
À travers ses dépenses publiques et ses investissements massifs, l’État marocain agit à la fois comme stabilisateur de la demande intérieure et accélérateur de la croissance. Les chiffres économiques des trois dernières années fournies par le HCP (Comptes nationaux provisoires : Année 2024) confirment encore le rôle central joué par l’État dans le soutien à l’activité nationale.
D’un côté, les dépenses de consommation des administrations publiques ont connu une progression constante, passant de 252,6 milliards de dirhams en 2022 à près de 286,7 milliards en 2024. Elles représentent environ 18 % du produit intérieur brut (PIB) chaque année. Ce niveau élevé de consommation publique illustre l’effort soutenu de l’État pour assurer les services essentiels — santé, éducation, sécurité — et maintenir un socle de stabilité sociale, notamment en période d’incertitude.
De l’autre côté, l’État continue d’investir massivement. La formation brute de capital fixe (FBCF), indicateur clé de l’effort d’investissement, s’est établie à 354,9 milliards de dirhams en 2022 et a bondi à 422,5 milliards en 2024. Le taux d’investissement avoisine ainsi les 30 % du PIB, un niveau particulièrement élevé à l’échelle régionale. Cette orientation confirme la volonté des autorités de stimuler l’économie par des projets structurants dans les infrastructures, l’énergie, le logement ou encore les zones industrielles.
Le rôle économique de l’État marocain (2022–2024)
Indicateur | 2022 | 2023 | 2024 |
---|---|---|---|
PIB (en millions de dirhams) | 1 333 539 | 1 479 763 | 1 596 799 |
Dépenses de consommation des APU | 252 580 | 268 585 | 286 656 |
FBCF (Investissements bruts) | 354 939 | 371 065 | 422 496 |
Dépenses APU / PIB (%) | 18,9 % | 18,2 % | 18,0 % |
FBCF / PIB (%) | 30,5 % | 29,0 % | 30,1 % |
Source HCP
En maintenant ces niveaux soutenus de consommation publique et d’investissement, l’État marocain assume pleinement son rôle d’acteur économique de premier plan. Il amortit les chocs, stabilise la demande, et pose les bases d’une croissance durable. Une stratégie qui reste cruciale dans un contexte mondial encore marqué par les incertitudes géopolitiques, les tensions sur les marchés de matières premières et les défis climatiques.
Maroc-Turquie: Deux locomotives puissantes, mais des moteurs différents
Avec un taux d’investissement avoisinant les 30 % du PIB, le Maroc et la Turquie se positionnent parmi les économies les plus dynamiques en matière d’effort d’accumulation de capital. Ce chiffre élevé témoigne d’une volonté commune de soutenir la croissance par la modernisation des infrastructures, le développement industriel et l’aménagement du territoire.
Mais derrière ce chiffre similaire, les mécanismes diffèrent profondément.
En Turquie, l’investissement est principalement porté par le secteur privé. L’immobilier, les infrastructures à travers des partenariats public-privé (PPP), ainsi que l’industrie manufacturière constituent les piliers de cette dynamique. L’État y joue davantage un rôle d’incitateur ou de facilitateur, tandis que les grandes entreprises et les investisseurs locaux ou étrangers assurent le gros de l’effort.
À l’inverse, au Maroc, l’investissement reste fortement impulsé par l’État. À travers les entreprises publiques, les grands chantiers d’infrastructure (autoroutes, ports, énergies renouvelables) et les stratégies sectorielles (industrie, agriculture, transport), le secteur public joue un rôle moteur. Cette orientation reflète une approche plus volontariste, où l’État reste un acteur central dans la transformation économique du pays.
Un investissement massif, mais un rendement limité
Le Maroc affiche depuis plusieurs années un taux d’investissement particulièrement élevé, atteignant 30,1 % du PIB en 2024, un niveau comparable à celui de grandes économies émergentes comme la Turquie ou l’Inde.
Mais cette performance quantitative contraste avec une productivité du capital relativement faible. En utilisant l’indicateur ICOR (Incremental Capital Output Ratio), qui mesure le volume d’investissement nécessaire pour générer une unité de croissance, le Maroc enregistre un ICOR de 8,1 en 2024. Cela signifie qu’il faut plus de 8 % du PIB en investissement pour produire 1 % de croissance économique. À titre de comparaison, l’ICOR de la Turquie est estimé à 6,8, celui du Vietnam à 6,4, tandis que l’Inde affiche une bien meilleure efficacité avec un ICOR autour de 4,0.
Comparaison internationale (valeurs moyennes ICOR)
Pays | Taux d’investissement | Croissance PIB réel | ICOR (approximatif) |
---|---|---|---|
Turquie (2023) | ~30,7 % | ~4,5 % | ~6,8 |
Vietnam (2023) | ~32 % | ~5,0 % | ~6,4 |
Inde (2023) | ~31 % | ~7,8 % | ~4,0 |
Maroc (2024) | 30,1 % | 3,7 % | 8,1 |
Moyenne OCDE | ~22–25 % | ~2 % | ~11–12 (structure mature) |
Ce décalage traduit une efficacité insuffisante de l’investissement marocain. Malgré des projets d’infrastructure d’envergure et un effort public soutenu, la croissance reste modérée, autour de 3,7 % en 2024. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce rendement limité : retards de mise en œuvre, mauvaise allocation des ressources, faible intégration technologique, ou encore manque de synergies avec le secteur privé.
Le défi pour le Maroc n’est donc plus seulement d’investir massivement, mais d’investir mieux….