Cour des comptes: Carton jaune au département du développement durable

Dans son Rapport annuel au titre de 2023-2024, la Cour des comptes a épinglé le département du développement durable. Détails.
Difficultés dans la mise en œuvre des stratégies et dans l’atteinte des objectifs escomptés
Le Maroc fait face à d’importants défis liés au Changement climatique (CC), qui se manifestent, principalement par une hausse significative des températures et une faiblesse et irrégularité des précipitations, provoquant une situation de stress hydrique chronique. Pour faire face à ces défis, notre pays s’est engagé à mettre en œuvre des actions d’atténuation pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des actions d’adaptation pour renforcer sa résilience.
Dans ce sens, la version actualisée de la contribution déterminée au niveau national (CDN) de 2021 a porté l’objectif d’atténuation à 45,5% à l’horizon 2030, dont un objectif inconditionnel de 18,3%. Ainsi, elle a prévu 61 actions d’atténuation, pour un coût total de 38,8 milliards USD, dont 34 actions inconditionnelles, estimées à 17,3 milliards USD à l’horizon 2030.
Ladite CDN a également identifié des actions en matière d’adaptation dans huit secteurs pour un coût estimé à près de 40 milliards USD à l’horizon 2030.
Cette mission d’évaluation, qui a concerné la période 2014 à 2023, a eu pour objet d’examiner dans quelle mesure les actions prévues par les stratégies et les plans établis par le département du développement durable (DDD) permettraient d’atteindre les objectifs escomptés en termes de lutte contre le CC.
Concernant le cadrage juridique et la gouvernance des actions climatiques, il a été noté que le cadre juridique climatique en vigueur est incomplet dans la mesure où il ne fixe pas des objectifs nationaux clairs, et ne définit pas les rôles et les responsabilités des différentes parties prenantes, aussi bien au niveau national qu’au niveau territorial. En outre, l’instauration de la Commission nationale du changement climatique et de la diversité biologique, en tant qu’organe de concertation et de coordination pour la mise en œuvre de la politique nationale relative au CC, a accusé un retard dépassant six ans.
La Cour a relevé, également, qu’en dépit de son institutionnalisation en 2020, elle ne remplit pas pleinement ses missions en raison de son efficacité réduite due, entre autres, à l’absence d’une définition claire et adéquate de sa composition, de ses responsabilités, de ses pouvoirs et de ses moyens. En effet, le nombre pléthorique des membres participants, supérieur parfois à 70, et leur pouvoir restreint (certains organismes sont représentés par des cadres ou des chefs de service) limitent l’efficacité de cette instance.
Quant aux mécanismes de suivi conçus par le DDD, ils sont multiples, mais demeurent non interconnectés et non intégrés dans un système global de collecte et de diffusion de l’information. De plus, ces systèmes ne sont pas opérationnels, en raison de l’absence d’un plan de conduite de changement pour accompagner la multitude des acteurs et des secteurs concernés. Pour ce qui est des actions de communication du DDD relatives au CC, elles restent ponctuelles et non coordonnées en l’absence d’une stratégie dédiée.
S’agissant des stratégies et plans relatifs aux actions climatiques, le DDD a élaboré la politique du CC au Maroc de 2014, la Contribution déterminée au niveau national (CDN) de 2016 et de celle actualisée de 2021, la stratégie nationale du DD de 2017, le plan climat national de 2019, la stratégie de développement bas carbone de 2021 et le plan national stratégique d’adaptation de 2022. Néanmoins, ces stratégies et plans n’ont pas déterminé systématiquement, lors de leur conception, des indicateurs cibles spécifiques, mesurables et temporellement définis. Quant aux bilans des actions climatiques, ils restent vagues et ne permettent pas de constater le degré de mise en œuvre des actions prévues, ainsi que les écarts enregistrés. Dans ce sens, la CDN a été actualisée en 2021 sans une évaluation des réalisations de sa première version de 2016.
De surcroît, l’ensemble des stratégies et plans précités se sont limités à des orientations stratégiques et redondantes. Ces documents n’ont pas été déclinés en plans d’actions opérationnels avec des actions spécifiques adossées à des échéances et des budgets, tout en définissant les rôles et les responsabilités des différentes parties prenantes. De même, le DDD n’a pas procédé à une concertation préalable avec le ministère de l’Economie et des finances (MEF) en vue d’avoir une cohérence entre les actions proposées et les contraintes budgétaires, en particulier en ce qui concerne les mesures inconditionnelles
Pour leur part, les Plans climat territoriaux (PCT), élaborés par le DDD, n’ont pas permis d’apporter une valeur ajoutée notable en matière de lutte contre le CC, en raison notamment, de la non implication suffisante des principales parties prenantes au niveau territorial, notamment les collectivités territoriales et les établissements et les entreprises publics dans leur élaboration et leur suivi, de leur faible alignement avec les documents stratégiques régionaux et du caractère générique des actions proposées. Dans ce sens, bien que les caractéristiques climatiques des régions présentent des différences, certains PCT ont proposé quasiment les mêmes plans d’adaptation prioritaires.
Pour ce qui est du financement des actions climatiques, le Maroc ne dispose pas d’une classification permettant d’identifier les investissements et les activités économiques qui respectent l’environnement, ce qui engendre des difficultés dans la mise en œuvre d’actions climatiques efficaces, et ne favorise pas la canalisation des capitaux vers les investissements éco-responsables.
De plus, notre pays ne dispose pas d’un budget sensible au climat en bonne et due forme. En outre, l’estimation des besoins de financement n’est pas accompagnée de calendrier de mobilisation des financements prévus.
Par ailleurs, l’information relative aux dépenses climatiques au niveau national demeure limitée, non actualisée, et non exhaustive.
En outre, la contribution du secteur privé au financement climatique reste modeste. En effet, selon le panorama des financements climatiques au Maroc, seuls 23% du total des financements climatiques ont été mobilisés par le secteur privé sur la période 2011-2018.
Pour sa part, le financement international demeure généralement faible, notamment en ce qui concerne les mesures d’adaptation. De même, il est caractérisé par l’absence d’un système centralisé de collecte des données.
En effet, selon le « Adaptation Gap Report » publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement en 2023, le financement de l’adaptation mobilisé par le Maroc entre 2017 et 2021 n’a pas dépassé 2,1 milliards USD, ce qui reste limité par rapport aux besoins déclarés d’environ 35 milliards USD selon la CDN de 2016.
Au vu de à ce qui précède, la Cour a recommandé au Chef du gouvernement, de placer sous sa tutelle la Commission nationale du changement climatique, eu égard à son caractère stratégique.
Elle a également recommandé au département du développement durable de mettre en place un cadre juridique instaurant l’obligation des actions d’atténuation et d’adaptation aux effets du CC, ainsi que des modalités de coordination, et de responsabilisation des parties prenantes clés, et d’actualiser les stratégies et les plans nationaux d’atténuation et d’adaptation en définissant, notamment, des objectifs spécifiques, mesurables, atteignables et temporels ainsi que des modalités de suivi et d’évaluation de leur mise en œuvre.
Elle lui a aussi recommandé de mettre en place des plans d’adaptation territoriaux spécifiques et adaptés à chaque territoire avec des objectifs clairement définis ainsi que les moyens mis à leur disposition pour les atteindre et les modalités de suivi et d’évaluation de leur mise en œuvre, et instaurer un système intégré de suivi et d’évaluation des actions d’atténuation et d’adaptation, en veillant à l’interconnexion des sources de données des principales parties prenantes, ainsi qu’à la définition de leurs responsabilités dans le processus de collecte des données.
De même, la Cour a recommandé au ministère de l’Economie et des finances de mettre en place des mécanismes permettant une meilleure identification, estimation des besoins et suivi des investissements climatiques, et de renforcer le rôle du secteur privé dans le financement climatique par la mise en place d’incitations adéquates, et l’amélioration du cadre du partenariat public privé.