Crise en Syrie: les dessous du conflit

Alors que des affrontements meurtriers ont secoué le sud de la Syrie, la communauté druze se retrouve au cœur d’un conflit aux dimensions à la fois communautaires, religieuses et historiques. Pour mieux comprendre les racines et les implications de cette crise, RTSinfo fait le point sur ces enjeux en quatre questions.
1. Qui sont les Druzes?
Les Druzes forment une minorité religieuse issue de l’ismaélisme chiite, née au XIe siècle en Egypte. Fermée à la conversion, la communauté compte environ un million de fidèles, principalement répartis entre la Syrie, le Liban et Israël. En Syrie, ils représentent environ 3% de la population et vivent essentiellement dans le sud du pays, dans le gouvernorat de Soueida .
Historiquement, les Druzes ont cherché à maintenir une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir central. Durant la guerre civile (2011–2024), ils ont souvent adopté une posture prudente, combinant neutralité et auto-défense par des milices locales positionnées dans le sud du pays.
Depuis la chute de Bachar al-Assad au mois de décembre 2024, les Druzes se sont opposés aux tentatives du nouveau gouvernement dirigé par l’ex-djihadiste Ahmad al-Chareh d’imposer son autorité sur le sud du pays. Certaines factions se disaient prêtes à un dialogue mais d’autres rejetaient purement et simplement une présence militaire du nouvel Etat, préférant continuer à s’appuyer sur des milices locales et refusant de s’intégrer dans l’armée syrienne.
Comme d’autres minorités ethniques et religieuses, les Druzes s’inquiètent de leur place dans le nouveau système politique syrien, dirigé en majorité par des islamistes sunnites, dont certains ont un passé de djihadiste, à l’instar du président Ahmad al-Chareh. Depuis la chute de Bachar al-Assad, des exactions et des exécutions visant des minorités ont été répertoriées, notamment en mars envers la minorité alaouite, dont est issu l’ex-président Bachar al-Assad.
Deux mois plus tard, des combats à Sahnaya et Jaramana, en banlieue de Damas, ont opposé des Druzes à des groupes armés affiliés au pouvoir, faisant plusieurs morts. La plus haute autorité spirituelle druze, le cheikh Hikmat al-Hajri, a alors dénoncé une « campagne génocidaire injustifiée » contre sa communauté, visant des « civils à leur domicile ».
Ces événements ont remis en question la capacité du nouveau gouvernement à réellement protéger les minorités. « Nous ne faisons plus confiance à une entité qui prétend être un gouvernement (…) Un gouvernement ne tue pas son peuple en recourant à ses propres milices extrémistes, puis, après les massacres, prétend que ce sont des éléments incontrôlés », continuait ainsi le communiqué du mois de mai du cheikh Hikmat al-Hajri.
2. Qui sont les Bédouins en conflit avec les Druzes?
Les tribus bédouines dans le gouvernorat de Soueida sont des communautés sunnites arabes semi-nomades, économiquement liées au pastoralisme et au petit commerce.
Historiquement, Druzes et Bédouins coexistent dans la région avec des échanges économiques réguliers mais la cohabitation est parfois tendue. Comme l’explique dans Le Figaro le spécialiste des questions syriennes Cédric Labrousse, les Druzes sont arrivés dans la région entre le 17e et le 18e siècle, alors qu’elle était peuplée de chrétiens et de Bédouins sunnites. Sans qu’elles aboutissent à un conflit majeur, des tensions sont apparues quand les Druzes sont devenus majoritaires dans la région.
Aujourd’hui, les Bédouins sont largement minoritaires, avec environ 3% de la population. « Ils ont été marginalisés et sédentarisés. Après l’affaiblissement du régime de Bachar al-Assad, ils ont vu une opportunité de renforcer leur influence locale et ont commencé à mener des attaques pour peser dans les équilibres régionaux », explique le spécialiste. En 2014, des Bédouins armés et apparemment soutenus par le Front al-Nosra, ont par exemple affronté brièvement des milices druzes, rappelle dans un article le Washington Institute, un think tank américain.
Les affrontements qui ont démarré au milieu du mois de juillet, eux, ont commencé par le kidnapping d’un marchand druze à un checkpoint installé par des groupes bédouins sur l’axe routier Damas-Soueida. Bien qu’il ait été libéré par la suite, cet incident a été perçu par les Druzes comme un signe du désengagement de Damas en matière de sécurité. En réaction, certaines factions ont lancé des actions ciblant des secteurs majoritairement bédouins. C’est ainsi qu’un cycle de violences s’est enclenché, faisant plusieurs centaines de morts.
3. Pourquoi les forces gouvernementales ont soutenu les Bédouins?
Au départ, les Bédouins ont sollicité l’intervention de Damas, s’estimant livrés à eux-mêmes face aux offensives druzes. Le pouvoir central, soucieux de rétablir l’ordre sur son territoire – d’autant plus dans une zone frontalière sensible – a déployé des forces, sous la houlette d’Ahmad al-Chareh, avec l’intention de réaffirmer l’autorité de l’État et d’en profiter pour désarmer les milices druzes en dehors de son contrôle.
Cette opération se voulait une démonstration de souveraineté, mais elle a rapidement dégénéré. Les Druzes ont opposé une résistance farouche, ravivant les tensions communautaires. Ce qui devait être une mission de stabilisation s’est progressivement transformé en soutien implicite – voire explicite – aux groupes bédouins.
Plusieurs témoignages font état d’exactions commises par les forces prorégime contre les Druzes et des scènes d’humiliation publique ont été diffusées sur les réseaux sociaux. L’une des plus marquantes montre le cheikh druze Walid al-Bunni se faire raser la moustache, un acte profondément humiliant dans la culture locale.
« L’opération n’a pas été assez réfléchie. Car les Druzes se sont défendus durement. Et cela a réveillé le réflexe communautaire. Finalement, l’intervention gouvernementale a consolidé les factions druzes, qui étaient jusqu’alors divisées » en ce qui concernait le comportement à avoir avec Damas, juge Cédric Labrousse.
4. Pourquoi Israël est intervenu avec des frappes?
Lors de l’intervention d’Israël, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a souligné que son pays tenait à protéger les Druzes de Syrie, invoquant les liens fraternels profonds qui unissent les citoyens druzes d’Israël à leurs proches en Syrie, tant sur le plan familial qu’historique.
Cependant, d’autres motivations influencent également l’action israélienne, notamment la volonté de sécuriser ses frontières tout en renforçant sa présence militaire sur le territoire syrien.
Benjamin Netanyahu a par ailleurs qualifié le nouveau régime de Damas d’ »islamiste extrémiste » et le considère comme une menace directe pour la sécurité d’Israël. En mai, un haut responsable israélien confiait à CNN que le Premier ministre avait demandé à Donald Trump de ne pas lever les sanctions contre la Syrie, craignant un scénario similaire à celui du 7 octobre 2023, marqué par une attaque de militants dirigés par le Hamas.
Israël a en outre instauré de manière unilatérale une zone démilitarisée dans le sud de la Syrie, interdisant l’envoi de troupes et d’armements dans cette région. Une zone cependant non reconnue par Damas et la communauté internationale.
Pour l’Etat hébreu, défendre les populations druzes est donc perçu comme un moyen d’assurer sa propre sécurité en ne permettant pas au nouveau pouvoir à Damas de se rapprocher de ses frontières. Une stratégie qui s’inscrit dans la durée, puisque depuis la chute du régime Assad, Tel Aviv a à de nombreuses reprises frappé la Syrie pour empêcher la reconstruction des capacités militaires de son voisin.
« La question druze est surtout utilisée par Benjamin Netanyahu comme un faire-valoir auprès de l’influente communauté druze d’Israël. En vérité, il veut répéter ici ce qu’il fait au Sud-Liban avec le retrait du Hezbollah. Il agit ainsi car – surtout après 2018 – des groupes favorables à l’Iran ont régulièrement utilisé le sud de la Syrie pour lancer des salves de roquettes sur Israël », conclut Cédric Labrousse.
Rtsinfo

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