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PME MAROCAINES ET DÉFI DU FINANCEMENT BANCAIRE

  • Adil BOUTFSSI 
  • Cadre bancaire
  • Docteur en sciences de gestion

Les petites et moyennes entreprises (PME) émergent comme des acteurs incontournables dans toutes les branches de l’activité économique nationale. Concentrant près de 40% des investissements privés, elles se révèlent être des pourvoyeuses d’emplois de premier plan. Comptant pour 29% du tissu économique, elles contribuent significativement à la population active, au PIB, à la valeur ajoutée et aux exportations, avec des proportions respectives de 40%, 30%, 26% et 21%. Ces performances témoignent de la capacité des PME à répondre de manière efficace aux impératifs de croissance économique et d’emploi. Ainsi, leur rôle crucial dans l’économie marocaine souligne l’impératif d’accorder une attention soutenue à leur développement et à leur consolidation.

Toutefois, malgré leur contribution substantielle, les PME demeurent en proie à une compétitivité chancelante, surtout sur les marchés internationaux. Leurs ressources, tant techniques qu’humaines, sont souvent limitées, entravant leur croissance et les empêchant d’atteindre une taille critique pour rivaliser en termes de coûts. De plus, les PME rencontrent fréquemment des obstacles dans l’obtention de financements bancaires, en raison de marges bénéficiaires insuffisantes et de difficultés à satisfaire aux critères rigoureux des institutions financières.

Au cours de l’exercice 2023, on note une augmentation inquiétante du nombre d’entreprises au bord du précipice, près de 14 000, soit une hausse de près de 12 % par rapport à l’exercice précédent. La majorité de ces entreprises en péril sont des TPE et des PME, principalement en raison de leur accès restreint aux programmes de financement gouvernementaux tels que le programme « Intilaaqa ». Par ailleurs, l’absence de solutions financières innovantes, en particulier pour les PME innovantes à divers stades de leur développement, constitue un obstacle majeur pour ces entreprises.

De surcroît, il convient de souligner que le marché financier marocain offre une gamme variée de possibilités de financement aux grandes entreprises, mais reste peu accessible aux PME. Malgré les initiatives entreprises par les autorités de régulation telles que l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC), la Bourse de Casablanca et Maroclear, notamment avec le lancement de l’offre intégrée « Offre PME » en 2022, visant à faciliter l’accès des PME au marché des capitaux, celles-ci demeurent réticentes à y participer. Cette réticence découle en partie d’un manque d’expérience et de conformité aux normes réglementaires bancaires et aux exigences de communication financière du marché, ainsi que des coûts élevés associés à la recherche d’informations et à la sélection des meilleures opportunités d’investissement.

Bien que le contexte économique au Maroc puisse offrir des opportunités favorables à l’investissement, la viabilité et la durabilité des projets demeurent des défis de taille. Selon les données du Haut-Commissariat au Plan (HCP) de 2019, plus de 70 % des PME continuent de lutter contre des difficultés financières, le manque de financement demeurant souvent la principale entrave à leur développement.

Diverses études analysant la relation entre les banques et les PME ont conclu que les obstacles rencontrés par les PME marocaines sont en grande partie attribuables à une insuffisance de financement, particulièrement de la part des institutions bancaires. Cette situation entraîne une compétitivité affaiblie, poussant les PME à se concentrer davantage sur leur survie que sur l’innovation. Parallèlement, dans un contexte d’ouverture des frontières, de signature d’accords de libre-échange et de progression technologique, il devient impératif pour les PME d’investir afin de maintenir leur compétitivité. Ceci les contraint à rechercher des sources de financement robustes.

La politique de crédit appliquée par les banques à l’égard des PME est un sujet récurrent dans les discussions sur la croissance économique. Les besoins de financement des PME dépendent largement de ressources externes, principalement du crédit bancaire. Néanmoins, malgré l’augmentation des demandes de financement, l’accès au crédit pour les PME reste un défi. De plus, en raison de la croissance des créances en souffrance, atteignant 88,8 milliards de dirhams au cours de l’exercice 2022 selon les données de Bank Al-Maghrib, les banques ont été incitées à adopter une approche plus prudente dans la gestion des risques de défaut, entraînant l’imposition de conditions de financement strictes, parfois discriminatoires. Ces conditions peuvent inclure une hausse des taux d’intérêt, l’exigence de garanties substantielles dépassant largement le montant du crédit demandé, voire même la demande d’engagement personnel du dirigeant ou du propriétaire de la PME sous forme de caution solidaire.

D’un autre côté, les professionnels du secteur bancaire identifient la fragilité du haut du bilan comme le principal obstacle entravant l’accès au financement des PME. Depuis un certain temps, la question de la sous-capitalisation affectant les PME marocaines suscite des critiques véhémentes de la part de l’ensemble des acteurs financiers, notamment les institutions bancaires, les caisses de garanties et l’agence de développement des PME. Les professionnels de la banque justifient leurs réserves en raison du déficit en fonds propres, souvent causé par un réinvestissement insuffisant dans l’entreprise. Cette situation a entraîné un déclin de la confiance et une réticence à répondre aux besoins de financement externe des PME.

À l’heure actuelle, les PME au Maroc s’engagent résolument à améliorer leur crédibilité en accordant une attention accrue à leurs engagements envers leurs actionnaires. L’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC) souligne l’importance prépondérante des capitaux propres dans la structure du passif des TPME, en particulier pour les PME, où ils représentent en moyenne 37% entre 2012 et 2016, par rapport à 20% pour le crédit bancaire et 19% pour les dettes fournisseurs. Bien que la configuration soit presque similaire pour les TPE, les emprunts auprès des associés y jouent un rôle plus significatif.

Dans un contexte similaire, les résultats d’une enquête menée par la Banque Européenne d’Investissement dans certains pays du Sud de la Méditerranée révèlent que les fonds propres et les bénéfices non répartis constituent la principale source de financement des PME marocaines, représentant respectivement 60% des investissements et 70% des besoins en fonds de roulement (BFR). En revanche, le crédit bancaire contribue à hauteur de 20% pour chaque catégorie. Cette structure reste globalement similaire à celle observée dans les autres pays de la région, où l’autofinancement couvre 60% des dépenses d’investissement et 80% du BFR, tandis que le crédit bancaire contribue respectivement pour 19% et 11%.

La prévalence des capitaux propres favorise l’autofinancement, souvent associé à la volonté de maintenir un contrôle constant sur l’entreprise, à des réticences en matière de transparence financière pour des raisons fiscales ou liées à la concurrence, ainsi qu’à des difficultés d’accès à d’autres modes de financement.

Dans le paysage économique actuel, nous assistons à une sophistication croissante en matière de gestion financière, témoignant de la maturité des dirigeants d’entreprises marocaines. Il semble que nos dirigeants de PME aient finalement embrassé les principes de la théorie moderne du financement d’entreprise, mettant l’accent sur la signalisation sur le marché du crédit. En effet, les investissements en capitaux propres émis envoient un signal positif quant à l’engagement des actionnaires-propriétaires, qui parient sur le succès entrepreneurial de leurs investissements. Cette tendance se traduit par une augmentation des capitaux propres investis ainsi que par une rétention systématique des bénéfices nets. Il est manifeste que l’importance accordée aux capitaux propres peut jouer un rôle déterminant dans l’accès au financement bancaire des PME au Maroc.

Cependant, selon la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), les difficultés rencontrées par les PME marocaines pour obtenir un financement adéquat ne sont pas tant dues à la réticence ou à la prudence des institutions bancaires vis-à-vis de leur capacité de réinvestissement, mais plutôt à la fragilité structurelle et au caractère risqué inhérent des PME elles-mêmes. En effet, le manque d’expertise en gestion, des états financiers opaques et un capital humain de niveau moyen contribuent à une forte asymétrie d’information et à un risque moral, ce qui diminue l’appétence des banques pour le financement des PME.

En effet, pour atténuer les effets néfastes des phénomènes d’opacité informationnelle, les institutions bancaires exigent des PME sollicitant des crédits de fournir des garanties supplémentaires afin de signaler leur intention honorable. Ainsi, parmi les facteurs décisifs pour l’obtention d’un financement bancaire, l’allocation de garanties réelles se démarque.

Diverses études confirment que la présence de garanties est un élément crucial influençant la décision d’accorder un crédit. Ainsi, les PME offrant des biens en garantie réelle ont de meilleures chances de voir leurs demandes de financement approuvées. D’une part, cela permet à la banque de réduire l’opacité de l’information, et d’autre part, cela incite l’entreprise à adopter une approche plus collaborative.

Au Maroc, la présence de garanties physiques revêt une importance capitale pour l’accès des PME au crédit bancaire. Ces garanties contribuent à réduire les asymétries d’information entre l’entreprise et ses créanciers. De plus, pour encourager la coopération des PME et réduire les coûts associés à la recherche d’information, les créanciers exigent des garanties sous forme de nantissements sur les actifs corporels de l’entreprise.

Il a été observé que l’exigence de garanties joue un rôle crucial dans la relation de crédit. C’est le meilleur moyen pour les bailleurs de fonds d’atténuer le risque et constitue un mécanisme d’auto-sélection des emprunteurs. Cette exigence peut dissuader les dirigeants de PME de mener des sous-investissements et des prélèvements discrétionnaires. De plus, elle peut réduire les risques d’aléa moral : les garanties, qu’il s’agisse d’actifs de l’entreprise ou de contributions personnelles du dirigeant, accroissent les pertes encourues par l’entreprise et l’entrepreneur en cas de défaut, incitant ainsi l’entreprise à entreprendre des projets moins risqués dès le départ. Les garanties permettent de réduire les coûts d’agence et encouragent davantage les créanciers à s’engager dans des prêts à long terme.

Pour surmonter les obstacles entravant le développement des PME et valoriser ce segment crucial de l’économie, le gouvernement marocain a mis en place plusieurs programmes d’accompagnement visant à améliorer l’accessibilité au financement et à renforcer la compétitivité des PME.

En collaboration avec la Banque centrale du Maroc (Bank Al-Maghrib), la CGEM et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), une nouvelle feuille de route a été élaborée pour mettre en œuvre les leviers de la stratégie nationale d’inclusion financière. Ces initiatives visent à promouvoir la transparence des PME, à faciliter la prise de décisions éclairées, à optimiser les opérations et à renforcer la relation entre les banques et les PME.

Par ailleurs, les financements bancaires sont octroyés aux entreprises afin de pallier leurs besoins temporaires de capitaux, le remboursement étant généralement assuré par les revenus provenant de la vente de leur production. Dans cette optique, les établissements bancaires proposent aux PME une gamme variée d’instruments de financement à court, moyen et long terme.

En outre, Bank Al-Maghrib a élargi en 2012 la liste des garanties éligibles à ses opérations de refinancement pour inclure des instruments représentatifs de la dette des PME. Cette initiative a été remplacée en 2013 par un régime plus vaste permettant aux banques d’accéder à des financements supplémentaires par le biais d’opérations de refinancement trimestrielles équivalentes au montant du crédit accordé aux petites et moyennes entreprises au cours d’une année. En 2015, ce programme a été ajusté pour se concentrer sur les crédits à moyen et long termes, et en 2020, en réponse à la crise de la Covid-19, Bank Al-Maghrib l’a étendu aux crédits de fonctionnement, tout en augmentant sa fréquence de trimestrielle à mensuelle.

Actuellement, le Maroc s’engage pleinement dans le développement des PME, faisant de ce secteur une priorité absolue. Les différentes parties prenantes s’efforcent de dynamiser ce segment crucial de l’économie pour répondre aux mutations socio-économiques en cours et relever le défi du nouveau modèle de développement, en facilitant notamment l’accès des PME au financement bancaire.

Cependant, malgré ces initiatives gouvernementales, les PME marocaines restent confrontées aux défis du financement traditionnel, notamment en raison de l’insuffisance de garanties réelles. Ce manque de garanties constitue une forme supplémentaire d’autocensure pour les PME au Maroc, qui peuvent être découragées de solliciter un financement bancaire par anticipation d’un refus en raison de l’absence ou de l’insuffisance de garanties, alimentant ainsi une certaine perplexité parmi cette catégorie d’entreprises exprimant des besoins de financement mais se sentant découragées.

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