moins 100 MDH désavantage d’autres entreprises exerçant dans le même marché pertinent, mais dont les capacités d’investissement sont relativement étroites en raison de difficultés souvent conjoncturelle;
2. bien que le système fiscal marocain ait institué, dans le cadre des dispositions de la Loi de Finances 2020, des modalités de convergence vers des taux d’imposition uniques pour l’impôt sur les sociétés, les critères de détermination des nouveaux barèmes progressifs soulèvent encore des risques d’atteinte à la concurrence, dans la mesure où ils reposent fondamentalement sur le chiffre d’affaires lié à l’activité. Ceci remet en cause la neutralité concurrentielle des dérogations, notamment sur des marchés où des entreprises à « activités multiples » sont en concurrence avec des entreprises en « mono activité » ;
3. les TPE et PME représentent la catégorie d’entreprises jouissant le moins des dépenses fiscales, tout en étant les structures les plus fragiles du tissu productif. A ce propos, aucune référence n’en est faite au niveau du Code Général des Impôts (CGI) ou le Code des Douanes et Impôts Indirects (CDII) qui constituent les référentiels des normes fiscales à partir desquels les dérogations sont établies. Il en résulte que les mesures qui leur sont destinées sont dispersées entre les différentes dispositions appliquées à la nature des activités économiques ou la destination des produits ;
4. le régime de la zone franche d’exportation, tel qu’institué par la loi n°19.94 procure à ses bénéficiaires de multiples incitations, dont le cumul leur octroie des avantages concurrentiels risquent d’être illégitimes sur les marchés nationaux. En effet, l’éligibilité à ce statut ne se limite pas seulement aux entreprises établies à l’étranger, mais aussi aux personnes morales ayant leur siège social au Maroc et les personnes physiques de nationalité marocaine résidentes au Maroc. Aussi, ces entreprises sont-elles autorisées à écouler une partie de leur production sur le marché local, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires à l’export pour les demi-produits et les biens d’équipement et sans limitation de seuil lorsqu’il s’agit de biens d’équipement, matériels et outillages ainsi que leurs parties et pièces détachées destinés à la réalisation de projets conventionnés avec l’Etat.