CESE: l’urgence d’une stratégie nationale coordonnée pour transformer la recherche scientifique en innovation
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié son avis, élaboré suite à la saisine de la Chambre des conseillers, intitulé : « contribution de la recherche scientifique à l’innovation, au développement et au renforcement de la compétitivité de l’économie nationale — urgence d’une stratégie nationale coordonnée et intégrée ».
Cet avis met en lumière le potentiel important du capital national en matière de recherche et d’innovation, tout en soulignant les fragilités qui freinent la transformation des projets de recherche en innovations concrètes. Il formule également des recommandations visant à placer l’innovation au cœur des priorités nationales et à renforcer les synergies entre chercheurs, innovateurs et acteurs économiques, au service du développement durable.
Un potentiel prometteur, mais encore sous-exploité
Le CESE relève que le Maroc a enregistré des avancées significatives dans la structuration de son système national de recherche et d’innovation, avec un réseau d’acteurs publics et privés de plus en plus diversifié, une progression du nombre de chercheurs et de doctorants et une densification de la production scientifique indexée, qui demeure, néanmoins, bien en-deçà des standards internationaux.
L’avis souligne, dans son analyse du secteur, que lorsque les conditions de convergence, de financement et de partenariat sont réunies, les résultats sont tangibles, démontrant ainsi la pleine capacité de notre pays à mettre la recherche au service d’une innovation porteuse de croissance et de développement. Dans le domaine de la santé, des médicaments stratégiques, antibiotiques innovants et traitements génériques à coût réduit, ont été développés et commercialisés. Dans le domaine des industries extractives, des procédés innovants ont été développés pour valoriser des gisements de ressources minérales considérés jusqu’alors comme non-exploitables. Des techniques de transformation des résidus miniers en produits commercialisables ont été également développées et brevetées, en particulier dans le stockage d’énergie par batteries lithium-ion. Cette dynamique concerne également d’autres secteurs émergents tels que les technologies de pointe, avec le développement de drones à usage civil et militaire.
Des contraintes structurelles à lever
En dépit des progrès réalisés, l’Étude relève plusieurs contraintes qui obèrent le développement d’un écosystème national pleinement opérationnel et en capacité de transformer la recherche en innovation et en création de richesse par une montée en gamme dans les chaînes de valeur. Il s’agit notamment des facteurs suivants :
Un financement structurellement faible de la recherche. Selon les données disponibles les plus récentes, la dépense intérieure brute en R&D s’élevait à 0,75 % du PIB en 2016 et est restée, selon les acteurs et parties prenantes auditionnés, pratiquement inchangée. Ce niveau demeure largement inférieur à la moyenne mondiale (2,68 %) et européenne (2,24 %). De plus, le financement repose majoritairement sur des ressources publiques, la contribution du secteur privé n’excédant pas 30%.
Un dispositif institutionnel et juridique de la recherche et de l’innovation encore inabouti. Des dispositions-clés de la loi n° 01.00, telles que la possibilité pour les universités de créer des structures de valorisation sous forme de filiales, ne sont toujours pas opérationnalisées.
Des mécanismes d’incitation à la recherche partenariale et à l’innovation entrepreneuriale peu développés. Le système national ne dispose pas, à ce jour, de dispositifs de cofinancement structurés et systématisés entre les universités et les entreprises, ni de mécanismes fiscaux incitatifs spécifiques. De surcroît, les dispositifs d’appui à l’innovation, en particulier ceux destinés aux startups et clusters, peinent encore à produire les résultats attendus, notamment en matière de valorisation technologique, d’innovation brevetée et de soutien à l’émergence d’entreprises innovantes.
Une coordination encore insuffisante entre les acteurs publics, académiques et privés. Le Conseil national de la recherche scientifique, institué en 2021, ne joue pas encore pleinement le rôle de pilotage stratégique qui lui est dévolu, en raison de l’absence d’une stratégie nationale unifiée et d’attributions limitées dans le cadre juridique en vigueur.
Des collaborations entre recherche et industrie encore ponctuelles et trop fragmentées. Les initiatives prometteuses dans certains secteurs stratégiques (pharmaceutique, digital, agroalimentaire, énergies renouvelables, drones) demeurent isolées et insuffisantes pour structurer un écosystème national d’innovation performant et transformationnel.
Propositions du CESE pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation
Partant de ce constat partagé par les différentes parties prenantes, le CESE souligne l’urgence d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie nationale de recherche scientifique, de développement et d’innovation coordonnée, intégrée et pleinement alignée sur les priorités du pays. Dans ce sens, le CESE a formulé un ensemble de recommandations, dont il est permis de citer :
Accélérer la refonte en cours de la loi n°01.00 portant sur la réorganisation de l’enseignement supérieur et adopter ses textes d’application afin de renforcer l’autonomie des universités aux plans administratif, financier, pédagogique et scientifique.
Assurer un financement durable et renforcé de la recherche, avec une cible proposée de 3 % du PIB d’ici 2030, tout en exhortant le secteur privé à accroître ses investissements dans ce domaine.
Etablir un cadre spécifique pour les chercheurs à temps plein, y compris les doctorants et les post-doctorants. Ce cadre devrait compléter le statut existant des enseignants-chercheurs, en définissant des mécanismes d’incitation à la recherche à temps plein et de rétribution au profit des chercheurs les plus productifs.
Renforcer les capacités institutionnelles et opérationnelles du Conseil national de la recherche scientifique pour qu’il puisse valablement jouer son rôle de suivi de la stratégie nationale de recherche et d’innovation ainsi que de coordination entre les différentes parties prenantes intéressées, publiques et privées.
Renforcer la valorisation de la recherche et de l’innovation entrepreneuriale en consolidant les missions dévolues aux universités en matière d’entrepreneuriat, de création de filiales et de partenariats avec les entreprises ; et en promouvant, en parallèle, le développement de structures autonomes de type consortium public-privé, à l’image de MAScIR, en mesure de transformer les résultats de la recherche en solutions innovantes commercialisables.
Renforcer l’implication des régions dans le développement de la recherche scientifique appliquée, au-delà de la seule mise à disposition d’infrastructures, en soutenant la création de structures régionales de transfert technologique chargées de valoriser les résultats de la recherche, d’accompagner la protection de la propriété intellectuelle, de soutenir l’incubation de startups issues de la recherche et de favoriser, en collaboration avec le secteur privé, la maturation des projets innovants.
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