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Investissement public au Maroc : moteur sous pression

Par Mohamed AZEROUAL, enseignant chercheur en économie

L’investissement public au Maroc, moteur clé du développement économique et social, a été intensifié depuis 2015, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l’éducation, de la santé et de l’énergie. Ces investissements, représentant près des deux tiers de l’investissement global, ont permis de réaliser des transformations profondes.

Cependant, des défis importants subsistent, notamment en raison du décalage entre les prévisions et la réalisation des projets, ainsi que des disparités régionales croissantes dans la répartition de ces investissements. Par ailleurs, l’augmentation de la dette extérieure pour financer ces projets suscite des inquiétudes quant à la soutenabilité des finances publiques à long terme.

En dépit des réformes engagées par les pouvoirs publics pour améliorer l’efficacité et la rentabilité des investissements publics, une évaluation rigoureuse de la politique d’investissement s’avère nécessaire. Cette exigence est d’autant plus pressante dans un contexte marqué par la stagnation de l’investissement privé en proportion du PIB, conjuguée à des besoins importants en infrastructures socioéconomiques.

Introduction

Dans les pays en développement, comme le Maroc, où le secteur privé demeure relativement fragile et peu dynamique face à des besoins croissants en infrastructures économiques et sociales, l’investissement public s’impose comme un levier stratégique incontournable pour promouvoir un développement durable. Représentant près des deux tiers de l’investissement global, il constitue une composante majeure de la demande globale et un outil essentiel pour stimuler l’activité économique. Son rôle est d’autant plus crucial qu’il est au cœur des débats nationaux et internationaux, les pouvoirs publics l’utilisant comme un instrument clé pour dynamiser la croissance et répondre aux défis socio-économiques.

L’OCDE définit les investissements publics comme « des dépenses d’investissement en infrastructures matérielles (routes, ports, aéroports, bâtiments publics, etc.) et immatérielles (innovation, recherche et développement, etc.) dont la durée de vie productive est supérieure à un an ». C’est ainsi qu’à long terme, l’investissement public, notamment dans le secteur des infrastructures, accroit le capital public et peut favoriser la croissance et le développement économique. Il en est de même pour les énergies renouvelables, les secteurs de l’enseignement et de la formation, de la recherche et développement et de la santé etc.

Ainsi, l’OCDE (2016) a suggéré aux Etats européens d’utiliser l’investissement public pour stimuler la croissance économique : « dans de nombreux pays, il existe une marge de manœuvre permettant de mobiliser les politiques budgétaires pour renforcer l’activité grâce à l’investissement public, notamment parce que les taux d’intérêt à long terme ont permis, dans les faits, d’accroître la latitude budgétaire ».

Bien que le Maroc ait consenti, au cours des deux dernières décennies, des efforts considérables en matière d’investissements publics, à travers de grands chantiers structurants et des stratégies sectorielles ambitieuses, des interrogations persistent quant à leur rentabilité et aux défis liés à la soutenabilité des finances publiques.

  1. Renforcement et intensification de l’effort d’investissement public au Maroc

Au cours de cette dernière décennie, l’investissement public au Maroc a connu un essor remarquable. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, l’enveloppe mobilisée par l’État est passée de 189 milliards de dirhams en 2015 à 340 milliards de dirhams en 2025, enregistrant ainsi une augmentation de près de 80%. Cette progression témoigne d’une dynamique soutenue dans la mobilisation des ressources publiques.

Graphique 1 : évolution de l’investissement public global  sur la période 2015-2025 en MMDH

Source : élaboré à partir des données du MEF

L’effort d’investissement public, mesuré en pourcentage du PIB, est particulièrement significatif au Maroc, s’élevant en moyenne à 17,5% sur la période 2015-2023. Cette part est considérablement plus élevée par rapport aux pays à vocation libérale, où l’investissement public ne représente que 3 à 4 % du PIB, notamment en Europe.

Graphique 2 : évolution de la part d’investissement
public dans PIB sur la période 2015-2025

Source : Elaboré à partir des données du HCP

S’agissant de la structure de l’effort d’investissement public au Maroc, elle se caractérise par la prédominance de la part des investissements des établissements et entreprises publics, représentant jusqu’à 56% du total, en incluant la contribution du Fonds Mohammed VI pour l’investissement.

Graphique 3 : structure du volume d’investissement public sur la période 2015-2025 

Graphique 4: évolution de l’investissement des
EEP, BGE et CT en MMDH  k

 

Source : Elaboré à partir des données du MEF

La majorité des investissements publics a été orienté vers la réalisation des grands chantiers structurants et la mise en œuvre des stratégies ambitieuses de développement sectoriel qui devraient normalement avoir un impact sur l’encouragement de l’investissement privé et, par conséquent, sur la croissance et le développement économique.

D’ailleurs, le déploiement du cadre juridique du partenariat public-privé (PPP), en 2015, s’inscrit dans la vision de l’évolution du rôle de l’Etat et des établissements publics à renforcer davantage leur partenariat avec les opérateurs privés, à travers une mission globale de conception, de construction, de financement, de maintenance ou de réhabilitation et d’exploitation des ouvrages ou d’infrastructures nécessaires à la fourniture d’un service public.

De même, le PPP permet de bénéficier de l’expertise et des capacités d’innovation et de financement du secteur privé et d’améliorer ainsi l’effectivité et la qualité des services et l’efficience des dépenses publiques.

De même, la répartition régionale de l’investissement public, en particulier celui des EEP, demeure inégale. Entre 2015 et 2025, trois régions, à savoir Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Marrakech-Safi, concentrent plus de 60 % de cet investissement. En revanche, les régions de Béni Mellal-Khénifra, Fès-Meknès, Drâa-Tafilalet, Souss-Massa, Laâyoune-Sakia El Hamra, Guelmim-Oued Noun et Dakhla-Oued Eddahab bénéficient des parts les plus modestes de l’investissement des EEP.

Graphique 5 : répartition régionale des investissements des EEP 2015-2025

Source : élaboré à partir des données du MEF

Cette répartition inégale soulève des interrogations majeures sur l’impact réel de ces investissements sur la croissance économique globale, le développement régional et l’attractivité des différents territoires. Il est essentiel d’évaluer leur efficacité dans la réduction des inégalités sociales et spatiales, la promotion de l’emploi, la lutte contre la pauvreté, ainsi que leur capacité à générer des effets d’entraînement sur l’investissement privé, qu’il soit d’origine nationale ou étrangère.

  1. Rentabilité de l’investissement public et défis de la soutenabilité des finances publiques

Malgré l’importance des enveloppes budgétaires consacrées annuellement à l’investissement public, force est de constater que le taux de leurs réalisations reste en-deçà des attentes. Ce décrochage des réalisations par rapport aux prévisions, limite l’efficacité et l’impact de l’investissement public sur l’atteinte de ses objectifs et remet en cause le système de sa gestion et de sa gouvernance.

La part de l’investissement public non réalisée constitue donc un manque à gagner en termes de croissance économique et d’effet d’entrainement sur l’investissement privé. Cette situation interpelle sur le niveau de la capacité d’absorption des institutions publiques pour les investissements prévus dans les lois de finances annuelles.

Par ailleurs, bien que les investissements publics aient eu un impact positif sur les capacités de production, ils ont également souffert de problèmes d’efficience, conduisant à des rendements marginaux décroissants, notamment dans certains secteurs, en grande partie en raison d’une répartition sectorielle et géographique déséquilibrée (OCP Policy Center, 2025)[1].

De même, le dernier rapport de l’OCDE (2024)[2] sur l’investissement public au Maroc souligne des écarts significatifs d’efficience et d’efficacité de l’investissement, tant en termes d’accès aux infrastructures publiques que de perception de leur qualité. Le Maroc affiche un niveau d’accès inférieur à celui de pays comparables.

Selon les rapports annuels de la Cour des comptes pour 2023[3] et 2024[4], bien que les investissements publics aient contribué à l’amélioration des infrastructures et des équipements publics, leur impact n’a pas suffi à stimuler une dynamique parallèle en matière d’investissements privés. De plus, des insuffisances dans la gestion des investissements publics ont été mises en évidence, limitant ainsi leur efficacité globale. Afin d’améliorer l’efficacité des investissements publics et d’atteindre les résultats attendus, la Cour des comptes recommande de renforcer les mécanismes de ciblage, de programmation et de priorisation. Cette démarche doit être fondée sur des études préalables intégrant la participation de toutes les parties prenantes et reposant sur des indicateurs objectifs, pertinents et consensuels entre les différents acteurs.

Bank Al-Maghrib (2022) a également souligné l’impact mitigé de l’investissement public sur l’emploi. Entre 1999 et 2019, le contenu en emploi de la croissance a enregistré un recul significatif. En effet, chaque point de croissance a généré moins de 21 000 emplois entre 2010 et 2019, contre plus de 30 000 emplois entre 2000 et 2009.

De même, le rapport annuel du CESE (2022)[5] a mis en exergue l’importance cruciale d’améliorer la qualité et l’efficacité des investissements pour stimuler l’économie et atteindre un niveau de croissance supérieur. Cette recommandation découle du constat de la faiblesse du rendement de l’investissement en termes de contribution à la croissance et à l’emploi au Maroc.

La question de la soutenabilité des finances publiques devient cruciale dans le contexte actuel. En effet, le Maroc affiche un niveau d’endettement relativement élevé, une partie significative de cet endettement étant orientée vers le financement de l’effort d’investissement, notamment dans les projets structurants et les grandes infrastructures.

Graphique 5 : évolution de l’investissement public et de la dette extérieure publique                     sur la période 2015-2024 en MMDH

Source : élaboré à partir des données du MEF

Le graphique ci-dessus, qui retrace l’évolution de l’investissement public et de la dette extérieure publique entre 2015 et 2024, met en évidence une corrélation étroite entre ces deux variables. La hausse de l’investissement public semble aller de pair avec l’augmentation de l’endettement extérieur, suggérant que le recours à l’emprunt constitue, pour l’instant, un levier essentiel de financement des grands projets de développement.

Si cette stratégie peut se justifier à court terme par la nécessité d’accélérer la croissance et de moderniser les infrastructures, elle soulève des interrogations quant à sa viabilité à long terme. Une dépendance excessive à l’endettement pourrait, à terme, fragiliser les finances publiques et réduire la marge de manœuvre budgétaire de l’État, limitant ainsi sa capacité à maintenir un niveau d’investissement soutenu.

Dans ce contexte, la soutenabilité de cette dynamique repose sur la rentabilité des projets financés. Seuls des investissements générant des retombées économiques durables permettront de préserver l’équilibre entre développement et stabilité financière. L’enjeu est donc de concilier ambition et prudence, en veillant à ce que l’endettement reste un moteur de croissance plutôt qu’un facteur de vulnérabilité.

Il convient, à cet égard, de souligner que le Maroc a entrepris, ces dernières années, une réforme de son système d’investissement en général et de l’investissement public en particulier.

  1. Réformes institutionnelles pour améliorer l’efficacité de l’investissement public

Dans le cadre de la mise en œuvre du Nouveau Modèle de Développement, les réformes entreprises par les pouvoirs publics visent à renforcer l’efficacité et la rentabilité des investissements, tout en maximisant leur impact sur les conditions de vie des citoyens. Au cœur de cette transformation, la création de nouvelles institutions vise à optimiser la gouvernance et à garantir une allocation efficiente des ressources. Il s’agit notamment :

  • Du Fonds Mohammed VI pour l’investissement dont l’objectif premier est de catalyser l’investissement, en s’appuyant sur ses fonds propres et à travers la mobilisation d’importants financements nationaux et internationaux. Le Fonds vise à soutenir les grands projets d’infrastructures par le biais de partenariats public-privé et à renforcer le capital des entreprises ayant des besoins en fonds propres afin de contribuer à leur développement et à la création d’emplois.
  • De l’Agence Nationale de Gestion Stratégique des Participations de l’État et de suivi des performances des Etablissements et Entreprises Publics, qui a pour mission de veiller aux intérêts patrimoniaux de l’État actionnaire, de gérer ses participations et d’assurer le suivi et l’appréciation des performances des EEP. Elle a vocation à être l’investisseur national d’un portefeuille cohérent d’EEP rentables et responsables qui jouent pleinement leur rôle dans l’inclusion socio-économique et le développement durable du Maroc.
  • Du Ministère de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des Politiques Publiques qui est chargée de l’élaboration et du suivi de la mise en œuvre de la politique de l’Etat dans les domaines de l’investissement, de l’amélioration du climat des affaires, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques.

L’État a également engagé diverses mesures visant à accroître l’efficacité et la rentabilité des investissements, notamment à travers la poursuite de la mise en œuvre de la nouvelle Charte de l’investissement. Cette charte ambitionne d’orienter les flux d’investissement vers des secteurs productifs prioritaires à forte valeur ajoutée, de renforcer l’attractivité du Maroc, de faciliter l’acte d’investir, et de stimuler la part de l’investissement privé dans l’économie nationale.

Par ailleurs, des efforts soutenus ont été déployés pour améliorer le climat des affaires et moderniser le cadre juridique, avec des réformes portant sur les Centres Régionaux d’Investissement, la réduction des délais de paiement, la réforme de la commande publique, la simplification des procédures douanières, ainsi que la lutte contre la fraude.

Ces réformes revêtent une importance capitale et sont susceptibles d’améliorer l’efficacité des investissements, tant dans leur ensemble que pour l’investissement public en particulier. Toutefois, au regard du diagnostic précédemment établi, une évaluation approfondie de la politique d’investissement au Maroc s’impose. Cette nécessité est d’autant plus pressante dans un contexte marqué par une stabilité de l’investissement privé en proportion du PIB, des besoins colossaux en infrastructures en vue des préparatifs pour des événements sportifs majeurs ; notamment la Coupe d’Afrique des Nations de Football 2025 et la Coupe du Monde 2030 ; ainsi qu’un taux d’endettement élevé, mobilisé pour financer ces efforts d’investissement, avec le risque de compromettre la soutenabilité des finances publiques à long terme.

Conclusion 

L’investissement public au Maroc constitue un levier essentiel du développement économique et social, en comblant les lacunes du secteur privé et en modernisant les infrastructures. Depuis 2015, l’État a fortement augmenté ses dépenses dans des secteurs clés tels que les infrastructures, l’éducation, la santé et l’énergie, représentant près des deux tiers de l’investissement global. Toutefois, cette dynamique soulève des questions quant à l’efficience des projets et leur impact sur la croissance.

La soutenabilité financière de ces investissements représente également un défi majeur, notamment en raison de l’augmentation de la dette publique. Pour garantir un impact durable, des réformes institutionnelles et une gouvernance renforcée sont essentielles. La création de nouvelles structures et l’implication accrue du secteur privé visent à améliorer l’efficacité des investissements et à rééquilibrer leur répartition. Afin d’assurer un développement inclusif et pérenne, le Maroc doit continuer à surveiller l’impact de ses politiques d’investissement, en mettant l’accent sur l’optimisation des ressources et la réduction des inégalités territoriales.

Références

  • Azeroual, M., Omnsour, N. (2019), « Investissements publics et croissance économique au Maroc : une évaluation par l’approche ‘‘ARDL Bound Testing’’, Policy Center for the New South et HCP, les cahiers du plan, numéro spécial – Volume 2 ;
  • Bank Al Maghrib (2022), « Présentation du Wali de Bank Al Maghrib devant la commission des finances et du développement économique, Chambre des Représentants » ;
  • Rapport CESE (2022) ;
  • Rapport OCDE (2024), « L’investissement public au Maroc : un levier stratégique pour le développement durable du pays », examens de l’OCDE sur la gouvernance publique ;
  • Rapports annuels de la Cour des comptes (2023 et 2024) ;
  • OCP Policy Center (2025), « Maroc : stratégie de croissance à l’horizon 2025 dans un environnement international en mutation ».

[1] OCP Policy Center (2025), « Maroc : stratégie de croissance à l’horizon 2025 dans un environnement international en mutation », p. 52.

[2] OCDE (2024) « L’investissement public au Maroc : un levier stratégique pour le développement durable du pays », examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, p. 13 et 14.

[3] Principaux axes du rapport annuel de la Cour des comptes au titre de 2022-2023, p. 10.

[4] Principaux axes du rapport annuel de la Cour des comptes au titre de 2023-2024, p. 8 et 9.

[5] Rapport annuel du CESE (2022), p.17.

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