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Livre scolaire: Le rapport choc du Conseil de la concurrence !

  • Le nombre d’années d’apprentissage effectif pour les élèves marocains est de 2,6 ans, alors que cette durée dépasse 11 ans dans les pays développés;
  • Ce sont presque les mêmes éditeurs avec qui le Ministère continue de travailler à date d’aujourd’hui, ce qui a créé de véritables situations de rentes ;
  • Le modèle économique actuellement retenu pour le livre scolaire n’a pas permis le développement d’une véritable industrie du livre scolaire au Maroc, puisqu’environ 40% à 60% des livres scolaires continuent d’être imprimés à l’étranger (Espagne, Italie, Egypte…) ;
  • La prédominance des corps des inspecteurs et professeurs du ministère, en activité ou en retraite, dans la conception du livre scolaire et les liens qu’ils peuvent entretenir avec les maisons d’édition peuvent soulever des questions sur l’objectivité et la neutralité de ces derniers en position de juge et partie (concepteurs et évaluateurs-).

Le  Conseil de la concurrence vient de rendre public son Avis sur le fonctionnement concurrentiel du marché du livre scolaire. Un constat sans appel : La conception du livre scolaire s’est effectuée au détriment de la qualité de sa forme et de son contenu, le réduisant à un simple produit commercial.

Principales conclusions : un simple produit commercial

1/ Le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire est devenu contre- productif reposant sur une offre et une demande artificiellement soutenue par des fonds publics et semi-publics et en total déphasage avec les réalités économiques du marché.

2/ Une production du livre scolaire massifiée oscillant entre 25 et 30 millions d’exemplaires de manuels « jetables », programmés et conçus à être utilisés une et une seule fois, soit une « consommation » de 3 à 4 livres en moyenne par élève et par an. Ceci occasionne un énorme gaspillage de ressources, de matières et d’énergie pour le pays.

3-Cette production est dominée par le manuel papier imprimé qui occupe une place primordiale dans le processus d’apprentissage au sein de l’école publique marocaine. Il a encore la particularité d’être un manuel unique sans outils auxiliaires tels que les CD-Rom, clés USB, etc. En effet, aucun manuel scolaire sur le marché n’est doté d’un support numérique complémentaire, et ce, contrairement à d’autres pays où le manuel imprimé est souvent accompagné d’un ensemble de supports numériques.

4-Le niveau de concentration du marché du livre scolaire est élevé, malgré une multiplicité apparente des maisons d’édition, avec une forte concentration géographique au niveau de Casablanca et subsidiairement au niveau de Rabat. En effet, les 4 premiers groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du marché du livre scolaire et si on y intégre le 5 ème , cette part monte à 63%.

5/ Le marché du livre scolaire est entièrement verrouillé en amont, donnant lieu à la création de véritables positions de rente acquises par les mêmes éditeurs sélectionnés depuis une vingtaine d’années. Leurs parts de marché sont restées quasiment inchangées durant cette période.

6/ L’ouverture à la concurrence du marché du livre scolaire est tronquée, dans la mesure où l’Administration a maintenu la détermination des conditions d’entrée à ce marché via la définition des termes des cahiers des charges formant appels d’offres, ainsi que la fixation des prix des livres scolaires demeurés inchangés durant plus de vingt ans. A titre d’exemple, en 2015, la fondation a publié 13 260 fautes (données recueillies du MEN, dans le cadre d’une visite d’études effectuée en Corée du Sud). sur le fonctionnement concurrentiel du marché du livre scolaire.

7)L’ouverture partielle du marché en amont du livre scolaire a transformé, dans les faits, le livre scolaire d’un outil pédagogique en un produit essentiellement commercial, constituant la première source de revenus des éditeurs et des libraires. Ainsi, sur un chiffre d’affaires global du marché de l’édition estimé à 800 millions de dirhams, plus de la moitié provient du marché du livre scolaire (400 millions de dirhams).

8/ La forte dépendance des maisons d’édition du livre scolaire s’est accentuée récemment du côté de l’offre par l’octroi de subventions par l’État, à hauteur de 101 millions de dirhams ,en vue de réduire la hausse des prix de vente publics des manuels scolaires à seulement 25%, et ce, pour répondre aux demandes d’augmentation des prix formulées par les éditeurs suite à la hausse des coûts de leurs intrants, comme en témoignent les prix du papier qui ont connu une augmentation de plus de 103%.

9/ Cette forte dépendance se situe également du côté de la demande du livre scolaire qui est largement supportée par des fonds publics et semi-publics mobilisés dans le cadre de l’opération « un million de cartables » de l’INDH. Sur un budget total de 550,5 millions de dirhams au titre de l’année scolaire 2022-2023, une enveloppe de 370 millions de dirhams a été consacrée à l’acquisition du livre scolaire.

10/ Le développement quantitatif du marché du livre scolaire s’est effectué au détriment de la qualité de sa forme et de son contenu, le réduisant à un simple produit commercial où les considérations du coût de production l’emportent largement sur le contenu. Ainsi, les droits d’auteur récompensant la production intellectuelle du contenu de ces livres ne dépassent guère une moyenne de 8% du prix du livre scolaire.

11/ Les prix du livre scolaire fixés par l’Etat n’ont pas été révisés depuis la période 2002-2008. La procédure légale et réglementaire de fixation de leurs prix n’a pas été respectée dans la majorité des cas. En effet, seuls les prix de 9 livres sur un total de 381 ont été fixés suite à l’avis favorable de la commission interministérielle des prix et publiés au BO. Les prix des 372 livres scolaires restants ont été directement fixés par le MEN, suite aux appels d’offres lancés, et sans passer par ladite commission.

12/ Les prix des livres scolaires ont été maintenus artificiellement bas au détriment de leur qualité « physique » et de leurs contenus, comme en témoigne la mauvaise qualité du papier avec un grammage de plus en plus réduit, occasionnant des surcharges de pages et des illustrations en deçà des standards. De fait, les livres scolaires sont devenus peu attractifs pour les élèves, voire répulsifs pour certains, ce qui les prive des apprentissages fondamentaux que ces livres sont censés leurs apporter.

13/ L’institution d’un cadre légal régissant le livre scolaire n’a été entamée qu’en 2019 avec la publication de la loi-cadre n° 51-17 relative au système d’éducation, de formation et de recherche scientifique. Mais, cette loi n’a consacré qu’un seul article au livre scolaire. En effet, l’article 28 de cette loi-cadre prévoit la création d’une commission permanente et consultative auprès du ministre de l’Enseignement, dont l’avis est sollicité à l’occasion de renouvellement (Avis du Conseil de la concurrence n° A/2/2366 et/ou révision des curricula. Le décret d’application relatif à cette commission n’a été publié au BO qu’en 2021 et ses membres ne sont pas encore désignés.

14/ La régulation administrative du marché du livre scolaire appliquée aux agents économiques opérant sur ce marché, est marquée par l’omniprésence du MEN en amont et en aval, via des décisions, des circulaires, des notes de service, des lettres et autres courriers administratifs, qui créent un environnement juridique instable et imprévisible. Le « dirigisme » administratif a engendré un manque de créativité pédagogique dans la mesure où il a poussé les éditeurs à maintenir les mêmes outils pédagogiques à l’exception de quelques changements à la marge. Cette situation a été aggravée par l’interdiction faite aux éditeurs d’expérimenter et de tester les méthodes pédagogiques de leurs livres dans les classes réelles, ce qui les a privés de tout retour d’expérience ou d’évaluation concrète sur la base des apprentissages effectifs des élèves. L’élaboration des manuels scolaires s’est ainsi transformée en un travail théorique pur qui ne se confronte pas au feedback des enseignants et des élèves. En conséquence et au fil du temps, les effets de la régulation administrative ont fini par inhiber toute initiative de concurrence entre les éditeurs.

15/ La multiplicité et la diversité du livre scolaire n’ont pas atteint les objectifs recherchés, que ce soit en termes de développement d’une industrie nationale de l’édition performante ou en termes de la qualité du livre scolaire, tant qu’au niveau de la forme qu’au niveau du contenu.

16/ Cette multiplicité et la diversité du livre scolaire ont également fragmenté l’offre du livre scolaire entre une multitude d’éditeurs de moyenne et de petite taille, ne disposant pas toujours des moyens financiers et techniques nécessaires pour le développement de véritables collections du livre scolaire, conçues soit par niveau d’apprentissage ou par matière. Cette fragmentation a eu pour corollaire une incohérence et une discontinuité dans le contenu didactique et pédagogique des livres scolaires.

17/ La répartition et le choix des livres scolaires, édités par différentes maisons d’édition portant sur les mêmes matières par les différentes académies relevant du MEN, ne permettent pas aux élèves de continuer normalement leurs apprentissages s’ils changent d’écoles relevant d’une même académie ou s’ils changent d’académie. Ceci représente un sérieux frein à la mobilité de leurs parents et impacte négativement le développement économique des régions.

2. Principales recommandations

1/ Le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire est à réviser radicalement en l’intégrant en tant qu’élément central des politiques publiques de réforme de l’enseignement. Ce recentrage doit se faire sur la base de logiques économiques stimulant la créativité et l’innovation, tout en tenant compte des spécificités culturelles et sociétales du pays sur le fonctionnement concurrentiel du marché du livre scolaire.

2/ Les rôles et missions du ministère chargé de l’Éducation nationale en matière du livre scolaire sont à réviser en profondeur. Cette réforme devrait s’inscrire dans le cadre des politiques publiques de l’enseignement. En effet, de par les expériences internationales réussies, notamment dans les pays du Sud-Est asiatique, le livre scolaire doit être considéré comme une affaire d’intérêt national où l’Etat et le secteur privé, en plus du monde académique, doivent y être pleinement impliqués.

3/ Un nouveau cadre légal et réglementaire devrait être mis en œuvre permettant d’offrir la visibilité et la lisibilité aux acteurs concernés. En effet, l’expérience a montré que la régulation administrative actuelle du marché du livre scolaire n’offre, ni sécurité juridique, ni visibilité aux opérateurs industriels désirant investir dans le marché de l’édition de façon générale et du livre scolaire en particulier.

4/ L’Etat se doit de s’approprier la production des manuels scolaires officiels destinés notamment au cycle primaire et secondaire comme étant un acte constitutif de la souveraineté nationale. Leur élaboration ainsi que les droits d’auteurs y afférents doivent rester la propriété de l’Etat et doivent viser la création d’un socle servant l’unité, l’identité et les valeurs de la Nation.

5/ Les curricula et les programmes scolaires qui en découlent sont à réviser profondément en tenant compte des recommandations précitées. Pour ce faire, il est recommandé au MEN, en tant que maître d’ouvrage de cette révision, de faire participer l’ensemble des parties concernées par ces curricula, notamment les associations des parents d’élèves, les professeurs et académiciens spécialisés et les représentants des éditeurs. Les programmes scolaires qui en sortiront devront être rendus publics au moins une année avant leur entrée en vigueur afin de permettre aux maisons d’édition de se concurrencer et de présenter les meilleures offres pour confectionner les outils qui répondent le mieux auxdits programmes, sachant que le choix doit revenir, en dernier ressort, aux professeurs pour les livres « adaptés ou parallèles ».

6/ Les professeurs sont à responsabiliser pour le choix des livres scolaires autres que les livres « officiels ». En effet, pour les livres parascolaires, les livres de l’enseignement privés et les autres livres d’ouvertures, ce sont les professeurs qui sont les mieux placés pour identifier les besoins de leurs élèves, et ce, via des conseils d’enseignement recomposés et redynamisés. Par conséquent, les maisons d’édition doivent être amenées progressivement à intégrer cette nouvelle donne dans leurs offres de livre scolaire, qui devront être adaptées aux besoins identifiés.

La responsabilisation des professeurs doit être accompagnée, en amont, par une politique publique de mise en cohérence des approches didactiques des éditeurs dans le cadre d’une « vision » pédagogique commune en développant le dialogue et les passerelles entre ces éditeurs et les services du MEN.

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