
La montée des droits de douane, la fragmentation géopolitique et les perturbations persistantes des chaînes d’approvisionnement secouent le commerce international. L’Organisation mondiale du commerce prévoit une contraction de 0,2 % du commerce mondial de biens en 2025, pouvant atteindre 1,5 % si les tensions s’aggravent. La CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) alerte quant à l’incertitude politique, qui mine la confiance des entreprises et freinerait la croissance mondiale à 2,3 % en 2025.
Dans ce contexte, les économies en développement subissent une pression croissante pour diversifier leurs partenariats et réduire leur dépendance extérieure.
L’Afrique du Nord en première ligne
La pression est particulièrement forte pour l’Afrique du Nord – comprenant l’Algérie, l’Égypte, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie – historiquement liée aux cycles économiques européens. En 2023, l’Union européenne représentait 45,2 % du commerce extérieur nord-africain, exposant la région à toute baisse de la demande européenne. De plus, l’Afrique du Nord n’a représenté que 3,7 % du commerce mondial la même année.
Pourtant, cette période d’incertitude constitue aussi une opportunité stratégique pour regarder vers le sud, vers les marchés à forte croissance de l’Afrique subsaharienne (ASS), qui ne comptent actuellement que pour 2,4 % du commerce total de l’Afrique du Nord.
Comme souligné il y a près de dix ans, renforcer les liens économiques intra-africains pourrait transformer les trajectoires de croissance régionales.
Croissance subsaharienne : une chance à saisir
Avec une croissance estimée à 3,7 % en 2024 et projetée à 4 % en 2025, l’Afrique subsaharienne offre des opportunités considérables aux entreprises nord-africaines : marché émergent pour les exportations industrielles et potentiel d’extension des chaînes de valeur.
Les produits nord-africains – en particulier dans les secteurs de l’automobile, des pêches, de l’agroalimentaire, de la pharmacie et du textile – y trouveraient preneur grâce à leur qualité et compétitivité.
Des avancées concrètes
Des progrès ont été accomplis. Le Maroc est devenu en 2023 le premier exportateur automobile du continent, avec 6,4 milliards de dollars de ventes, notamment vers l’Afrique de l’Ouest, aidé par les accords de libre-échange régionaux.
D’autres pays de la région sont membres de communautés économiques comme le COMESA ou la CEN-SAD.
Une dynamique continentale : la ZLECAf
Mais c’est surtout la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) qui représente la meilleure opportunité d’intégration. En vigueur depuis 2021 et signée par 54 pays, elle est la plus vaste zone de libre-échange au monde en nombre de membres.
L’Afrique du Nord, riche de 200 millions de consommateurs, dotée de ressources naturelles, d’une base industrielle diversifiée et d’infrastructures économiques solides, est bien placée pour jouer un rôle moteur.
Selon une étude à paraître de la Banque africaine de développement (BAD), la ZLECAf aura un impact particulièrement positif sur l’Afrique du Nord. Tous les scénarios étudiés montrent une hausse du PIB de la région d’ici 2031, notamment en cas d’intégration complète avec l’Afrique subsaharienne :
- +5,5 % du commerce
- +0,77 % du PIB
L’étude prévoit également une réduction de la pauvreté et une hausse des salaires pour les travailleurs qualifiés et non qualifiés.
Un coût fiscal, mais un pari gagnant
L’un des inconvénients majeurs de la ZLECAf réside dans la perte de recettes douanières, bien que celle-ci soit limitée pour les pays ayant déjà des accords bilatéraux ou une économie diversifiée.
Des défis structurels persistent : infrastructures insuffisantes, harmonisation tarifaire complexe, manque de coordination entre les blocs régionaux.
Une priorité stratégique
Malgré cela, l’Afrique du Nord doit faire de la mise en œuvre de la ZLECAf une priorité. L’approfondissement des échanges intra-africains favoriserait la diversification économique, la création d’emplois, l’investissement privé et une croissance durable.
Dans une économie mondiale fragmentée, la solidarité régionale est devenue cruciale. En renforçant ses liens avec l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Nord peut tracer une nouvelle voie vers une croissance inclusive, résiliente et soutenable.
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Audrey Verdier-Chouchane est économiste en chef pour l’Afrique du Nord à la Banque africaine de développement. Cet article a été publié par Project Syndicate.