
Omar Bakkou, économiste spécialiste en politique de changes
Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet de la pertinence économique du régime des comptes en devises ouverts au nom des exportateurs auprès des banques marocaines.
Les explications fournies par l’économiste nous ont permis de comprendre un fait essentiel, à savoir que ces comptes sont NEUTRES sur le plan de la « caisse devises » du Maroc.
Cette neutralité vide de toute sa substance l’ensemble des complexités érigées par la règlementation des changes en matière de modalités de fonctionnement des comptes précités, particulièrement les dispositions relatives aux opérations pouvant être enregistrées au crédit de ces comptes.
Pour pallier ces complexités, O.Bakkou a proposé un régime simplifié concernant les opérations pouvant être enregistrées au crédit des comptes en devises des exportateurs de biens et de services.
Pour compléter ce tableau, nous allons interroger O.Bakkou au sujet de la deuxième composante du régime des comptes en devises précités, à savoir les opérations pouvant être enregistrées au débit de ces comptes.
Quelles sont vos remarques au sujet des opérations pouvant être enregistrées au débit des comptes en devises des exportateurs ?
Pour mieux répondre à cette question, il serait nécessaire de faire un rappel de la finalité de ces comptes.
Cette finalité réside essentiellement dans la prémunition des exportateurs contre les risques de dépréciation des cours de change.
Ces risques surgissent en effet pour les exportateurs ayant des dépenses prévisibles en devises au titre de diverses transactions économiques extérieures.
Ces paiements en devises exposent ces exportateurs au risque de dépréciation des cours de change .
Ce risque consiste dans le paiement de sommes en dirhams supérieures à celles que les exportateurs doivent payer au cas où les paiements de ces dépenses étaient effectués au moment présent.
Pour pallier ce risque, ces exportateurs ont le choix entre deux alternatives.
La première alternative consiste à acheter une couverture auprès des banques : achat à terme de devises, etc.
Quant à la seconde alternative, elle consiste à s’auto-couvrir, et ce, à travers le maintien dans des comptes en devises (à titre total ou partielle) des recettes encaissées au titre leurs opérations d’exportation.
Ce choix leur permet en effet d’éviter le risque inhérent à la dépréciation du taux de change.
Pour mieux illustrer cela, prenons l’exemple d’un exportateur ayant une recette en devises au titre de son activité exportatrice de 100 USD et qui sera appelé à payer dans un mois une importation de 100USD.
Cet exportateur s’expose théoriquement au risque de payer plus cher son importation en dirham dans le cas où il cède les 100 USD sur le marché des changes contre dirhams.
Ainsi pour éviter ce risque , cet exportateur aura intérêt à détenir les 100USD dans un compte en devises libellé en USD.
Ce choix est censé être plus favorable en termes de coûts de couverture que la première alternative précitée particulièrement lorsque les dates d’encaissement et décaissements des devises sont plus ou moins proches.
Pour ce faire, la règlementation des changes permet aux exportateurs de garder les recettes encaissées dans des comptes en devises (porter ces recettes au crédit de ces comptes) , et ce, dans l’objectif d’utiliser ces devises pour la réalisation de leurs dépenses prévisibles en devises.
Cette utilisation s’opère à travers le débit de ces comptes pour la réalisation des opérations courantes ou en capital (libres en vertu de l’IGOC-24), effectuées conformément aux conditions prévues par cette instruction explicitées lors de nos précédents entretiens .
Ces conditions concernent notamment les modalités de paiement et les formalités pré-règlements.
En matière de modalités de paiement, elles consistent dans l’obligation de réalisation des paiements au titre des opérations libres par virement bancaire, et ce, à l’exception de quelques opérations(celles relatives aux voyages professionnels) .
S’agissant des formalités pré-règlements, ces dernières ont trait à l’obligation de
présentation aux banques de documents justificatifs bien définis par l’IGOC-24 préalablement à l’exécution par ces dernières des paiements en devises au titre des opérations libres précitées.
Toutefois, l’analyse des opérations pouvant être portées au débit des comptes en devises des exportateurs permet de relever que ces comptes peuvent être utilisés pour la réalisation :
-D’une part, de certaines OPERATIONS COURANTES (importations de services) non libres dans le cadre du droit commun, à savoir : les frais d’abonnement à des revues scientifiques et techniques ; les frais de cotisations et droits d’adhésion à des associations professionnelles ; les frais de transit, de transport, d’analyse ou d’échantillonnage ;
-D’autre part, de paiements au titre de certaines opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes (frais afférents à la réalisation d’opérations d’investissement à l’étranger des personnes morales) par des modalités autres que le virement bancaire : chèque tiré sur le compte, par carte de paiement internationale adossée audit compte ou par utilisation de billets de banque étrangers obtenus par débit dudit compte.
Ces deux avantages doivent en principe relever du droit commun.
Relever du droit commun, cela signifie que vous proposez leur suppression des opérations pouvant être enregistrées au débit des comptes en devises des exportateurs ?
Effectivement , elles ne seront plus citées explicitement, mais elles seront incluses implicitement.
Incluses implicitement, comment ?
En effet , comme il est indiqué ci-dessus , il y a une disposition qui prévoit que les comptes en devises des exportateurs peuvent être débités pour la réalisation des opérations courantes ou en capital (libres en vertu de l’IGOC-24), effectuées conformément aux conditions et modalités prévues par cette instruction.
Ces modalités permettront à tous les opérateurs économiques d’effectuer leurs paiements par virement bancaires et également par carte de paiement internationale et par chèques bancaires tirés sur les comptes en devises ouverts par ces opérateurs.
Si j’ai bien compris, vous proposez de faire bénéficier toutes les personnes morales de la possibilité de détention de comptes en devises, n’est-ce pas ?
Absolument.
Et vous ne pensez que cette proposition aura un impact négatif sur les avoirs de réserve ?
Non, comme je l’ai expliqué lors du précédent entretien, les comptes en devises ouverts par les résidents auprès des banques sont des comptes neutres sur le plan de la « caisse devises » tant que ces comptes n’offrent aucun avantage particulier à leurs détenteurs.
Un avantage particulier s’entend comme toute disposition qui aboutit à l’augmentation des dépenses potentielles en devises du Maroc.