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SIAM2024-ENTRETIEN RACHID BENALI PRÉSIDENT DE LA COMADER

Entretien publié dans le numéro 53 du Magazine Libre Entreprise

Le système agricole est pointé pour son modèle de gestion de l’eau à rénover. Qu’en pensez-vous ?

De prime abord, il faut préciser et rappeler que notre politique de développement agricole vise à renforcer la sécurité et la souveraineté alimentaire de notre pays. Aussi, à cause des effets du changement climatique sur le potentiel des ressources en eau mobilisables, la moyenne d’apports d’eau aux barrages est passée de 22 milliards m3 à 14 milliards m3 entre 1980 et 2020, soit une chute d’un tiers, ce qui a eu des répercussions négatives sur l’agriculture irriguée. Dans ce sens, il faut souligner que les volumes d’eau effectivement alloués aux périmètres irrigués sont en baisse continue ces dernières années. Contrairement aux idées reçues, l’agriculture irriguée, souvent accusée à tort d’être un grand consommateur d’eau, ne prélève ses dotations d’eau qu’une fois la demande des autres secteurs satisfaite.  Face à cette situation alarmante de déficit hydrique et des enjeux de la maîtrise de l’eau d’irrigation, les professionnels poursuivent leurs efforts en matière de rationalisation de l’utilisation de l’eau en agriculture et d’amélioration de la valorisation de l’eau d’irrigation, par l’introduction des innovations tels que : l’utilisation de capteurs et de systèmes de surveillance pour optimiser l’irrigation, le développement de solutions basées sur les TIC pour une gestion intégrée de l’eau, … Par ailleurs, en ce qui concerne le développement de l’offre hydrique, la Comader et les interprofessions agricoles, interpellent à chaque occasion, les pouvoirs publics d’accélérer la mise en œuvre des programmes et projets du Plan National pour l’Approvisionnement en Eau Potable et l’Irrigation (PNAEPI, 2020-2027), dont l’axe principal est le développement et la sécurisation de l’offre hydrique, porte sur la poursuite de la construction et/ou la surélévation de grands barrages, la construction des petits barrages pour le développement local, le développement des projets de dessalement de l’eau de mer pour assurer les besoins en eau potable et d’irrigation, l’interconnexion entre bassins, et le renforcement et sécurisation de l’alimentation en eau potable en milieu urbain. Ces projets permettront de renforcer la résilience des systèmes d’approvisionnement en eau, de réduire la concurrence pour les ressources en eau entre les secteurs et de mobiliser un stock hydrique stratégique pour la souveraineté nationale. Ainsi, le stock hydrique stratégique sera destiné en priorité à pérenniser l’irrigation dans les périmètres structurellement déficitaires afin de consolider leur rôle dans la couverture de niveaux stratégiques de nos besoins alimentaires de base.

« La Comader et les interprofessions agricoles interpellent, à chaque occasion, les pouvoirs publics d’accélérer la mise en œuvre des programmes et projets du Plan National pour l’Approvisionnement en Eau Potable et l’Irrigation (2020-2027) »

Les changements climatiques exercent une pression croissante sur les ressources en eau disponibles pour l’agriculture. Que faites-vous dans ce sens?

Situé dans une zone semi-aride fortement exposée aux aléas climatiques, le Maroc subit de plein fouet le changement climatique. Par conséquent, le secteur agricole est fortement exposé au phénomène de sécheresse qui devient de plus en plus fréquent avec une intensité de plus en plus forte au fil des ans.

De manière systématique, la sécheresse impacte considérablement le secteur agricole. Les agriculteurs subissent les effets des changements climatiques en termes de moyens de subsistance. La succession des années de sécheresse a sérieusement impacté la production et les rendements des grandes cultures et de l’arboriculture fruitière, l’état des parcours et l’équilibre de certaines filières animales. Ainsi, le déficit pluviométrique et hydrique aura vraisemblablement un fort impact sur l’avenir de l’agriculture, qu’elle soit pluviale ou irriguée. L’avenir de l’agriculture irriguée sera fortement impacté par la diminution des ressources en eau et l’augmentation des besoins du fait de la hausse des températures. Conscients de cette problématique, les Interprofessions Agricoles membres de la COMADER, se sont inscrits, depuis l’avènement du plan Maroc Vert, puis de la Génération Green, dans la vision de la rationalisation et de la valorisation de l’eau d’irrigation, et se sont engagées à adopter les techniques d’irrigation économes en eau, afin de relever le défi de produire de manière durable et compétitive. S’ajoutant à cela les efforts accomplis par les professionnels en matière de diffusion et d’adoption des techniques de conservation des sols, d’utilisation des variétés tolérantes et de plantation de cultures résilientes. Aussi, et avec une approche participative avec les décideurs et les chercheurs, les professionnels sont en quête continue vers un idéal « consommer moins et produire plus » à travers la prospection, l’intégration et la dissémination des innovations en matière d’économie d’eau.

Comment assurez-vous la promotion de la transformation digitale dans l’agriculture ?

Le train de la transformation digitale est une opportunité pour l’agriculture marocaine d’aspirer à un nouveau palier de développement et de croissance. Ainsi, il est attendu que tous les organismes agricoles modernisent leurs outils de gestion et améliorent les compétences de leurs membres et acteurs pour s’engager dans la transformation digitale. En effet, la performance agricole passe par l’innovation et le digital au vu de l’importance de son impact sur la croissance socio-économique et de son rôle prépondérant dans le relèvement du niveau de compétitivité du secteur agricole.

L’avenir de l’agriculture est digital. Le secteur agricole marocain constitue un terrain fertile en opportunités de projets de transformation digitale qui feront évoluer le business model agricole et ainsi l’offre, les pratiques et les expertises. C’est ainsi que la transformation digitale de notre secteur agricole a porté sur deux niveaux.

Un, au niveau institutionnel, le département de l’agriculture a développé des outils d’aide à la décision. Ces outils ont permis de renforcer les capacités de pilotage des projets et de suivi de l’intervention des différentes structures centrales et régionales et ainsi permettre une bonne gouvernance de la stratégie. En parallèle, la transformation digitale du secteur agricole marocain a fait l’objet d’un travail d’accompagnement de la diffusion des technologies en harmonie avec les objectifs stratégiques, notamment à travers l’encouragement des essais et des initiatives pilotes, la mise en place de projets véhiculant les nouvelles technologies, la formation et la démonstration, la sensibilisation, le conseil, …

Deux, au niveau de la profession, la rationalisation de la gestion des terres et des ressources naturelles gagnera en efficacité par l’introduction des NTIC et techniques novatrices comme outils d’aide à la décision, notamment par l’utilisation de la technologie connectée comme l’imagerie satellite, la communication sans fil, les objets connectés, les engins et drones pilotés à distance, …

Et vu l’importance de l’intégration de la transformation digitale dans la chaîne de valeur agricole, plusieurs chantiers de modernisation sont régulièrement lancés pour soutenir les agriculteurs et les accompagner dans leur positionnement en tant qu’acteurs majeurs du développement du secteur. 

Parmi les axes d’amélioration et de transformation du secteur agricole identifiés par la Génération Green : « les services agricoles digitaux », dont l’objectif global escompté, est de connecter environ deux millions agriculteurs aux e-services agricoles et de les intégrer au processus de digitalisation des services rendus, à travers la mise en place de Plateforme digitale Génération Green : distribution d’aide/intrants, informations marché, carte de fertilité, services agricoles, services agriculture 4.0 et collecte d’information. Aussi,  des Applications et services digitaux par des opérateurs privés ; d’un Dispositif global piloté et géré par un cluster, rassemblant les principales parties prenantes (MAPMDREF, Professionnels, start-up…) ; et d’un Financement des initiatives par un fonds de développement de l’agriculture digitale.

La réussite du processus de transformation digitale nécessite la mise en place d’une gouvernance forte et un cadrage global qui peut garantir la complémentarité des efforts et la mutualisation des expériences réussies, la nécessité d’intégrer la transformation digitale au niveau des contrats-programmes afin de garantir la digitalisation des filières de production agricoles à travers l’engagement des professionnels pour s’inscrire dans l’approche de digitalisation, …

Par ailleurs, partant des acquis du Plan Maroc vert et en s’inscrivant dans la vision stratégique dans la Génération Green, la COMADER a programmé dans son plan d’action le développement d’une plateforme collaborative d’échanges d’informations et de service, dédiée à l’ensemble des opérateurs adhérents aux interprofessions agricoles. Ainsi, cette plateforme occupera une place prédominante dans la stratégie de communication de la COMADER en matière de renforcement des échanges, de concertation et de partenariat.

« La nécessité d’intégrer la transformation digitale au niveau des contrats-programmes afin de garantir la digitalisation des filières de production agricoles »

Quel bilan d’étape pour les différents programmes d’irrigation ?

Dans un contexte de forte tension sur les ressources en eau et sur les terres arables, accentuée par les menaces des changements climatiques et la globalisation des échanges, l’agriculture irriguée se trouve confrontée à de nouvelles exigences et au défi de produire plus avec moins d’eau et de manière durable et compétitive. De ce fait, et dans la continuité des acquis du Plan Maroc Vert, la stratégie Génération Green, lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 13 février 2020, compte poursuivre les efforts en matière de maîtrise et de rationalisation de l’utilisation de l’eau en agriculture ainsi que l’amélioration de la valorisation du potentiel irrigable. Cette nouvelle vision a pour objectif d’assurer la durabilité du développement agricole en mobilisant et en préservant les ressources naturelles dans un contexte de persistance du stress hydrique. L’ambition est ainsi d’investir dans l’efficacité hydrique et énergétique afin de préserver les ressources naturelles et de créer de nouvelles activités génératrices de revenus et d’emploi avec un coût global de 50 Milliards de DH.

En tant que professionnels, nous nous sommes inscrits dans cette politique volontariste déclinée en quatre programmes structurants, et nous sommes convaincus de leurs impacts sur la résilience du secteur agricole. Le bilan des réalisations de ces programmes, à fin 2023, se résume comme suit :

D’abord, la Modernisation des systèmes d’irrigation et d’amélioration de la valorisation de l’eau : pour améliorer l’efficacité hydrique à travers le développement de l’irrigation localisée par, un, l’équipement des exploitations en irrigation localisée sur une superficie totale  825.000 ha et deux, la modernisation des réseaux collectifs d’irrigation sur 127.900 ha.

Pour ce qui est de la Valorisation des eaux mobilisées par les Barrages : avec la création de nouveaux périmètres irrigués et le renforcement de l’irrigation des périmètres existants sur une superficie de 130.000 ha durant le PMV ; et la poursuite de mise en valeur de nouveaux périmètres irrigués sur 72.450 ha et la sauvegarder des ressources en eau souterraines (nappes de Saiss et Meski-Boudnib, etc.) dans le cadre de la Génération Green.

S’agissant du Développement de la Petite Agriculture irriguée : par la réhabilitation de 150.000 ha de périmètres de Petite et Moyenne Hydraulique (PMH). Dans le cadre de la Génération Green ce programme vise, un,  la préservation des périmètres de PMH sur 200.000 Ha dans les zones de montagnes et les oasis, deux, la sauvegarde des Khettaras et trois,  l’aménagement des seuils de recharge des nappes.

Quant au Programme de Promotion du Partenariat Public-Privé, il s’est attelé à l’amélioration des conditions techniques, économiques et financières de la gestion du service de l’eau d’irrigation, à travers le développement de nouveaux projets d’irrigation novateurs, efficients et durables dans le cadre de Partenariats Public-Privé.

Dans l’ensemble, ces programmes ont permis des avancées significatives dans l’optimisation de l’utilisation de l’eau en agriculture au Maroc. Cependant, des défis persistent, notamment en termes de gestion des ressources en eau, d’adaptation aux changements climatiques et de promotion de pratiques agricoles durables. Il est essentiel de poursuivre les efforts en cours et d’innover pour garantir une gestion durable et équitable de l’eau dans le secteur agricole.

Quid des projets PPP de dessalement de l’eau de mer ?

Dans le cadre de la nouvelle stratégie, l’utilisation du dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation a été concrétisée par la réalisation de deux projets.

Le premier est le Projet PPP pour la construction d’une unité de dessalement de l’eau de mer et d’un Réseau d’Irrigation dans la zone de Chtouka. Ce projet de dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation a été structuré pour sécuriser l’irrigation de 15.000 ha à travers le dessalement de l’eau de mer et pour substituer une partie des prélèvements d’eau de la nappe par l’eau produite par l’unité de dessalement de l’eau de mer.

Cette unité de dessalement pour l’irrigation, qui utilise la technique de dessalement par osmose inverse, aura une capacité à terme de 400.000 m3/j (dont 200.000m3/j pour l’eau agricole). La première phase du projet consiste en une capacité de production initiale de la station de dessalement de 275.000 m3/jour (dont 125.000 m3/jour pour l’eau agricole). La mise en eau de cette première phase du projet a eu lieu en Décembre 2022.

Le second est le Projet PPP pour la construction d’une unité de dessalement de l’eau de mer, d’un parc éolien et d’un système d’irrigation dans le périmètre de Dakhla. Ce projet novateur de dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation à Dakhla est dimensionné pour une capacité annuelle de production de l’eau dessalée de près de 37 millions m3/an dont 30 Mm3 destiné à l’irrigation d’un nouveau périmètre couvrant une superficie d’environ 5 200 ha. Le projet sera alimenté en énergie verte par un parc éolien d’une capacité de 60 MW. Les terres irriguées seront loties, viabilisées et affectées aux investisseurs agricoles et aux jeunes promoteurs de la région dans le cadre du PPP autour des terres agricoles.

Par ailleurs, le renforcement et la sécurisation de l’offre hydrique se poursuit, à travers le lancement de nouveaux projets PPP d’irrigation par dessalement de l’eau de mer à l’Oriental, Guelmim, Chichaoua, Oualidia, Tiznit, Taroudant et Boujdour sur une superficie totale de 103.000 ha.

ENTRETIEN ÉCRIT-RACHID BENALI PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION MAROCAINE DE L’AGRICULTURE ET DU DÉVELOPPEMENT RURAL (COMADER)

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