Règlementation des changes: le régime des autres opérations en capital est -il pertinent ?

Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes
Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les « autres opérations en capital ».
Les explications données par l’économiste nous ont permis de saisir l’objet de cette réglementation, à savoir la définition d’un cadre partiellement libéral pour la réalisation des opérations précitées.
Ce cadre s’articule pour rappel autour de deux volets : la définition de la liste des opérations relevant de la catégorie « autres opérations en capital » et la fixation des conditions de réalisation de ces opérations.
Ces éléments, présentés de manière détaillée dans le précédent entretien, soulèvent toutefois quelques questionnements concernant leur pertinence. Ces questionnements feront l’objet du présent entretien.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les autres opérations en capital ?
Les dispositions de la règlementation des changes régissant les autres opérations en capital se caractérisent par quelques insuffisances.
Ces insuffisances concernent particulièrement les conditions imposées en matière de paiements en devises relatifs à certaines opérations relevant de la catégorie « autres opérations en capital », notamment l’opération relative au transfert des avoirs n’ayant pas le caractère transférable constitués durant leur séjour au Maroc par les personnes physiques de nationalité étrangère.
Ces conditions considérées comme impertinentes sont les suivantes :
-La première condition est qu’il faut que les avoirs librement transférables proviennent d’opérations de cession d’actifs réels ou financiers ( biens immeubles ou valeurs mobilières) ou de revenus sur valeur mobilières. Cette condition a pour corollaire que les avoirs provenant de revenus du travail épargnés par les personnes concernées ne sont pas éligibles à ce régime.
-La deuxième condition est que les montants pouvant être transférés à l’étranger, au titre de l’opération relative au transfert des avoirs n’ayant pas le caractère transférable constitués par les personnes physiques de nationalité étrangère durant leur séjour au Maroc, sont limités à 50.000 dirhams maximum par année de séjour continu des personnes concernées.
-La troisième condition est qu’il faut que la personne physique de nationalité étrangère détentrice des avoirs précités décède ou envisage de quitter définitivement le Maroc. Autrement dit, ces avoirs ne peuvent pas être transférés à l’étranger dans le cas où la personne précitée reste au Maroc.
-La quatrième condition est qu’il faut que les ayant droit bénéficiaires des avoirs précités à titre de dévolution successorale en cas de décès de la personne précitée soient des personnes étrangères non-résidentes ne disposant de la nationalité marocaine. Autrement dit, les personnes non-résidentes ayant la double nationalité (marocaine et étrangère) ne peuvent pas bénéficier de ces avoirs.
-La cinquième condition est que les banques doivent se faire remettre préalablement à la réalisation de l’opération précitée un certain nombre de documents énumérés par l’article 199 de l’IGOC-24.
Vous dites ci-dessus que ces cinq conditions sont impertinentes, pourquoi ?
Je pense que pour mieux répondre à cette question, il serait nécessaire de traiter séparément chacune de ces conditions.
Commençons par la première condition. En quoi cette condition est impertinente ?
Cette condition est de mon point de vue impertinente, du fait qu’elle exclut les avoirs provenant de revenus du travail épargnés par les personnes concernées.
Autrement dit, une personne étrangère ayant constitué une épargne à partir de son activité productive au Maroc sera obligée , afin d’être éligible au schéma tracé par la règlementation des changes d’acheter un bien immeuble ou un actif financier et de le revendre.
Quid de la deuxième condition ?
Pour mieux répondre à votre question, il est nécessaire tout d’abord de « déconstruire » l’opération en question.
En effet, il s’agit d’une opération transfert des avoirs n’ayant pas le caractère transférable constitués durant leur séjour au Maroc par les personnes physiques de nationalité étrangère.
Ces avoirs liquides (des dirhams) ne revêtent pas le caractère transférable en raison du fait que les personnes détentrices de ces avoirs ne disposent pas de documents justifiant leur financement par apport de devises ou de sources assimilées.
Ces documents sont pour rappel définis par l’article 13 de l’IGOC-24 : les formules 2 ou 3, dans le cas de financement à partir de ressources d’origine étrangère et les avis de débit d’un compte en dirhams convertibles ou en devises , dans le cas de financement à partir de sources internes( revenus générés par leurs activités productives au Maroc).
Or, ces justificatifs sont problématiques en raison du fait qu’ils soulèvent des difficultés pratiques liées aux deux facteurs suivants :
-Le premier facteur réside dans la méconnaissance de cette disposition par les étrangers qui ressortent dans la majorité de cas de pays ne disposant pas de régimes de contrôle des changes restrictifs.
-Le deuxième facteur est lié au fait que les étrangers doivent loger les revenus générés au titre de leurs activités au Maroc dans des comptes en dirhams convertibles ou en devises pour pouvoir bénéficier du régime de convertibilité, c’est-à-dire pour que ces revenus( ainsi que leurs investissements au Maroc) puissent être librement transférables. Or, ces comptes sont soumis à des frais bancaires supérieurs aux frais requis pour les comptes en dirhams ordinaires, ce qui découragent les étrangers de détenir lesdits comptes.
-Le troisième facteur concerne la longévité du temps s’écoulant entre le moment de la réalisation de l’investissement initial et le moment de la cession de cet investissement, longévité qui fait que les investisseurs concernés risquent de perdre le document justificatif du financement en devises .
Ces éléments font que les avoirs considérés comme non transférables sont généralement constitués à partir de sources assimilées aux devises(revenus gagnés au titre leurs activités au Maroc), sans toutefois que les personnes détentrices de ces avoirs suivent le schéma tracé par la règlementation des changes ( ouverture d’un compte en dirhams convertibles ou en devises).
Par conséquent, cette formalité doit être supprimée. Cette suppression fera que la limitation de 50.000 dirhams par année de séjour au Maroc sera vidée de toute sa substance, car les avoirs considérés comme non transférables seront transférables dans leur totalité si on supprime cette formalité de présentation du justificatif du financement en devises.
Mais la suppression de la formalité de présentation du justificatif du financement en devises précité ne risque-t-elle pas d’avoir un impact sur les avoirs de réserve ?
Non, la suppression de cette formalité n’aura aucun impact sur les avoirs de réserve pour les deux principales raisons suivantes :
-La première raison est que ces opérations relatives aux transferts des avoirs constitués par les personnes étrangères durant leurs séjours au Maroc sont de très faibles enjeux macroéconomiques.
-La seconde raison est que le cadre règlementaire actuel n’empêche pas la réalisation de ces opérations, et ce, dans la mesure où les montants qui dépassent les limitations quantitatives de 50.000 dirhams par an sont transférables sur trois ans à travers les comptes convertibles à terme.
Mais, la suppression de cette formalité risque quand même d’être utilisée comme canal de contournement de la règlementation des changes par les résidents !
En théorie oui. En effet, un résident peut, en cas de suppression de la formalité de présentation du justificatif du financement en devises, organiser un montage transactionnel en trois étapes :
-La première étape consisterait en une opération de cession par ce résident d’un actif (financier ou réel) à un étranger ;
-La deuxième étape consisterait en une opération de cession par l’étranger de cet actif à un autre résident ;
-La troisième étape consisterait en l’opération de transfert à l’étranger du produit de cession dudit actif.
Mais, l’utilisation de ce montage comme canal de contournement de la règlementation des changes est très coûteuse, car il donnera lieu au paiement des impôts et taxes doublement.
Venons maintenant à la troisième condition indiquée ci-dessus relative à l’obligation que la personne physique de nationalité étrangère détentrice des avoirs précités décède ou envisage de quitter définitivement le Maroc !
Cette condition ne sera plus de mise dans le cas de la suppression de la formalité de justification du financement en devises des avoirs constitués par les personnes physiques étrangères durant leur séjour au Maroc.
En effet, ces avoirs seront transférables à l’étranger ( que ces derniers restent au Maroc ou quittent le Maroc) , sur présentation de documents justifiant l’origine des fonds(activités salariales, actifs cédés , etc.).
Quid de la quatrième condition relative à l’obligation que les ayant droit bénéficiaires des avoirs précités à titre de dévolution successorale ,en cas de décès de la personne précitée , soit des personnes étrangères non-résidentes ne disposant de la nationalité marocaine ?
Les mêmes arguments présentés ci-dessus s’appliquent dans ce cas également. En effet, cette condition ne sera plus de mise dans le cas de la suppression de la formalité de justification du financement en devises des avoirs constitués par les personnes physiques étrangères durant leur séjour au Maroc.
En effet, ces avoirs seront transférables à l’étranger , sur présentation de documents justifiant l’origine des fonds(activités salariales, actifs cédés , etc.).
Venons maintenant à la cinquième condition relative aux documents devant être remis aux banques préalablement à la réalisation par ces dernières des transferts à l’étranger des avoirs constitués par les personnes physiques étrangères durant leurs séjours au Maroc.
Ces documents énumérés par l’article 199 de l’IGOC-24 sont largement surdimensionnés par rapport à l’enjeux économique des opérations.
En effet, sept documents sont exigés pour le transfert des avoirs constitués par les personnes physiques de nationalité étrangère quittant définitivement le Maroc, durant leur séjour au Maroc.
En outre, huit documents sont exigés pour le transfert au titre des dévolutions successorales en faveur des ayant droit étrangers non-résidents, des avoirs constitués par les personnes physiques de nationalité étrangère .
Ces formalités seront naturellement largement assouplies à l’issu de la suppression de la formalité de présentation des documents justificatifs du financement en devises des avoirs détenus au Maroc par les étrangers résidant au Maroc.
Cet assouplissement devra aboutir à la mise en place d’un schéma procédural dans lequel un seul document devra être exigé , à savoir celui justifiant l’origine des fonds(certificats justifiant les revenus salariaux ou professionnels, contrats de vente de biens immeubles, de biens meubles, de cession de valeurs mobilières et relevé des revenus sur valeur mobilières, etc.