Afrique: BAM appelle à réduire la dépendance dans le secteur des services financiers

L’Afrique doit accélérer son intégration économique pour développer les marchés de capitaux, soutenir les startups et fintech, et attirer les investissements, y compris de la diaspora. Face aux enjeux de souveraineté liés aux nouvelles technologies, la réduction de la dépendance, notamment dans les services financiers, est cruciale. Le cadre réglementaire de la ZLECAf offre une opportunité clé pour sécuriser les infrastructures numériques du continent.
Voici l’intervention de Monsieur Abderrahim Bouazza, Directeur Général de Bank Al-Maghrib, lors de la session du Gitex Africa 2025 sous le thème : «Forecasting for the Road Ahead»
Il n’est pas ici question de parler du futur de la finance qui donne le vertige, comme cela a
été le cas ces derniers jours suite à des changements dans les politiques commerciales
induites par des facteurs géopolitiques et économiques.
Aujourd’hui, on parle de la finance qui saisit les opportunités de l’innovation pour mettre
en place des solutions permettant la transformation numérique des services financiers et
d’améliorer leur accès et leur usage par les populations africaines peu ou non servies et par
les petites entreprises notamment celles qui opèrent dans l’économie informelle.
Bien sûr, on ne peut pas ignorer les impacts de la géopolitique et des fortes incertitudes de
la conjoncture internationale sur le développement de la technologie financière en Afrique
Sur le plan de financement, il faut tout d’abord souligner que l’Afrique est devenue l’un
des marchés fintech à la croissance la plus rapide, leur nombre ayant triplé sur les 5 dernières
années pour dépasser le nombre des banques traditionnelles.
Toutefois, on a observé, au cours de ces dernières années, un ralentissement des
financements dans les technologies financières, en raison du durcissement des conditions
de financement à l’échelle mondiale, comme c’est le cas en général pour les IDE.
En plus, dans un contexte où l’indice d’incertitude de la politique économique mondiale
frôle, selon le banque Mondiale, le niveau atteint en 2020, les besoins de financement des
économies africaines sont sous forte pression face aux challenges qu’impliquent une triple
transition : la transition digitale, la transition climatique et la transition vers un cadre
macroéconomique stable.
Pour relever ce défi, il est impératif d’accélérer l’intégration des économies africaines pour
bénéficier des économies d’échelle permettant de développer les marchés de capitaux, en
particulier les instruments de financement spécifiques aux startups et fintech ; et pour attirer
plus de capitaux de l’étranger incluant ceux de la diaspora.
Pour ce qui est des nouvelles technologies, elles sont de plus en plus au centre des
rapports géopolitiques dans un contexte caractérisé par la prédominance d’un nombre
limité d’entreprises. Ces nouvelles technologies deviennent un enjeu de souveraineté, en
plus de leur enjeu de compétitivité économique
Aussi, le continent doit dès à présent se préparer à réduire sa dépendance notamment dans
le secteur des services financiers. À cet égard, le projet de cadre réglementaire des services
financiers de la Zone de libre-échange continentale africaine en cours d’étude représente
une opportunité unique pour établir les fondations de politiques résilientes pour la maîtrise
et la sécurité des infrastructures numériques critiques de cette zone.
Malgré ces vents contraires, les perspectives de l’industrie africaine de la fintech sont
prometteuses compte tenue du potentiel de croissance non encore exploité et qui pourrait
être libéré en donnant la priorité à trois enjeux spécifiques aux économies de la région :
Le 1er concerne l’adaptation et l’assouplissement de la régulation des fintechs.
C’est un levier très important pour l’éclosion de l’industrie des fintechs, comme l’a montré
certaines expériences notamment M-Pesa au Kenya ou Wave au Sénégal, qui ont fait
exploser le nombre des comptes d’argent mobile et donner une impulsion très forte au
développement des services financiers numériques.
C’est le cas aussi au Maroc où l’ouverture du marché bancaire, depuis 2017, à des acteurs
non bancaires, a constitué un vecteur majeur pour l’inclusion financière de millions de
personnes notamment celles bénéficiant du système de protection d’aide sociale mis en
place par le gouvernement.
Toutefois, le développement de l’industrie fintech reste freiné par la fragmentation du cadre
de régulation. Aujourd’hui, les fintechs opérant dans plus d’un pays sur le continent doivent
obtenir des licences distinctes et se conformer à des réglementations nationales
hétérogènes, ce qui génère des surcoûts, ralentit leur expansion sur le plan régional et freine
l’innovation.
L’l’initiative prise récemment par les BC du Rwanda et du Ghana pour adopter le principe
de la licence unique pour les fintechs et la mise en place de sandboxes, dans plusieurs pays,
donnent un signal fort pour l’harmonisation et l’assouplissement de la régulation des
fintechs.
Le 2ème enjeu concerne les infrastructures de base nécessaires pour massifier l’adoption de services digitaux.
Il s’agit du manque d’accès à l’électricité pour 800 millions de personnes selon la BAD, et
des problèmes liés à l’identification numérique et à la connectivité. Si la couverture mobile
a atteint un niveau de 80 % de la population, l’usage effectif d’internet reste limité à 30 %
Les plateformes numériques et les systèmes de paiement instantanés constituent également
des éléments accélérateurs de la transformation digitale, comme le montre les expériences
dans plusieurs régions du monde. Pour ce qui est de l’Afrique les systèmes de paiement
instantanés sont adoptés seulement par 4 pays : le Nigéria, le Ghana, la Tanzanie et le
Maroc.
Le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), auquel 14 pays du continent ont
adhéré à ce stade, devrait constituer une priorité stratégique pour mettre en place des
systèmes de paiement instantané et interopérables à l’échelle du continent pour faciliter les
paiements et les transferts transfrontaliers à des coûts réduits, sachant qu’une part
significative de ces transferts continue de passer par des canaux informels.
Le 3ème enjeu est celui de la compétition croissante dans l’industrie de la Fintech
L’industrie fintech africaine contribue de plus en plus à la mutation numérique dans le
secteur des services financiers et se montre plus efficace là où l’intermédiation bancaire
traditionnelle n’a pas pu répondre aux besoins de la population.
Face à cette évolution, les banques traditionnelles africaines accélèrent la digitalisation de
leurs services, pour conserver leur clientèle et attirer une population jeune, friande de
technologies financières.
D’autre part, tant les fintechs, que les banques traditionnelles africaines font face à une
concurrence croissante des néo-banques, des grandes entreprises technologiques et des
fintechs étrangères.
Dans ce contexte concurrentiel, marqué également par l’évolution rapide de la technologie,
les fintechs devraient relever le défi de leur expansion, de la diversification de leurs produits
et de leur adaptation aux besoins du marché.
Le changement de leur business model pourrait nécessiter d’établir des partenariats
stratégiques pour faire face à de nouveaux besoins en investissements, notamment pour
développer des capacités suffisantes pour gérer des risques de plus en plus complexes et se
conformer aux exigences réglementaires.
L’industrie des services financiers et de la fintech du continent fait face à d’autres
défis qui sont partagés avec beaucoup d’autres pays. Il s’agit de la compétition
mondiale sur les talents, de plus en plus difficile à recruter, l’accroissement des fraudes, des
crimes financiers et des cyberattaques. Ces risques, qui sont en train d’être exacerbés par
l’IA, menacent de plus en plus les systèmes de protection des données privées et l’intégrité
des marchés.
Alors que l’adoption du numérique continue de croître, alimentée par une population jeune
et avertie qui ne montre pas de signe de ralentissement, les gouvernements, les institutions
éducatives et académiques ainsi que les BC doivent collaborer pour renforcer les campagnes
de sensibilisation et les programmes d’éducation financières et digitales et encourager la
recherche en matière d’innovation financière.
Avant de conclure, je voudrais souligner que nous n’avons pas d’autres choix que d’unir les
efforts des acteurs privés et publics, tant au plan national que régional pour créer les
conditions favorables à la mutation numérique en cours dans les services financiers et pour
relever les défis y associés.
C’est dans ce sens que s’inscrivent les initiatives de plusieurs pays du continent dont le
Maroc avec la mise en place par le Gouvernement de la stratégie Maroc digital 2030, et la
création récente du Morocco Fintech Center par les autorités de régulation du secteur
financier en partenariat avec plusieurs acteurs publics et privés ainsi que la mise en place,
par BAM, d’un fond fintech avec une dotation initiale de 10 Millions de dollars