France: les grands patrons remontés contre une surtaxe pour le budget 2025
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LVMH, TotalEnergies, Vinci, L’Oréal… Des groupes majeurs de l’économie française sont vent debout contre la surtaxe sur les grandes entreprises instaurée dans le budget 2025, une mesure mettant selon eux en exergue un trop-plein fiscal, dans un environnement concurrentiel difficile.
Bernard Arnault, PDG du numéro un mondial du luxe LVMH, avait ouvert fin janvier le livre des doléances contre ce mécanisme présenté comme devant durer un an, visant à taxer davantage les bénéfices d’environ 440 entreprises en France réalisant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Le milliardaire voit dans cette mesure, censée rapporter 8 milliards d’euros pour contribuer au redressement de finances publiques, une taxation du « made in France » qui « pousse à la délocalisation », par opposition au « vent d’optimisme » qui selon lui souffle aux États-Unis.
D’autres grands patrons ont emboîté le pas à Bernard Arnault, comme Patrick Pouyanné pour TotalEnergies, Xavier Huillard du géant du BTP Vinci ou le directeur général de L’Oréal Nicolas Hieronimus.
« Cette contribution additionnelle, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le verre d’eau », estime Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement de Pictet AM.
« Signal d’alarme »
« La +révolte+ des patrons, c’est un signal d’alarme par rapport à une nouvelle fiscalité, qu’elle soit durable ou non dans le temps, qui détruit aujourd’hui la compétitivité française » par rapport à une économie américaine déjà plus attractive, ajoute-t-il.
Cette contribution figurait déjà dans le projet de budget présenté par le précédent gouvernement de Michel Barnier, sans susciter de véritable levée de boucliers alors même qu’elle était alors annoncée pour deux ans.
Mais depuis, l’horizon conjoncturel s’est obscurci. Le climat des affaires reste morose en France. La prévision de croissance gouvernementale a été abaissée à 0,9% pour cette année et le président américain Donald Trump menace l’UE de nouveaux droits de douane.
Le Medef, qui représente largement ces grandes entreprises, avait assuré à l’automne être « dans une attitude constructive » à l’égard du gouvernement, à condition toutefois que les efforts de l’État soient bien supérieurs à ceux demandés aux entreprises et que la taxation supplémentaire n’enraye pas la compétitivité.
Ces préalables ne sont pas remplis, selon l’organisation patronale pour qui « l’incompréhension tourne à la colère » parmi ses adhérents.
Pour les entreprises réalisant plus de trois milliards d’euros de chiffre d’affaires, comme c’est le cas de LVMH, cette surtaxe relèvera d’environ 40% le taux de l’impôt sur les sociétés. Le groupe évoque entre « 700 millions et 800 millions d’euros », Vinci 400 millions et L’Oréal 250 millions.
Ces entreprises sont certes des poids lourds, toutes cotées au CAC40, l’indice phare de la Bourse de Paris. Mais « tout ce qui touche à la profitabilité des entreprises a des répercussions négatives sur leurs décisions d’investissement », et donc sur « les décisions d’emploi » et « les sous-traitants », souligne Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo BHF.
« Ce sont des multinationales qui peuvent peut-être réallouer plus facilement des projets d’investissement dans des pays où l’environnement fiscal est plus sympathique », relève-t-il.
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le taux de l’impôt sur les sociétés est passé progressivement de 33,3% à 25% dans le cadre d’une « politique de l’offre », destinée à favoriser le développement des entreprises, mais ce taux reste supérieur à la moyenne de 21% dans les 150 pays de l’OCDE.
Par ailleurs, les entreprises redevables devront continuer à s’acquitter de la CVAE, la baisse progressive de cet impôt de production ayant été décalée dans le temps.
Pérennisation ?
Le gouvernement argue qu’en ces temps de difficultés budgétaires, tout le monde doit participer à l’effort. Alors qu’il a dû faire marche arrière sur la baisse du seuil d’exemption de la TVA, dont s’étaient alarmées les microentreprises, il souligne que la surtaxe exceptionnelle ne concernera qu’un nombre limité d’entreprises.
Pour Bruno Cavalier, cette mesure pose toutefois « la question de la crédibilité des choix budgétaires » dans « un monde ouvert, avec une concurrence internationale ».
« On parle de contribution exceptionnelle, alors qu’on a un problème de finances publiques structurel », souligne-t-il, évoquant « un bricolage fiscal » alors que l’équation budgétaire sera difficile à résoudre en 2026 également.
De quoi alimenter des craintes, parmi les patrons, que le temporaire ne devienne pérenne, comme ce fut le cas pour la CRDS, une contribution sociale, ou l’effort demandé aux plus hauts revenus.
afp/ck
Le patron de Vinci s’inquiète à son tour
Le PDG de Vinci, Xavier Huillard, a fait part à son tour vendredi de son inquiétude face à l’augmentation de la fiscalité sur les grandes entreprises en France, en disant craindre de la voir pérennisée.
« C’est tellement facile de ne pas faire grand-chose pendant quelques décennies sur les dépenses pour ensuite s’apercevoir, au pied du mur, qu’on est dans une impasse et ensuite d’aller chercher l’argent là où il est plus facile à aller chercher, c’est-à-dire la poche des grandes entreprises visibles », a-t-il déclaré lors de la présentation des résultats annuels du groupe.
« Est ce que c’est rendre service à l’économie de notre pays sur le long terme? La réponse évidemment est non », a tranché M. Huillard, qui s’apprête à céder ce printemps les rênes de la direction générale du groupe de BTP et d’énergie.
La contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises annoncée dans le budget 2025 pour aider à réduire le déficit public de la France « est une taxe qui effectivement taxe les gens qui ont fait l’effort de produire en France », a-t-il poursuivi.
Pour Vinci, elle représente une charge supplémentaire estimée à « environ 400 millions d’euros », indique le groupe.
En 2024, le géant français du BTP a enregistré un bénéfice net en hausse de 3,4%, à 4,8 milliards d’euros, dopé par ses activités aéroports et énergie. Son chiffre d’affaires a augmenté de 4%, à 71 milliards d’euros.
M. Huillard rejoint ainsi le choeur des patrons qui dénoncent une taxation du « made in France », comme le PDG de LVMH, Bernard Arnault, ou celui de TotalEnergies, Patrick Pouyanné.
Toutefois, « si cette taxe restait ponctuelle, c’est pas très grave, ce qui est ponctuel, ça s’absorbe. J’ai un petit doute de savoir si dans ce pays, on va dans l’année qui vient faire suffisamment de gestes sur le travail, sur les dépenses de façon à nous permettre de ne plus avoir à renouveler une taxe ponctuelle comme celle-là », a relevé M. Huillard.
Il a aussi mis en garde contre les conséquences industrielles de cette fiscalité, tout en soulignant que la France restait un pays clé pour Vinci, notamment en matière d’investissements.
« On est très attaché à la France, vous voyez qu’on y fait encore plus de 40% de notre activité, c’est là où nous expérimentons, c’est là où nous développons de nouveaux métiers avant éventuellement de les exporter. C’est là où nous investissons encore énormément », a-t-il rappelé.
« Mais néanmoins, dans le monde notamment industriel et notamment les industriels électro-intensifs, c’est vrai qu’on ne peut pas empêcher un certain nombre de gens de se dire que peut-être, s’ils ont un investissement à faire, il vaut peut-être mieux le faire à l’extérieur de la France qu’en France », a-t-il dit.
Quant aux normes, il est nécessaire de temporiser, a-t-il jugé. « Ce qu’il faudrait, c’est surtout arrêter. On a besoin de stabilité et on a besoin d’y voir clair et de savoir effectivement quelles normes il faut appliquer sans avoir à se poser la question chaque année de savoir quelles normes supplémentaires vont nous être imposées. »
Agefi-Dow Jones