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L’EXQUISE ÉMERGENCE DES OPCI AU MAROC

  • Adil BOUTFSI
  • Cadre supérieur en Banque

Le Royaume du Maroc s’est engagé dans une démarche stratégique en élaborant un cadre législatif sur mesure pour les Organismes de Placement Collectif Immobilier (OPCI), en parfaite conformité avec les standards internationaux. Cette initiative, portée par l’adoption de la loi n°70-14 relative aux OPCI le 25 août 2016, vise à réguler ces instruments tout en favorisant la diversification des sources de financement de l’économie.

Bénéficiant d’un solide socle réglementaire, les premiers OPCI agréés ont vu le jour à partir du mois de décembre 2019, avec notamment la création de « CDG Premium Immo » et « CIH Patrimmo », marquant ainsi le début de l’histoire des OPCI au Maroc. Par la suite, plusieurs OPCI et évaluateurs immobiliers ont obtenu leurs agréments d’exercice, contribuant à la mise en place d’un écosystème d’affaires dynamique. À l’heure actuelle, la prolifération des OPCI agréés au Maroc se dessine comme une saga de croissance, multipliant par treize leur nombre initial en l’espace de quatre exercices. De seulement quatre entités en 2020, leur effectif a grimpé à vingt en 2021, cinquante en 2022, pour atteindre enfin cinquante et un OPCI à la fin du mois d’août 2023. Cette expansion, bien que frappante, révèle une dynamique inégale dans la création de ces organismes, se divisant nettement en deux phases distinctes : une période inaugurale entre 2020 et 2021, suivie d’une accélération marquée entre 2022 et 2023.

Le succès des OPCI trouve ses fondements dans la dynamique du marché immobilier national, la demande des acteurs économiques et le cadre fiscal attractif actuel.

Ils s’inscrivent dans une stratégie de politique publique visant à canaliser l’épargne nationale vers l’immobilier locatif, bénéficiant d’incitations fiscales telles que l’exonération des plus-values sur les apports en nature, des frais d’enregistrement pour les apports en numéraire et en nature, ainsi que sur les droits d’enregistrement relatifs aux souscriptions/rachats.

L’exonération de l’impôt sur les sociétés et l’abattement de 40% sur les dividendes distribués aux actionnaires, limité aux produits provenant des bénéfices relatifs à la location des biens immeubles bâtis, encouragent une ouverture du capital à la participation publique, avec la cession d’au moins 40% des parts existantes, sous réserve que l’actionnaire majoritaire ne détienne que 60% du capital. Il est à noter que cet abattement, initialement fixé à 60% pour l’exercice fiscal de 2020, a été ramené à 40% en 2023, restant inchangé en 2024.

Cette réforme fiscale vise clairement à prévenir l’exclusivité actionnariale et à promouvoir un actionnariat diversifié. Toutefois, elle peut représenter une contrainte pour certains investisseurs, pouvant susciter des conflits d’intérêts entre actionnaires. En effet, la majorité des OPCI au Maroc ne respectent pas la structure du capital où l’actionnaire majoritaire ne détient que 60% du capital. De plus, dans le cas où ce quota d’actionnariat serait respecté et qu’un jour l’actionnaire majoritaire souhaite souscrire à un nouveau projet immobilier, cela pourrait entraîner une dilution des actions détenues, pénalisant ainsi fiscalement les autres actionnaires.

« La majorité des OPCI au Maroc ne respectent pas la structure du capital où l’actionnaire majoritaire ne détient que 60% du capital »

Depuis leur apparition il y a à peine quatre ans, les actifs nets totaux des OPCI ont connu une ascension remarquable, passant de 5 milliards de dirhams en août 2020 à 70,69 milliards de dirhams à la fin de juin 2023, selon les derniers chiffres rapportés par l’AMMC. Ce qui suscite notre intérêt en tant qu’observateurs, c’est la diversité manifeste de l’arsenal immobilier des OPCI, finement élaboré pour répondre aux besoins spécifiques d’une clientèle variée. En effet, les statistiques révèlent une distribution stratégique des actifs, avec 49,5% dédiés aux bâtiments destinés à l’éducation ou à la formation, 17,4% alloués aux établissements de santé, 11,3% aux locaux administratifs, 9,1% aux bureaux, 6,9% aux espaces commerciaux, 2,5% aux biens à usage mixte, 2,1% aux infrastructures touristiques et de loisirs, 0,7% aux entrepôts logistiques, 0,2% aux installations industrielles, et enfin, 0,1% aux biens résidentiels. Actuellement, le taux d’occupation physique moyen des actifs immobiliers atteint 97%, comme le révèle le dernier rapport des indicateurs semestriels des OPCI publié par l’AMMC.

En analysant la destination économique de l’arsenal immobilier détenu par les OPCI, il devient évident que ces derniers ciblent les secteurs d’activité à forte demande et à fort potentiel de croissance, susceptibles de générer un rendement locatif substantiel, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé. En effet, l’essor du nombre d’établissements d’enseignement privés au Maroc au cours de la dernière décennie, représentant désormais plus d’un tiers des établissements scolaires publics dans le Royaume, témoigne d’une tendance à la hausse. Parallèlement, le secteur de la santé privée au Maroc est en plein essor grâce à l’adoption, depuis 2015, de la loi 131-13 relative à l’exercice de la médecine et autorisant l’ouverture du capital des cliniques privées au personnel non médical. Cette législation a favorisé l’augmentation de la part du privé dans l’offre de soins, créant ainsi un besoin croissant en investissement dans le secteur pour tous les acteurs privés.

« Les rendements locatifs bruts observés varient entre 4 % et 7,5 %. Toutefois, cette rentabilité dépend de la qualité du foncier géré, de la durée des contrats de locations et du volume des charges supportées par lesdits OPCI »

Par ailleurs, les expériences internationales ont démontré l’apport majeur des véhicules d’investissement immobilier réglementés à la vitalité et à la structuration des marchés immobiliers à travers le monde. Aux États-Unis, le régime des Real Estate Investment Trusts (REITs) a été un vecteur essentiel, bénéficiant d’une stratégie résolument axée sur les fiducies de placement immobilier et gérant un portefeuille d’actifs colossal dépassant les 4500 milliards de dollars en 2022. Parallèlement, en Europe, l’adoption du régime des Sociétés d’Investissement en Immobilier Cotées (SIIC) a joué un rôle prépondérant, notamment en France où ce régime a été établi dès 2003, suivi de près par celui des Organismes de Placement Collectif en Immobilier (OPCI) en 2007. Dès leur introduction, les OPCI ont connu une ascension fulgurante, enregistrant une croissance phénoménale de 700 % entre 2014 et 2018.

En Turquie, les fonds d’investissement immobilier se distinguent également comme l’un des meilleurs types d’investissements, témoignant d’une progression annuelle des rendements bruts moyens des fonds d’investissements immobiliers locatifs avec des bénéfices qui varient entre 5,5 % et 6,36 % enregistrés au premier trimestre 2024.

Cette expansion prodigieuse témoigne de l’exceptionnelle agilité des fonds d’investissement immobilier à satisfaire les besoins des acteurs économiques et des investisseurs à l’échelle internationale.

Cela dit, l’introduction des OPCI au Maroc symbolise une étape capitale dans la stimulation du secteur immobilier et le renforcement des dispositifs d’investissement associés. Encadrés par une réglementation adaptée, leur fonctionnement assure transparence et surveillance. Le Maroc devient ainsi le 38ème pays à instituer un régime pour les véhicules d’investissement immobilier, le 3ème en Afrique et le pionnier de la région, jouant un rôle crucial dans la restructuration des locaux détenus en propre par les entreprises, facilitant ainsi la mobilisation de nouvelles ressources pour le financement des investissements. Actuellement, les rendements locatifs bruts observés varient entre 4 % et 7,5 %. Toutefois, cette rentabilité dépend de la qualité du foncier géré, de la durée des contrats de locations et du volume des charges supportées par lesdits OPCI.

Il est manifeste que l’avenir des OPCI au Maroc s’annonce prometteur. Le potentiel de ce segment était estimé à environ 200 milliards de dirhams par le ministère des finances en 2019, uniquement pour le segment des bureaux. Nous pensons que ce seuil peut être atteint non seulement grâce à l’exploitation de l’arsenal immobilier des OPCI, mais également grâce à une conjoncture économique plus sereine, résultant de divers facteurs macro-économiques tels que l’offre et la demande sur le marché immobilier, le flux monétaire généré par l’immobilier, les infrastructures, la croissance économique et l’impact de l’inflation. De plus, il est impératif de mettre en place en interne les conditions nécessaires à une croissance soutenue à long terme, notamment en établissant une cartographie des risques, un outil essentiel pour piloter les risques inhérents à l’activité de ces organismes, en identifiant, évaluant et gérant ces risques de manière proactive notamment les risques liées au chocs cycliques du secteur immobilier.

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