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L’Allemagne est-elle en passe de prendre un virage historique dans sa politique budgétaire?

L’Allemagne a dévoilé mercredi son futur gouvernement et un accord de coalition entre conservateurs et socio-démocrates. Outre le blanc-seing laissé aux dépenses de défense, il marque aussi un véritable tournant en assouplissant le tabou de la rigueur budgétaire.

Dans un contexte économique et géopolitique mondial explosif, Friedrich Merz a annoncé un accord de coalition entre son parti conservateur (CDU/CSU) et les sociaux-démocrates (SPD) du précédent chancelier Olaf Scholz. L’alliance conservatrice dirigera neuf ministères, contre sept pour le SPD. Ce gouvernement devrait entrer en fonction début mai.

Après ses annonces, le futur chancelier a envoyé un message aux Etats-Unis: « L’Allemagne est de retour sur la bonne voie. L’Allemagne et l’Union européenne seront à nouveau des partenaires forts et nous ferons avancer l’Union européenne », a-t-il lancé directement en anglais.

S’il reste encore beaucoup d’inconnues, « le fait d’avoir une perspective, un contrat de coalition de près de 150 pages qui trace des grandes lignes, c’est rassurant pour l’Allemagne, l’Union européenne et l’Europe en général », commente la politologue Claire Demesmay, professeure à Sciences-Po Paris et chercheuse associée au centre Marc Bloch de Berlin, jeudi dans Tout un monde.

Une priorité, la relance

Le document entérine entre autres le principe d’un soutien « complet » à l’Ukraine et d’ouverture des budgets de sécurité et de défense. Mais ce sont surtout les lignes directrices de la politique économique qui détonnent: Berlin veut s’attaquer aux revendications sociales en donnant un souffle nouveau à sa croissance, souligne la chercheuse.

Friedrich Merz ne devra pas se laisser intimiderClaire Demesmay, professeure à Sciences-Po Paris

Pour y parvenir, Friedrich Merz semble miser sur une politique de relance qui romprait avec des décennies d’une orthodoxie budgétaire radicale à droite. L’Allemagne a adopté mi-mars un plan d’investissements massif de 500 milliards d’euros sur douze ans pour soutenir les dépenses militaires, moderniser ses infrastructures et relancer son économie. Mais le futur chancelier devra pour cela assouplir le frein à l’endettement.

« C’est le point qu’il faut retenir », explique Claire Demesmay. « Et ce qui est intéressant, c’est que (…) tout ça a été décidé avant d’avoir un traité. Les partenaires de la coalition gouvernementale se sont entendus très vite sur cette question. C’est un moment historique pour l’Allemagne, qui respectait l’orthodoxie budgétaire depuis des années, voire des décennies. »

Pressions de la droite et de l’extrême droite

Cette orientation pourrait toutefois affaiblir le chancelier dans ses propres rangs. « Pour la droite, c’était un tabou. L’orthodoxie budgétaire était une question de sérieux, de crédibilité. Friedrich Merz a d’ailleurs fait campagne sur cette question. Et là, avant même de former un gouvernement, on a un assouplissement. Donc ça fait grincer des dents », observe Claire Demesmay. « La jeunesse chrétienne-démocrate a déjà dit qu’elle était insatisfaite de la position de la CDU, qu’elle trouve trop faible par rapport au SPD. »

Si le futur gouvernement mènera une politique de relance d’influence sociale-démocrate, il devrait donner un virage à droite sur les questions migratoires. « Mais on est quand même dans la continuité », rappelle l’experte. « La politique migratoire s’est déjà durcie ces dernières années sous l’influence de l’AfD, le parti d’extrême droite dure, qui a pratiquement un quart des sièges au Bundestag et qui marque l’ambiance politique. »

La nouvelle coalition devra répondre aux préoccupations de la population pour éviter que l’AfD ne se renforce et devienne le premier parti du paysClaire Demesmay, professeure à Sciences-Po Pari

Face à cette opposition toujours plus forte, Friedrich Merz « ne devra pas se laisser intimider », estime-t-elle. « La stratégie de l’AfD sera de faire beaucoup de bruit sur la question migratoire, en demandant toujours plus de durcissements. »

La deuxième chose, prévient-elle, ce sont les inquiétudes en matière de sécurité et de défense, liées à la guerre en Ukraine, mais aussi « sur la justice sociale et la pauvreté, qui sont aussi un vrai sujet en Allemagne ». La nouvelle coalition n’aura donc plus le droit à l’erreur: « Elle devra répondre aux préoccupations de la population pour éviter que l’AfD ne se renforce et devienne le premier parti du pays. »

Vers une stagnation économique

L’économie allemande devrait faire du surplace en 2025, après deux ans de récession, encaissant un nouveau choc à cause de la guerre commerciale lancée par Donald Trump, selon les principaux instituts de conjoncture qui mettent en garde le futur gouvernement de Friedrich Merz.

Les experts économiques du pays, dans leurs prévisions actualisées, tablent désormais sur une faible hausse de 0,1% du Produit Intérieur Brut (PIB) en 2025, contre 0,8% à l’automne, tout en maintenant leur prévision de croissance de 1,3% pour l’an prochain.

« À court terme, la nouvelle politique douanière américaine et l’incertitude économique pèsent sur l’économie allemande » qui va continuer de faire du « surplace », indiquent-ils dans leur analyse.

Selon les instituts, rien que les droits de douane américains sur les importations d’aluminium, d’acier et d’automobile devraient peser de 0,1 point de pourcentage sur la croissance allemande en 2025.

rts

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