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La présidence Trump, un tournant pour la séparation des pouvoirs aux États-Unis

La plus grande démocratie du monde serait-elle en train de vaciller? Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump multiplie les décrets présidentiels, contourne le Congrès et défie les décisions de justice. Cette stratégie unilatérale fragilise le principe de séparation des pouvoirs, au cœur même du système démocratique américain.

En l’espace de quelques mois, Donald Trump a bouleversé l’appareil gouvernemental américain. Il a démantelé l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et licencié des milliers de fonctionnaires.

Plusieurs inspecteurs généraux et membres des conseils d’administration d’agences indépendantes ont également été évincés. Une pratique en contradiction directe avec la loi fédérale et la jurisprudence de la Cour suprême, qui ne lui reconnaissent aucun pouvoir en la matière.

Violation de la séparation de pouvoirs dénoncée

Dès son investiture, Donald Trump a également ordonné la suspension de subventions fédérales, sans l’aval du Congrès, pourtant seul compétent en matière budgétaire. Plusieurs Etats ont saisi la justice, redoutant la suppression de services essentiels.

Le Tribunal fédéral de Rhode Island a finalement suspendu cette mesure, estimant que le président ne pouvait pas geler unilatéralement des fonds légalement attribués. Le juge a dénoncé une « violation de la séparation des pouvoirs », rappelant que l’exécutif ne détient aucun droit d’agir ainsi en dehors du cadre fixé par le Congrès.

Enfin, en un peu plus de trois mois, le président américain a signé 111 décrets, dont l’un remettait en cause le droit du sol, pourtant garanti par la Constitution américaine.

Une démocratie en danger?

Ces actions, jugées par certains comme une extension sans précédent du pouvoir exécutif, soulèvent la question d’une possible crise constitutionnelle. En effet, en s’appropriant des compétences législatives, Donald Trump remet en cause la séparation des pouvoirs, pilier fondamental de toute démocratie.

Inscrit dans la Constitution américaine en 1787, la doctrine vise à empêcher toute concentration excessive du pouvoir et dérive autoritaire. Inspiré des idées de Montesquieu, elle répartit les responsabilités entre les trois branches du gouvernement: le législatif, l’exécutif et le judiciaire.

Autrement dit, le Congrès vote les lois, le président les administre et les tribunaux les interprètent. Chacune dispose ainsi de son propre champ d’action tout en ayant la capacité de limiter les autres, un équilibre assuré par le mécanisme des « freins et contrepoids » (checks and balances en anglais).

Les scénarios possibles

Si des anciens présidents américains comme Abraham Lincoln ou Franklin Roosevelt se sont – eux aussi – heurtés à la Cour suprême, la situation actuelle se distingue par la concentration de pouvoir entre les mains d’un seul homme, sans véritable contre-pouvoir effectif.

Ainsi, contrairement à ses prédécesseurs, qui ont exercé leur pouvoir fort en concertation avec le Congrès et dans un cadre institutionnel, Donald Trump agit seul, sans respecter l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, remarque le spécialiste en droit constitutionnel Jeffrey Schmitt dans le média en ligne The Conversation.

Le seul véritable levier pour contrer cette dynamique pourrait être la prochaine élection présidentielle »Jeffrey Schmitt, spécialiste en droit constitutionnel 

En outre, si les tribunaux ont pu bloquer certaines décisions du président, « leur capacité à faire respecter leurs ordres reste limitée », poursuit le spécialiste en droit constitutionnel.

Le Congrès pourrait théoriquement initier une procédure de destitution, dite « impeachment », mais ce processus reste long et complexe. « Dans ce contexte, le seul véritable levier pour contrer cette dynamique pourrait être la prochaine élection présidentielle », explique Jeffrey Schmitt.

Pouvoir de l’exécutif étendu

La présidence Trump a également remis au goût du jour le concept « d’exécutif unitaire ». Cette théorie, issue de la pensée conservatrice, confère au président américain l’autorité totale sur l’exécutif: il contrôle librement l’administration, choisit ses collaborateurs, oriente l’usage des fonds votés par le Congrès et interprète à sa guise la façon dont la loi doit être appliquée. Il peut même refuser de l’appliquer s’il la juge contraire à la Constitution, en attendant une décision de la Cour suprême.

Plébiscité par le Parti républicain, ce principe répond à un impératif politique, à savoir le refus de voir des « bureaucrates non élus » prendre en main la gestion des affaires publiques, à travers, notamment, la création d’agences indépendantes.

Or, ces agences indépendantes ont été créées par le législateur précisément pour protéger certains secteurs des turbulences liées aux alternances politiques. Mais aux yeux des défenseurs de l’exécutif unitaire, leur prolifération affaiblit le pouvoir du président, entravant ainsi la pleine mise en œuvre du mandat qui lui a été confié.

Les décrets comme arme de gouvernance

Donald Trump a aussi fait des décrets présidentiels un instrument central de son pouvoir. Bien que ces « executive orders » soient l’instrument juridiquement le plus faible – en dessous de la Constitution, des lois et même des règlements – leur usage intensif permet au président de gouverner sans passer par le Congrès.

En temps normal, le droit supérieur invaliderait la plupart de ces décrets. Cependant, sous l’administration Trump, la situation est différente. Le président ignore fréquemment les décisions des juges concernant ces décrets, invoquant des raisons de sécurité nationale.

Par exemple, dans le cadre de l’expulsion de membres présumés de gangs vénézuéliens, le gouvernement s’est appuyé sur une loi de 1798, généralement utilisée en temps de guerre, qui permet d’expulser des étrangers sans procédure judiciaire. Lorsque qu’un juge fédéral a suspendu l’expulsion, cette décision a été ignorée, car les avions étaient déjà sortis de l’espace aérien américain. Début avril, la Cour suprême a finalement autorisé leur expulsion.

Ce mode de gouvernance s’inscrit dans une conception très large du pouvoir exécutif, que Donald Trump assume pleinement. Déjà en 2019, il affirmait que la Constitution lui donnait « le droit de faire ce qu’il voulait en tant que président ». Une déclaration réitérée en 2023, lorsqu’il assurait sur la chaîne Fox News, qu’il ne serait « pas un dictateur, sauf le premier jour » en cas d’un éventuel second mandat. RTS

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