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France-Algérie, les coulisses d’un conflit diplomatique qui s’envenime

La crise diplomatique entre Paris et Alger repart de plus belle, quinze jours seulement après une accalmie: Emmanuel Macron a décidé mardi d’expulser douze agents consulaires algériens en réponse à une mesure similaire de l’Algérie. Point de départ de cette escalade sans précédent depuis 1962: l’arrestation d’un agent consulaire algérien impliqué dans une affaire d’enlèvement.

Il y a quinze jours, la France et l’Algérie, pays liés par une histoire commune souvent douloureuse, semblaient vouloir tourner la page d’une crise d’une intensité rare qui les a précipités ces derniers mois au bord de la rupture (lire encadré). Une volonté d’apaisement portée notamment par un appel téléphonique entre Emmanuel Macron et son homologue Abdelmadjid Tebboune le 31 mars, suivie de la visite du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot quelques jours plus tard à Alger. 

Mais cette fragile accalmie n’aura pas duré longtemps. Depuis quelques jours, les relations entre Paris et Alger replongent dans une nouvelle zone de turbulences. Illustration de ce regain de crispation: le chef de l’Etat français a décidé de « rappeler pour consultations l’ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet », a annoncé mardi soir l’Elysée dans un communiqué.

Cette décision intervient après que les autorités algériennes ont déclaré dimanche persona non grata douze fonctionnaires français du ministère de l’Intérieur, leur donnant 48 heures pour quitter l’Algérie. En représailles, Paris a décidé de procéder « symétriquement », donc également sous 48 heures, « à l’expulsion de douze agents servant dans le réseau consulaire et diplomatique algérien en France ».

Une crise déclenchée par l’affaire Amir DZ

En toile de fond de cette escalade sans précédent depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962: l’affaire explosive autour d’Amir Boukhors, alias Amir DZ.

Ce célèbre influenceur algérien, réfugié en France depuis 2016, est une figure ouvertement critique à l’encontre du régime d’Alger. Suivi par des millions d’internautes sur TikTok, Youtube et Instagram, il dénonce régulièrement dans ses vidéos la corruption au sein du pouvoir en place, n’hésitant pas à s’en prendre nommément au président Abdelmadjid Tebboune.

Devenu un véritable caillou dans la chaussure du régime, celui qui se dit « journaliste d’investigation » est visé par neuf mandats d’arrêts internationaux émis par Alger. Après le refus de la justice française d’accéder à une demande d’extradition, l’influenceur obtient en 2023 le statut de réfugié politique.

Mais en avril 2024, Amir DZ échappe à une tentative d’enlèvement sur sol français. L’enquête mène, un an plus tard, à l’arrestation de trois suspects, dont un agent consulaire algérien. Tous trois ont été mis en examen vendredi dernier pour « enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le 7e jour, en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs à caractère terroriste« , selon le parquet national antiterroriste français. Ils ont été placés en détention provisoire.

Réaction française « totalement appropriée »

La suite, on la connaît: Alger ordonne l’expulsion des douze fonctionnaires français, provoquant une mesure réciproque de Paris.

Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a qualifié la réaction française de « totalement appropriée », jugeant « inadmissible que la France soit un terrain de jeu pour les services algériens ». Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a averti, lui, que la France « n’aurait d’autre choix que de répondre » si l’Algérie maintenait l’expulsion de ses agents. On n’en connaît toutefois pas encore les modalités.

Retour sur plusieurs mois de brouille

La rupture entre la France et l’Algérie a démarré il y a huit mois, le 24 juillet 2024, lorsque Emmanuel Macron a déclaré que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Cette prise de position a suscité une vive réaction de l’Algérie, car ce territoire est au cœur d’un différend régional important entre le Maroc et l’Algérie.

Le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole sans statut officiel reconnu par l’ONU. Le Maroc considère ce territoire comme faisant historiquement partie de son royaume. De son côté, l’Algérie soutient le Front Polisario, un mouvement indépendantiste qui revendique la souveraineté du Sahara occidental.

La déclaration de Macron a été perçue par Alger comme un alignement clair de la France sur la position marocaine, provoquant un refroidissement des relations. L’Algérie avait d’ailleurs rappelé son ambassadeur à Paris, signe fort de mécontentement.

Incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal

Autre sujet de tension: l’incarcération, mi-novembre 2024, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 80 ans, arrêté par la justice algérienne pour « atteinte à l’unité nationale » après avoir tenu des propos remettant en cause les frontières de l’Algérie et critiquant fortement le régime.

Sa condamnation à cinq ans de prison, en mars dernier, a provoqué une vague d’indignation internationale. Il a fait appel, mais ce cas reste un point sensible dans les relations bilatérales.

Influenceurs algériens accusés de propos haineux envers la France

Un troisième élément expliquant la crispation entre les deux pays concerne plusieurs influenceurs algériens accusés dernièrement d’avoir diffusé en ligne des propos haineux envers la France et incitant à la violence. L’un d’eux, Boualem Naman, alias Douamem, a été expulsé vers l’Algérie, qui l’a immédiatement renvoyé en France début janvier.

Cette réaction a tendu encore davantage les relations. Le ministre algérien des Affaires étrangères a qualifié l’expulsion d' »arbitraire et abusive ». A cela s’ajoute l’attentat de Mulhouse en février 2025, perpétré par un Algérien en situation irrégulière, qui a également ravivé les débats sur la politique d’expulsion et la coopération entre les deux pays. RTSinfo

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