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HCP: Détérioration des salaires moyens réels

L’analyse des données du Compte Satellite de l’Emploi « CSE » présenté pour la première fois par le HCP révèle quatre principaux faits de l’économie nationale :

1- Une réallocation inefficace de l’emploi, et des transitions de la main- d’œuvre entre les secteurs à faible valeur ajoutée et faible productivité.

2- Une lente transformation de l’économie et une dynamique de l’emploi sans effets d’entrainement sur la structure de la valeur ajoutée

3- Des disparités significatives de la productivité,

4- Un secteur industriel désintégré avec des faibles multiplicateurs d’emploi.

Le Compte Satellite de l’Emploi : Une première expérience en Afrique et quatrième au niveau mondial

Nous avons souvent eu l’occasion de mettre l’accent sur le ralentissement tendanciel de la croissance et de la productivité de l’économie nationale, ainsi qu’aux défis du marché du travail caractérisé par l’augmentation continue de l’inactivité et du chômage, et le faible contenu de la croissance en emploi. Dans ce contexte, la disponibilité des données fines, apurées et en relation avec les différents blocs de l’économie est aujourd’hui une exigence.

C’est à cette exigence que répond le Compte Satellite de l’Emploi (CSE) qui met en relation les données relatives à l’emploi et à la production. Réalisé par le Haut-commissariat au Plan, en partenariat avec l’Organisation Internationale du Travail, ce compte fournit une base de données harmonisée et systématique sur la demande du travail mobilisée par les unités de production et un cadre cohérent pour intégrer et présenter les variables du marché du travail en relation avec les données et les agrégats fournis par le cadre central des comptes nationaux. Cette initiative constitue la première expérience en Afrique et la quatrième dans le monde, après les expériences menées en Australie, en Iran et au Danemark.

Le Compte Satellite de l’Emploi permet de mettre les données du recensement, des enquêtes de structure auprès des entreprises, des enquêtes sur l’informel et des registres administratifs, scrutées, confrontées et réconciliées, dans un cadre cohérent et unifié de concepts, de définitions et de nomenclatures.

De ce fait, le Compte Satellite de l’Emploi constitue la passerelle entre l’univers de la production des biens et services, tel que délimité par le dernier Système de la Comptabilité Nationale des Nations-Unies de 2008, et l’univers du travail dont les statistiques sont tenues en respectant les normes de l’Organisation Internationale du Travail.

Faire converger les données sur la production et le travail utilisé pour l’obtenir s’ouvre sur la présentation du marché du travail avec une approche plus élaborée et de nouveaux indicateurs de l’emploi qui portent sur les effectifs en personnes physiques, les effectifs en équivalent temps plein, les durées mobilisées dans le processus de production et les rémunérations perçues par les salariés en contrepartie de leur force de travail. Les données du CSE offrent un détail désagrégé permettant l’analyse de la structure du facteur travail mobilisé par branche d’activité, secteur institutionnel, statut dans la profession, sexe et par catégorie socioprofessionnelle.

Le surplus de l’emploi agricole : Contributeur à l’expansion de l’informel et source de l’emploi précaire

Les résultats du CSE, ne font que refléter l’image de notre structure productive, et mettent en exergue le rôle majeur que joue toujours le secteur de l’agriculture dans la détermination de la croissance et de l’emploi en contribuant à hauteur de 12% à la valeur ajoutée totale tout en employant 39,7% de l’emploi total. L’emploi dans ce secteur, qui ne s’améliore et ne se modernise que très faiblement, reste peu rémunéré et peu qualifié et majoritairement informel en représentant d’ailleurs 97% de l’emploi dans ce secteur.

L’évolution de l’emploi dans le secteur de l’agriculture caractérisée par la réduction continue du nombre de personnes employées qui est devenue de plus en plus récurrente sous fond des conditions climatiques difficiles que connaît notre pays. La libération de ce surplus de main-d’œuvre a été traduite par une prolifération du secteur des services qui représente 41,3% de l’emploi total, et qui restent, en dehors de certaines activités modernes, dominés par les petits métiers dans le commerce et l’artisanat.

De même, il en ressort que le taux de féminisation de l’emploi qui atteint seulement 29,7% au niveau national demeure encore loin de la parité. Ce taux risque de baisser encore avec les mutations de l’emploi agricole. En effet, la faible qualification des femmes actuellement en emploi et la concentration d’une grande partie du travail féminin dans les aides familiales du secteur de l’agriculture augmentent le risque d’inactivité avec la libération du surplus de main-d’œuvre agricole.

C’est ainsi que les résultats du CSE donnent une nouvelle illustration de la précarité de l’emploi féminin qui est sous représenté dans les emplois à forte qualification en termes qualitatif et quantitatif, où la proportion des femmes occupant des postes de cadres et de techniciennes ne dépasse pas 15% de la population féminine occupée, tandis que 71% sont des manœuvres.

Ces réallocations de l’emploi entre secteurs à faible productivité ne favorisent pas une transformation des structures de production de l’économie nationale et contribuent à une stagnation de productivité et à la faiblesse de la croissance économique tout en permettant un environnement favorable au développement d’une sphère informelle qui imprègne l’ensemble des branches d’activité. Cette sphère s’étend sur l’ensemble des activités à travers l’expansion du travail informel qui représente une part de 67,6% de l’emploi total.

La prédominance du travail informel entraîne d’importantes disparités en termes de durée de travail, de rémunération et de productivité. Les employés informels travaillent en moyenne annuelle 145 heures de plus que leurs homologues formels, tout en recevant une rémunération moyenne cinq fois inférieure. De plus, en termes de productivité apparente du travail, celle des employés formels demeure 3,7 fois supérieure à celle des employés informels.

La faible productivité et la pression sur la rémunération du travail

En conséquence de cette distribution de l’emploi et de ces écarts de productivité, la distribution des salaires par secteur devient de plus en plus dispersée. La rémunération moyenne par salarié dans l’agriculture est inférieure de 60% de celle de l’industrie et de 73% de celle des services.

De même, l’évolution des salaires en relation avec la productivité révèle le ralentissement de la croissance de la productivité, qui a évolué de 1,9% entre 2014 et 2019, sans qu’elle soit accompagnée d’une amélioration des salaires moyens réels, qui se sont au contraire détériorés d’environ 0,88%, et qui aura des implications importante sur la demande agrégée, principale moteur de la croissance durant ces vingt dernières années, via la détérioration du pouvoir d’achat et l’importance de la part des revenus salariaux dans le total des revenus des ménages.

Cette évolution différée de la productivité et de salaire est plus marquée dans le secteur primaire, de l’industrie et de transport où la productivité a augmenté de 4,4%, 1,1% et 0,2% respectivement, comparativement à une baisse du salaire moyen réel de 1,7%, 0,5% et 2,1% respectivement. Tandis que dans les quelques services « à forte valeur ajoutée », le salaire moyen et la productivité se sont détériorés, toutefois, avec une baisse plus importante du salaire réel moyen que celle de la productivité.

Transformations structurelles : Le grand défi de la croissance et du progrès social de notre pays

Les disparités significatives de productivité entre les différents secteurs d’activités et l’absence de secteurs moyennement productifs et intensifs en emploi témoignent de l’émergence d’un dualisme économique entravant les gains des réallocations de l’emploi libéré par le secteur agricole vers des emplois mieux rémunérés et plus productifs et limitant, ainsi, la contribution de la mobilité intersectorielle de l’emploi dans l’accélération du processus des transformations structurelles de notre économie et l’amélioration de sa productivité totale.

Cette situation qualifiée de désindustrialisation prématurée remet en question le rôle de l’industrie manufacturière dans la création d’emplois et son rôle de levier d’une croissance soutenable. Les données sur l’emploi du secteur de l’industrie reflètent les symptômes de cette désindustrialisation à travers sa faible part dans l’emploi total s’élevant à 11% et sa part dans la valeur ajoutée de 22%. En outre, la faible intégration des activités manufacturières dans le tissu productif domestique et sa forte dépendance en inputs importés entraînent un affaiblissement de ses liens intersectoriels et en conséquence contribue à la réduction de son intensité en emploi et l’affaiblissement de ses effets multiplicateurs.

Relever le défi de l’emploi au Maroc est plus pressant que jamais. Notre pays bénéficie encore d’une manne démographique considérable concrétisée par l’entrée d’un nombre important de personnes en âge de travailler sur le marché du travail. Cette opportunité, une fois qu’elle est perdue, pourrait se transformer en un fardeau qui pèse lourdement sur les équilibres sociaux si l’on ne parvient pas à accroître la productivité et générer une croissance intensive en emploi. Cela reste tributaire de la réussite des transformations structurelles de l’économie nationale favorables à l’émergence d’une industrie moyennement productive et étroitement intégrée à l’économie domestique, et aussi à la création d’un environnement propice pour l’amélioration de la compétitivité et l’expansion des petites et moyennes entreprises formelles. Cela nous permettra non seulement de réduire la taille de l’économie informelle, mais aussi de valoriser le travail, d’intensifier les qualifications par le Learning by Doing, et de promouvoir une allocation optimale de l’emploi.

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