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Export: Les comptes en dirhams convertibles, un dispositif obsolète ?

Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes

Lors des deux précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en dirhams convertibles des exportateurs.

Les explications fournies par l’économiste nous ont permis de comprendre les modalités de fonctionnement de ces comptes.

Ces modalités soulèvent bien entendu des questionnements concernant leur pertinence.

Ce sujet fera l’objet du présent entretien.

Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en dirhams convertibles des exportateurs ?

A mon avis le régime des comptes en dirhams convertibles des exportateurs de biens et de services n’a plus aucune raison d’être.

Pourquoi ?

Le régime des comptes en dirhams convertibles des exportateurs a pour objet d’accorder deux principaux avantages à ces derniers, à savoir la réalisation de :

Certaines OPERATIONS COURANTES non libres dans le cadre du droit commun, à savoir :les paiements par acomptes ou par anticipation au titre des opérations d’importation de biens et des services ; les frais d’abonnement à des revues scientifiques et techniques ; les frais de cotisations et droits d’adhésion à des associations professionnelles ; les frais de transit, de transport, d’analyse ou d’échantillonnage ;

– Paiements au titre de certaines opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes (frais afférents à la réalisation d’opérations d’investissement à l’étranger des personnes morales) par des modalités autres que le virement bancaire :  chèque tiré sur le compte, par carte de paiement internationale adossée audit compte ou par utilisation de billets de banque étrangers obtenus par débit dudit compte.

Ces deux avantages doivent en principe relever du droit commun, ce qui videra de sa substance le régime des comptes en dirhams convertibles des exportateurs.

Vous dites ci-dessus que ces deux avantages accordés aux exportateurs doivent en principe relever du droit commun, pourquoi ?

Les deux avantages précités doivent relever du droit commun pour deux principales raisons.

La première raison concerne particulièrement la première catégorie d’  avantages indiquée ci-dessus : ces avantages  portent sur des opérations courantes lesquelles opérations doivent en principe bénéficier d’un cadre libéral( pour tous les opérateurs) en vertu de la souscription du Maroc à l’article VIII des statuts du FMI.

Quant à la seconde raison, elle concerne les deux catégories d’avantages indiquées ci-dessus : ces avantages accordés au secteur exportateur s’avèrent aujourd’hui infondés sur le plan économique.

La première raison est claire. Toutefois, la seconde raison paraît un peu pas claire. En fait, elle semble sortir un peu  de la pensée économique commune !

Pourquoi ?

Tout simplement parce que les entreprises exportatrices génèrent des devises pour le Maroc !

Toutes les entreprises qui produisent des valeurs marchandes génèrent des devises pour le Maroc, et ce, quelle que soit la destination de ces valeurs : exportation à l’étranger ou écoulement sur le marché intérieur.

En effet, les valeurs marchandes destinées à l’étranger sont payées en devises par les clients étrangers des producteurs marocains.

Ces paiements se traduisent par des rentrées de devises au Maroc.

Quant aux valeurs marchandes destinées au marché intérieur, elles sont payées en dirhams par les clients marocains des producteurs domestiques.

Ces paiements ne génèrent certes pas de recettes en devises, mais contribuent indirectement à l’augmentation des recettes nettes en devises du Maroc.

Cette contribution émane du fait que cette production empêche l’importation de l’étranger de ces valeurs marchandes , ce qui permet d’éviter des dépenses en devises.

Ces éléments suggèrent ainsi que la seule différence qui existe entre les producteurs de valeurs marchandes destinés aux marchés extérieurs(les exportateurs)  et les producteurs de valeurs marchandes destinés au marché intérieur( les producteurs  locaux) réside dans la nature des liens avec les recettes en devises.

Autrement dit, les exportateurs entretiennent un « lien direct » avec les recettes en devises, alors que les producteurs locaux ont plutôt un « lien indirect ».

Vous parlez ci-dessus d’entreprises qui opèrent dans le « secteur des produits substituables aux importations ». Or l’on sait que ce secteur ne concerne pas toute la production de valeurs marchandes dans la mesure où plusieurs valeurs produites ne peuvent pas être importées de l’étranger !

Effectivement,  toutes les économies du monde se caractérisent par l’existence de deux grands secteurs : le secteur des valeurs marchandes échangeables et celui des valeurs marchandes non-échangeables.

Le secteur des valeurs échangeables comprend les produits (biens et services) qui font l’objet d’échanges international : exportation et importation.

Quant au secteur des valeurs non-échangeables, il comprend les produits (essentiellement des services) qui ne peuvent pas naturellement faire l’objet d’échanges international : services relatifs à la coiffure , scolarisation des enfants, etc.

Ces éléments suggèrent ainsi que le concept pertinent qui doit être adopté ,lorsqu’on évoque cette question du lien entre la production de valeurs marchandes et les recettes en devises, serait celui de « secteur exposé à la concurrence internationale ».

En effet, c’est ce secteur qui doit éventuellement être favorisé dans le cas où la finalité des politiques publiques serait la promotion des recettes en devises.

Et pourquoi les autorités marocaines accordent des avantages tout azimut au secteur exportateur ?

La mise en place d’un système d’incitations publiques favorables au secteur exportateur (basé essentiellement sur certaines exonérations fiscales) s’inscrit dans une logique compensatoire.

Cette logique se fonde sur l’idée qu’il était nécessaire de rééquilibrer le système global d’incitations publiques plutôt favorable au secteur domestique (celui dont la production est destinée au marché local).

Ce système avait en effet constitué l’un des piliers de la politique de développement protégé mené par le Maroc durant la période s’étalant du lendemain de l’indépendance jusqu’au milieu des années 1980.

Cette politique visait bien entendu à protéger la production destinée au marché intérieure contre la concurrence étrangère, et ce, à travers les barrières tarifaires et non tarifaires très élevées imposées en matière d’importation.

Ce régime de protection du marché intérieur désavantageait en général la production à l’exportation par rapport à celle destinée au marché intérieur.

Ce désavantage avait en outre un impact négatif sur la compétitivité des exportations , et ce,  à travers l’effet du renchérissement des intrants produits localement et incorporés dans les exportations.

Cet impact devient encore plus grave lorsqu’on prend en considération la politique du taux de change surévalué adopté à l’époque par le Maroc.

Ainsi , conscients de cet état de fait, les pouvoirs publics ont essayé ,durant les années 1970 et particulièrement durant les années 1980, d’adopter une série de mesures favorables au secteur exportateur.

Ces mesures s’inscrivaient dans une logique compensatoire : le secteur domestique étant favorisé par l’Etat à travers une politique commerciale protectionniste, il faudrait par conséquent, pour équilibrer la donne, accorder au secteur exportateur des faveurs, notamment d’ordre fiscal et autres.

Ces faveurs ne sont plus justifiés aujourd’hui, du fait que la politique commerciale extérieure adoptée depuis une trentaine d’année n’est plus une politique protectionniste.

Cette politique peut être plutôt qualifiée de largement libérale, au regard du processus important de libéralisation des importations de biens et de services enregistré au Maroc depuis le milieu des années 1980.

Ce processus a abouti à une ouverture presque totale du marché intérieur au marché international.

Cette ouverture a pour corollaire que tous les producteurs de valeurs marchandes, que celles-ci soient destinées au marché local ou à celui étranger, opèrent  sur le marché mondial.

Ces producteurs sont par ailleurs  soumis aux mêmes contraintes concurrentielles et aux mêmes exigences de compétitivité .

 Ces éléments suggèrent que les fondements économiques qui sous-tendent l’octroi de privilèges par l’Etat aux entreprises exportatrices sont aujourd’hui totalement dépassés.

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