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Bouchard: « On a appris avec la France que la confidentialité, ce n’est pas comme en Amérique »

Le fondateur du groupe Couche-Tard, l’homme d’affaires Alain Bouchard, aurait dû être mieux considéré lorsqu’il a voulu mettre la main sur le géant de la distribution Carrefour. Le gouvernement français et le milieu des affaires ont fait preuve de condescendance à son égard, croit Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de France (Medef).

« Je regrette ce qui s’est passé avec M. Bouchard quand il a voulu acheter Carrefour. […] Je le dis très honnêtement. Il a été mal accueilli alors qu’il cherchait à développer ses affaires. Je pense qu’il aurait été un actionnaire formidable », affirme l’homme d’affaires qui dirige le patronat français depuis 2018.

Reculons à janvier 2021. C’est à ce moment que le hibou québécois tente d’acheter Carrefour et ses 12 300 magasins pour la somme mirobolante de 25 milliards $.

Mais rapidement, il y a de l’eau dans le gaz. En pleine pandémie, l’État français considère Carrefour comme un actif stratégique et il décide de bloquer la transaction.

Dans une tentative de la dernière chance, Alain Bouchard fait même le voyage jusqu’à Paris pour rencontrer le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, afin de le convaincre. Mais celui-ci demeure inflexible. « Ma position, c’est un non courtois, mais clair et définitif », avait affirmé le ministre à l’époque.

L’automne dernier, lors d’une entrevue avec Patrice Roy, Alain Bouchard a dit que le projet avait échoué car la transaction avait fait l’objet d’une fuite.

« On a appris avec la France que la confidentialité, ce n’est pas comme en Amérique, où les règles sont très sévères. Là-bas, tout le monde parle. Et ça a sorti prématurément, très prématurément », avait-il souligné.

Une forme de condescendance?

Or, selon le président du Medef, M. Bouchard a aussi fait l’objet d’une forme de condescendance en raison de ses origines québécoises.

« [L’État français] n’aurait pas dû claquer la porte au nez comme cela. […] Après, je ne connais pas les détails, c’est une affaire avec les actionnaires. Mais ça été fait maladroitement, sur le thème : ce n’est pas un petit entrepreneur québécois qui va être le bon actionnaire pour ce grand distributeur français », se désole M. Roux de Bézieux en entrevue avec Radio-Canada.

Selon lui, le parcours de M. Bouchard aurait dû au contraire enthousiasmer les Français. « Maintenant, l’affaire ne s’est pas faite. C’est quand même dommage qu’on ait un entrepreneur formidable comme cela, qu’on n’ait pas su l’accueillir mieux dans notre pays. »

M. Roux de Bézieux croit que ce malheureux épisode ne devrait pas décourager les entrepreneurs d’ici de s’établir en France.

« Je serais ravi que d’autres entrepreneurs québécois viennent investir en France; ça fait des emplois, ça fait de la richesse et des impôts pour l’État », dit-il.

C’est également ce qu’affirme Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ), en entrevue à Radio-Canada pour la Journée internationale de la Francophonie.

« Tout le marché de la France, mais aussi de la francophonie représente de véritables opportunités afin que les entreprises québécoises puissent rayonner à l’international », dit-il.

« Il y a 325 millions de francophones dans le monde. D’ici une quarantaine d’années, nous serons un milliard, la troisième langue parlée sera le français. Donc pour le Québec, il y a de réelles opportunités de croissance », poursuit M. Blackburn.

Un patronat francophone

Son homologue français, Geoffroy Roux de Bézieux, préside d’ailleurs l’Alliance du patronat francophone. M. Blackburn est trésorier de l’organisation, qui va se réunir à Québec en juin prochain. Le but? Faire des maillages, créer des relations entre les gens d’affaires et entre les pays francophones.

« Ça sera le moment pour les entrepreneurs d’échanger entre eux. Pour que ce qui nous unit, la francophonie, puisse devenir un vecteur de croissance », croit M. Blackburn.

Au total, l’Alliance réunit 28 organisations patronales de pays francophones qui représentent 16 % du produit intérieur brut mondial et 20 % des échanges commerciaux.

« La langue est très importante dans l’économie du futur. C’est très sous-estimé dans la manière dont on voit les échanges économiques. On veut faire rencontrer les patrons. On a des groupes de travail opérationnel, des appels d’offres en langue française, sur le numérique, […] la formation à distance, etc. », explique M. Roux de Bézieux.

Si les marchés européen et africain amènent plusieurs perspectives pour les entrepreneurs d’ici, le Québec est tout aussi alléchant pour les gens d’affaires de l’Hexagone.

« Le Québec, c’est le meilleur des deux mondes. C’est le dynamisme, l’esprit d’entrepreneur qu’il y a sur le continent nord-américain. C’est plus fort qu’en France. […] C’est la porte d’accès naturelle au continent nord-américain », lance le président du Medef

« Les Québécois ont gardé des Anglo-Saxons le « no bullshit » […] Il y a ce côté direct que n’ont pas les Français, on est plus compliqués. C’est très agréable de commercer avec eux », poursuit-il, en riant.

Le français, un défi de tous les jours

Si la francophonie économique est bien vivante, elle demeure toutefois un défi quotidien pour les entrepreneurs du Québec, croit le CPQ

« Il y a toujours une pression supplémentaire pour l’utilisation de la langue anglaise, c’est un enjeu de tous les jours », explique M. Blackburn.

Mais, selon lui, le milieu des affaires comprend l’avantage de parler français, et le dicton « être né pour un petit pain » est beaucoup moins d’actualité depuis quelques années.

« Il faut se décomplexer. On n’a pas la langue de bois et [on peut] prouver à la planète entière que même si on est une entreprise québécoise, une petite goutte d’eau francophone dans un océan anglophone, on est capable de tirer notre épingle du jeu », dit-il.

En France, où les expressions anglaises ont fleuri ces dernières années, on comprend aussi l’importance de garder le français dans les milieux d’affaires, même si cela n’est pas toujours facile.

« On est moins obsédés par le sujet pour une raison très simple : on a moins ce sentiment d’encerclement. Moi, je suis bilingue, mais j’évite l’anglais […] Au sein de l’Europe, même si le Royaume-Uni est parti, quand il y a une réunion avec des Allemands et des Italiens, on échange en anglais, car c’est le dénominateur commun. Mais on peut faire mieux », souligne M. Roux de Bézieux.

Ce dernier salue d’ailleurs l’engagement du premier ministre François Legault à favoriser la francophonie dans les échanges commerciaux, pris lors du dernier Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu à Djerba, en Tunisie.

« J’ai trouvé que c’était la bonne attitude. Plus on aura des échanges, plus on aura d’investissements croisés, plus on parlera la langue. »

« Je sens qu’il a bien saisi que, pour le Québec, la francophonie est un tremplin de croissance économique », conclut M. Blackburn. Source : Radio Canada

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