Economie

Urbanisme: Les critiques de la cour des comptes

Le Rapport annuel de la cour des comptes au titre de 2023-2024 a dressé un bilan mitigé sur la politique d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Détails.

Le lancement de la création des villes nouvelles de Tamansourt, Tamesna, Lakhyayta et Chrafate, à partir de 2004, témoignait d’un acte volontariste des pouvoirs publics, afin de créer une nouvelle dynamique territoriale et faire face aux enjeux de la croissance démographique et spatiale.

Concernant la planification et la conception des villes nouvelles, la Cour a relevé que ces dernières ont été créées sans concordance avec les documents d’aménagement du territoire et d’urbanisme. En effet, l’idée de créer de nouvelles entités urbaines n’a pas été recommandée par les orientations du Schéma national d’aménagement du territoire de 2002. De même, les Schémas directeurs d’aménagement urbain élaborés avant le lancement des villes nouvelles ne comprenaient pas l’ensemble desdites villes.

Ainsi, la conception de ces villes a été dictée, principalement, par une logique basée sur la disponibilité du foncier. A défaut d’un cadre juridique les encadrant, elles ont été assimilées à des lotissements, et ce, malgré la différence des concepts et des échelles entre lotissement et ville et la complexité d’une telle forme urbaine aussi bien sur le plan démographique que socio-économique.

Dans ce cadre, il convient de noter, également, l’absence d’un cadre stratégique formalisé guidant la création des villes nouvelles, indiquant des objectifs chiffrés appuyés d’indicateurs de performance, des budgets alloués et d’un calendrier de réalisation réaliste. Dans ce sens, le Conseil national de l’habitat avait insisté, en 2004, sur l’importance de mener des études socio-économiques visant le renforcement et la mise à niveau du système urbain aux niveaux national et régional. Toutefois, les projets des villes nouvelles ont été lancés en l’absence des études d’opportunité et de positionnement permettant de s’assurer de leur viabilité socio-économique.

De plus, l’offre massive en logements au niveau des villes nouvelles, qui est le résultat d’un investissement considérable de l’État en infrastructure et en équipement, a été impacté par l’ouverture d’autres zones à l’urbanisation autour de ces villes, notamment à travers les pratiques dérogatoires. En effet, les projets immobiliers construits dans ces zones ont imposé une concurrence réelle à l’offre de ces villes, sachant que les lotissements concernés bénéficient des équipements et des infrastructures desdites villes.

Par ailleurs, le portage unilatéral des villes nouvelles par le département chargé de l’Habitat ne concorde pas avec le caractère multisectoriel et la multiplicité des acteurs intervenant dans les villes nouvelles. Ceci ne permet pas d’avoir une assurance raisonnable sur la convergence des visions de tous les acteurs. En outre, l’absence d’un schéma de gouvernance dédié aux villes nouvelles au niveau central et local, regroupant tous les acteurs, est de nature à compromettre la synergie entre les départements ministériels impliqués et la cohérence de leurs visions stratégiques sur les modalités de production et de gestion de ces créations urbaines.

S’agissant du financement et de la gestion des villes nouvelles, ces dernières ont été initiées en l’absence d’un plan de financement en adéquation avec le volume des investissements requis. La revue des modes de réalisation des quatre villes fait ressortir l’absence d’un schéma convenable de financement de réalisation des équipements. Dans ce cadre, il convient de signaler que le financement de la réalisation des quatre villes nouvelles repose principalement sur le partenariat avec le secteur privé.

Toutefois, il a été relevé, dans certains cas, des difficultés dans l’exécution des conventions avec les promoteurs partenaires. Ainsi, à fin 2023, sur 88 conventions de partenariat avec les promoteurs privés au niveau des villes nouvelles, 52% des contrats sont résiliés ou en cours de résiliation. Cette situation a conduit à une croissance déséquilibrée de ces villes, caractérisée par un développement inégal du tissu urbain.

En outre, la faible appropriation des projets des villes nouvelles par les communes (à caractère rural) auxquelles elles appartiennent a généré plusieurs problèmes en matière de gestion. En effet, ces projets n’ont pas été accompagnés par les moyens nécessaires permettant aux communes concernées d’assumer pleinement leurs nouvelles fonctions de gestion des villes nouvelles (collecte des déchets, nettoiement, maintenance, entretien des espaces verts, éclairage public, etc.). Il convient de noter que le Holding Al Omrane a supporté, jusqu’à fin 2023, un montant cumulé

d’environ 305 MDH pour la gestion des différents services de base dans lesdites villes.

Pour ce qui est des réalisations et des perspectives de développement, la Cour a relevé qu’à fin 2023, la population des quatre villes nouvelles, précitées, a atteint 169.036 habitants sur un objectif global d’un million d’habitants, soit un taux ne dépassant pas les 17% de l’objectif initial. Le nombre total des unités réalisées est de 71.486 unités, soit 20% de l’objectif initial fixé à 350.000 unités de logement. L’investissement global réalisé au niveau de ces villes est de l’ordre de 24,4 MMDH, soit 58% de l’investissement global prévu qui est de l’ordre de 42,2 MMDH. La valeur du stock total non écoulé détenu par le Holding Al Omrane au niveau desdites villes est de l’ordre de 5,9 MMDH.

Par ailleurs, sur un nombre total d’équipements prévus (publics et privés) de 659 équipements, 169 sont construits,soit un taux de réalisation de 26%, dont 150 sont fonctionnels, soit un taux de mise en fonction de 23%.

Il y a lieu de signaler qu’afin de rattraper les retards dans les équipements, des conventions de partenariat et de financement relatives à la relance et la mise en valeur des villes nouvelles Tamesna et Tamansourt ont été conclues respectivement en 2013 et 2014. Au niveau de Tamansourt, le montant global à mobiliser est de 1.357 MDH, le projet du campus universitaire, qui tarde à se concrétiser, coûte à lui seul 1.100 MDH, soit 81 % du montant global. Au niveau de Tamesna, le montant global à mobiliser est de 538 MDH. Le délai de réalisation du plan de relance a été fixé à cinq ans (2013-2017). Toutefois, la plupart des projets demeurent toujours en cours de réalisation.

Eu égard à ce qui précède, la Cour a recommandé au Chef du gouvernement de rehausser le portage des actions de l’État en matière de villes nouvelles à un niveau stratégique garantissant la convergence et la coordination entre les différents acteurs en la matière, de mettre en place un plan de redressement des villes nouvelles actuelles et d’inciter le département de tutelle à accompagner les communes abritant les villes nouvelles afin qu’elles puissent progressivement assurer la gestion des services publics dans ces villes.

Elle a recommandé, également, au ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville de mettre en place un cadre juridique dédié aux villes nouvelles, définissant notamment les modalités de conception, planification, gouvernance, financement, gestion et de protection de leurs zones périphériques de l’ouverture à l’urbanisation. Elle a, enfin, recommandé au Holding Al Omrane de recentrer l’activité des sociétés Al Omrane sur leur mission de base fixée par leurs textes de création et encadrer le processus de partenariat avec le secteur privé en définissant en amont les garanties nécessaires à la bonne exécution des conventions

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