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Analyse: Accélération des restrictions commerciales depuis 2020

L’assurerur-crédit belge Credendo vient de publier une note analytique sur l’augmentation rapide des restrictions commerciales observée à travers le monde depuis 2020, dans différents endroits du globe, sur différents secteurs, et pour des raisons diverses. Détails.

La pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, la crise alimentaire, les tensions géopolitiques, la transition énergétique et le changement climatique ont accéléré le rythme des restrictions commerciales mises en place dans le monde depuis 2020. Selon le FMI, le nombre de barrières commerciales mises en place par année a quasiment triplé depuis 2019. Ces mesures protectionnistes impactent vivement le commerce mondial étant donné qu’elles limitent le volume des échanges, impliquent une augmentation des coûts pour les entreprises et perturbent les chaînes d’approvisionnement. Ces dernières semaines en particulier, de nouvelles restrictions – de facto ou de jure – ont été mises en place dans différents endroits du globe, sur différents secteurs, et pour des raisons diverses.

Le secteur de la tech au centre de restrictions motivées (géo)politiquement

Le secteur de la tech est de nouveau touché par des mesures impactant le commerce, à la lumière des tensions entre les États-Unis – et les pays occidentaux plus largement – et la Chine. Les États-Unis souhaitent restreindre la capacité de la Chine d’accéder ou de produire des puces utilisées dans des domaines sensibles, tels que l’armée ou l’intelligence artificielle. Durant l’année écoulée, les États-Unis ont pris une série de mesures visant le secteur high-tech chinois, allant de contrôles sur les exportations de puces de pointe à, récemment, l’interdiction pour les entreprises américaines d’investir en Chine dans les domaines liés aux semi-conducteurs de pointe. Les investisseurs américains ont également désormais l’obligation de notifier tout investissement dans d’autres types de semi-conducteurs et d’intelligence artificielle. 

Ainsi, en réplique aux contrôles imposés par les Pays-Bas et le Japon sur les exportations de machines servant à la production des puces de pointe, la Chine a mis en place début juillet des restrictions sur l’exportation de gallium et de germanium, deux métaux utilisés, entre autres, dans la fabrication des puces et des équipements de communication. Depuis début août, les exportateurs chinois doivent demander l’autorisation du ministère du commerce pour pouvoir les exporter. Ces mesures viennent s’additionner à la mise en place par la Chine d’une interdiction d’utiliser les produits du fabricant américain de puces mémoires Micron dans les « infrastructures nationales critiques ». 

Le gallium et le germanium sont des métaux utilisés dans la production de puces, de câbles à fibres optiques, de véhicules électriques et pour toute une série de produits de télécommunication. Ils sont également utilisés dans les industries de la défense et des énergies renouvelables, notamment dans les cellules photovoltaïques et les LED. La Chine est le leader mondial dans la production de ces deux métaux. Elle représente environ deux tiers de la production mondiale de germanium et environ 80 % de la production mondiale de gallium. Le Japon, la Corée du Sud, l’Inde et Taïwan en sont les principaux importateurs. 

Il reste donc à voir jusqu’à quel point les contrôles des exportations entraveront effectivement les exportations. Si les exportations de gallium et de germanium ne sont que légèrement limitées, des solutions alternatives pourront être trouvées, bien que cela demandera un certain temps d’ajustement aux entreprises. Parmi les autres pays pouvant fournir du germanium on compte les États-Unis, le Canada et la Belgique, et pour le gallium, la Corée du Sud et le Japon. Il est à noter que la Corée du Sud détient d’importants stocks, ce qui devrait diminuer quelque peu l’impact pour les producteurs de puces du pays, du moins temporairement. En revanche, si toutes les exportations sont bloquées, cela pourrait poser un sérieux problème, dans le sens où trouver des sources alternatives plus importantes, en particulier pour le gallium, prendra plusieurs années et sera très coûteux. De plus, dans ce cas, les prix des métaux, qui n’ont pas énormément augmenté jusqu’à présent, grimperaient en flèche. Dans l’intervalle, les contrôles des exportations ajoutent un peu plus d’incertitudes pour les entreprises clientes et montrent que Beijing ne souhaite pas rester passive dans le bras de fer technologique avec l’Occident. Cela souligne également la possibilité que d’autres mesures soient appliquées à d’autres produits.

Cette décision pourrait également coûter cher aux producteurs chinois de ces métaux, plus particulièrement aux entreprises relativement petites qui dépendent des exportations.

Début août, une autre série de restrictions a été mise en place sur le secteur, de manière inattendue, entrainant une réaction immédiate de l’Inde, qui a mis en place des restrictions sur les importations d’ordinateurs portables et de tablettes pour soutenir le plan « Make in India » et promouvoir la fabrication domestique de matériel informatique. Faisant désormais partie des importations soumises à restrictions, les entreprises auront besoin d’une licence pour expédier ces appareils en Inde. Les prix de ces produits pourraient donc augmenter dans le pays en raison de leur rareté, la mesure affectant en premier lieu les entreprises qui n’assemblent pas leurs appareils en Inde, telles que Apple ou ASUS.

Restrictions commerciales sur les matières premières critiques accélérées par la transition énergétique

La croissance rapide de la demande en matières premières critiques, telles que les terres rares, le lithium, le cobalt et le nickel, qui sont cruciales pour la décarbonation de l’économie, va de pair avec l’augmentation du commerce international de ces produits, étant donné la concentration de l’offre. Toutefois, l’augmentation de ces échanges au niveau international s’accompagne également d’une augmentation des restrictions à l’exportation, principalement sous la forme de taxes à l’exportation. Les données de l’OCDE concernant les restrictions à l’exportation sur les matières premières montrent que les restrictions à l’exportation sur les matières premières critiques ont quintuplé depuis 2009. Actuellement, 10 % du commerce mondial des matières premières critiques est concerné par au moins une mesure restrictive pour son exportation.

De plus en plus de pays imposent des restrictions et des interdictions d’importation pour favoriser l’activité domestique. L’Inde, par exemple, interdit les exportations de minerai de nickel depuis 2020 et a étendu de manière similaire ces interdictions à d’autres matières premières pendant l’été, comme la bauxite et le cuivre. La Namibie est l’un des derniers pays à avoir imposé des interdictions d’exportation, sur le lithium non transformé et d’autres minéraux critiques (cobalt, manganèse, graphite et terres rares), en juin dernier.  Un intérêt grandissant pour les ressources de ce pays, qui possède d’importants gisements de lithium, est en effet observé.

Augmentation du protectionnisme alimentaire en réaction aux prix et à la sécurité alimentaire

L’augmentation des restrictions à l’exportation sur les produits agricoles, alimentaires et les fertilisants depuis le début de la guerre en Ukraine est particulièrement marquante. Alors que, selon les informations de l’Organisation mondiale du commerce, début 2022, seule une restriction de ce genre était en vigueur ; fin février 2023, le nombre de restrictions s’élevait à 68, et mi-juillet 2023, elles étaient encore de 59. 

Depuis mai dernier, une interdiction temporaire d’importer des produits agricoles en provenance de l’Ukraine (parmi lesquels le blé et le maïs) avait été mise en place dans l’UE. En effet, certains pays (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) craignaient une chute des prix sur leurs marchés face aux produits ukrainiens meilleurs marchés qui restaient bloqués dans leurs frontières. Sous les restrictions mises en place, seul le transit de ces céréales via ces pays était autorisé. À la suite de l’expiration de l’accord, le 15 septembre dernier, l’UE a décidé de lever l’interdiction, affirmant qu’aucune distorsion de marché n’avait été observée dans ces pays. Toutefois, la Pologne et la Hongrie ont déclaré qu’elles continueraient à imposer ces restrictions unilatéralement.

Outre les facteurs géopolitiques, le changement climatique est un autre motif à la base des restrictions commerciales dans le secteur alimentaire. Ainsi, le 20 juillet, l’Inde a annoncé qu’elle interdisait avec effet immédiat l’exportation de riz blanc non basmati et de riz cassé (qui représentent environ la moitié des exportations totales de riz indien) afin de protéger ses stocks domestiques dans le contexte de l’augmentation des prix qui a fait suite aux pluies intenses qui se sont abattues sur le pays durant les moussons erratiques. L’Inde étant le plus grand exportateur de riz au monde, avec 40 % du marché mondial, cette interdiction a un impact considérable sur les marchés internationaux et sur les prix, qui ont augmenté d’environ 20 % depuis son introduction. Cette mesure pourrait inciter d’autres grands exportateurs (notamment la Thaïlande et le Vietnam) à entreprendre la même démarche pour protéger ses propres marchés – ce qui ne ferait qu’amplifier davantage l’augmentation des prix dans des marchés déjà sous pression et où les préoccupations quant aux effets à venir du phénomène El Niño pèsent tout autant.  
 

D’autre part, la récente interdiction imposée par la Chine d’importer des poissons et fruits de mer en provenance du Japon après que ce dernier a commencé à relâcher des eaux radioactives issues de la centrale nucléaire endommagée de Fukushima ne devrait pas avoir un grand impact sur les marchés internationaux étant donné que le Japon reste un petit exportateur. Toutefois, la perte du marché chinois pourrait être douloureuse pour les producteurs japonais, pour qui la Chine représente environ un cinquième de leurs revenus.

Restrictions de facto sur le fret imposées par des évènements climatiques extrêmes

Dernièrement, le commerce international de marchandises a lui aussi été touché par des restrictions de transit dans le Canal du Panama, en réponse à la sécheresse qui s’est abattue sur la région. Actuellement, les restrictions, qui ont été mises en place pour plusieurs mois, fixent le tirant d’eau maximum des navires et le nombre de bateaux autorisés à utiliser le canal par jour. Une mesure qui entraîne des retards, dus à la formation de files de bateaux, – de parfois plus d’une semaine – et qui implique des coûts supplémentaires pour les sociétés de transport maritime. Néanmoins, jusqu’à présent, des perturbations majeures sur le trafic n’ont pas été observées et l’excédent de conteneurs disponibles sur le marché devrait permettre de contenir les augmentations des taux de fret. À titre indicatif, les taux de fret des porte-conteneurs entre Shanghai et New York ont augmenté de 37 % entre fin juin et fin août.

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