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FAUT-IL CRAINDRE SUR LA SOLIDITÉ DU DIRHAM ?

Dossier paru dans le numéro 45 de Libre Entreprise Magazine

A l’épreuve d’un contexte international tendu et imprévisible, la peur que notre monnaie perde de sa solidité s’est propagée dans de larges pans de la population. Afin de lever toute ambiguïté, en réponse à ces craintes tout de même légitimes, nous allons montrer à travers un exercice d’analyse  qu’est ce qui fait la solidité du dirham marocain. Le débat est soulevé à un moment historique où l’inflation a franchi le seuil critique des 8,3% en novembre dernier, une première depuis 30 ans, et où le taux directeur retrouve son niveau de fin 2014, soit 2,50%. Deux variables d’une équation complexe, dont Bank Al Maghreb (BAM) devrait encore composer avec durant une année 2023 plus difficile encore. 

Tour de la question

Sa nouvelle orientation de resserrement monétaire fait face à deux enjeux majeurs. « D’une part, les pressions visibles sur la rémunération de l’épargne nationale suite à l’orientation des Taux réels domestiques en territoire négatif depuis le T2-22. D’une autre part, la poursuite de la dépréciation du dirham face au dollar. Ce dernier demeure soutenu par le processus agressif de relèvement des Taux par la Fed », selon Attijari Global Research. Et de souligner que « la poursuite de la dépréciation du dirham amplifierait les pressions inflationnistes à l’échelle nationale en impactant considérablement le pouvoir d’achat des ménages. À noter que la parité USD/MAD a atteint un pic historique de 11,1 en septembre dernier, avant de revenir vers les 10,5 en décembre, soit une dépréciation du dirham de -13,7% depuis le début de l’année. Pour leur part, les spreads de liquidité se maintiennent au plus haut de la bande de fluctuation du dirham à près de 5% ».

Il fallait attendre la semaine du 23/01/2023 au 27/01/2023 pour que la paire USD/MAD se situe à un plus bas de 7 mois. En effet, « la paire USD/MAD est passée de 10,20 à 10,18, soit une baisse de -0,24%. À l’origine, un effet panier de -0,30% en faveur du MAD en lien avec la baisse du dollar à l’international. Les spreads de liquidité sont restés quasi-stables à 2,8% », toujours selon la même source.

La météo économique alterne dépréciations et  appréciations et les pressions sur le dirham se maintiennent, mais cela ne remet aucunement en question la crédibilité du dirham étant donné que la banque centrale approvisionne l’économie en monnaie solide. D’où vient alors cette solidité?

A commencer par les avoirs officiels de réserve chiffrés à 341,7 milliards de dirhams en 2022, ce qui représente en moyenne 5,6 mois de paiements extérieurs courants. Un matelas confortable en réserves de change qui procure à l’économie une résilience extérieure, sachant qu’environ 77% de la dette était libellée en dirhams, limitant, ainsi, les risques de change. Résultat des courses : l’agence de notation Fitch attribue au Maroc un score équivalent à une note de « BB » sur l’échelle IDR à long terme en devises étrangères (LT FC).

Les sources des devises du Maroc ne tarissent pas et ne subissent pas de très fortes pressions, malgré une conjoncture économique mondiale atone. A la clé, les transferts des MRE ont frôlé pour la première fois les 100 milliards de dirhams en 2022, les recettes touristiques ont dépassé les 90 milliards de dirhams, les exportations ont progressé de 41% à près de 590 milliards de dirhams, etc.

Nous sommes donc, jusqu’à présent, loin d’un scénario  de baisse importante des réserves internationales ou de déficits courants persistants entraînant une forte augmentation de la dette extérieure nette/PIB.

Selon les économistes, un risque accru d’instabilité macroéconomique pourrait lui aussi déstabiliser la solidité de la monnaie. Heureusement, nous n’en sommes pas encore à ce stade-là, si bien que nous faisons face à une dette publique élevée (plus 90% du PIB) et à des déficits budgétaires et courants (en moyenne 5%) plus larges par rapport aux pairs. Ce qui conforte la solidité du dirham c’est bel et bien la signature du Maroc reflétée par la confiance et le solide soutien des créanciers officiels et internationaux motivé par un historique de stabilité macroéconomique, qui atténuent les risques de financement. Mais pas que. La stabilité politique et sociale est toujours préservée dans un contexte régional de troubles récurrents.

Cela dit, il ne suffit pas que la monnaie de banque centrale soit solide, les dépôts bancaires doivent l’être tout autant comme le mentionne la littérature économique.

Au Maroc, comme nous le montre l’agrégat de monnaie M3, près de 80 % de la monnaie détenue par les ménages et les entreprises en dirhams sont des dépôts bancaires, et près de 20 % sont des billets de banque, malgré la hausse notable du cash en circulation entre 2022 et 2021.  Voilà encore un signe de sécurité et de confiance dans le système bancaire et monétaire. Et jugez-en par vous-même : avez-vous eu des difficultés à retirer votre épargne bancaire? Avez-vous remarqué une différence anormale dans l’échange des principales devises, sur les deux marchés officiel et parallèle de change? Les investisseurs et spéculateurs vendent-ils des devises sur le marché ? En un mot : nous ne sommes pas dans le scénario turque, encore moins égyptien, caractérisé par la forte dévaluation de leur monnaie. Savez-vous qu’environ 60 % des dépôts turcs sont stockés en monnaie étrangère, sans parler de certaines restrictions sur la convertibilité de la monnaie ?

Passons maintenant à un autre pilier stratégique de la solidité d’une monnaie, à savoir l’indépendance de la banque centrale, qui doit être protégée contre toute influence politique. D’ailleurs, les économistes savent très bien que des déficits budgétaires élevés accroissent la pression sur l’institution d’émission. Est-ce le cas pour BAM ? Pour bien comprendre cette question, il faut tout simplement la contextualiser. Nous avons tous remarqué que BAM a signé pour la première fois, depuis des années, le début d’une série d’interventions structurelles d’achat de bons du Trésor auprès des banques. Rien d’anormal jusqu’à présent, puisque BAM ne fait qu’exercer son droit et ses attributions comme le stipule ses statuts. Elle ne fait que défendre la valeur du dirham, adapter l’offre à la demande dans le but d’éviter des pénuries de liquidités dans le système financier.

En revanche, l’indépendance de BAM susciterait  des inquiétudes à partir du moment où ses interventions seraient motivées uniquement par le financement de l’Etat en vue de résoudre des problèmes structurels par l’émission de monnaie de banque centrale, en recourant à la planche à billets. Libre Entreprise a posé la question à cinq économistes qui suivent de près la politique monétaire du pays. Détails. MM

INFLATION, DÉPRÉCIATION DU DIRHAM, QUELS RÔLES POUR BAM ?

Ces dernières années, l’économie marocaine est fortement affectée par un environnement national et international difficile, marqué par la crise sanitaire (covid19), une inflation galopante, suite à la flambée des cours des matières premières, particulièrement ceux des  produits énergétiques et des céréales, à cause du conflit Ukrainien et par une sécheresse persistante qui dure depuis plus de trois ans. Dans cet environnement fortement hostile, les équilibres macroéconomiques sont fortement touchés. En effet, la situation des finances publiques est impactée par la forte augmentation des dépenses publiques (+8,5% en 2022) à cause de l’augmentation des dépenses de compensation. De ce fait, le déficit budgétaire a atteint 5,2% PIB en 2022. La dette globale du Trésor public a augmenté pour atteindre 71% PIB dont 76,4% de dette interne et 23,6% de dette externe. Par conséquent, les besoins de financement du Trésor public deviennent de plus en plus importants dans un environnement financier national et international fortement risqué et caractérisé par une inflation galopante, une forte fluctuation des monnaies et par l’augmentation des taux d’intérêt.

Cette situation monétaire et financière du pays est devenue une préoccupation des citoyens et fait objet de débats des médias et des citoyens à la recherche des explications aux questions  qui font l’actualité dans tous les pays. Ces grandes questions sont les suivantes : Quels sont les effets de l’augmentation des taux d’intérêt sur les entreprises, sur les ménages et sur les Trésor public ? Est-ce que la dépréciation actuelle du DH peut entraîner son désalignement à moyen terme et quel est le rôle de Bank Al Maghreb (BAM) dans cette situation ? Quel est l’impact de l’intervention de BAM sur le marché monétaire pour soutenir le financement du TP ? Est-ce que ce comportement n’affecte pas l’indépendance de BAM ?

Principaux facteurs explicatifs de la dépréciation du DH

Dans un régime flottant ou flexible (à l’intérieur de la bande de fluctuation déterminée par les autorités monétaires), le taux de change de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies est déterminé par la confrontation de son offre et de sa demande sur le marché de change. Dans ce cas, la banque centrale n’intervient pas directement sur le taux de change.  Mais les décisions financières des acheteurs et des vendeurs de la monnaie nationale sont fortement impactées par la situation socio-économique et financière du pays qui est évaluée  par des indicateurs statistiques des « facteurs fondamentaux ». Comme dans tous les pays, y compris les pays développés, l’environnement national actuel est caractérisé par la dégradation de plusieurs indicateurs macro-économiques, notamment : Inflation élevée ; Dégradation de la situation de la balance commerciale ; Creusement du déficit budgétaire ; Augmentation des besoins de financement du trésor public et risques de sorties sur les marchés internationaux, etc.

Dans un régime flexible, tous ces indicateurs agissent négativement sur la demande de la monnaie nationale ce qui entraîne sa dépréciation par rapport à plusieurs autres monnaies. Inversement, l’augmentation des taux d’intérêt, pour juguler l’aggravation de l’inflation, donne lieu à l’appréciation du taux de change de la monnaie nationale.

Ainsi, dans des situations de crises, le taux de change peut s’écarter de son niveau d’équilibre prévu par des autorités monétaires suite à de fortes pressions sur l’offre et donc dépréciation du taux de change (c’est le cas actuel) ou sur la demande ce qui entraîne l’appréciation de la monnaie.

En effet, la faiblesse des taux d’intérêt, avec des taux réel négatifs, depuis la crise Covid 19, l’augmentation de l’inflation, la dégradation de la situation de la balance commerciale et des finances publics dans plusieurs pays, le cas des pays européens par exemple, ont entraîné une forte dépréciation de l’Euro, notamment par rapport au Dollar américain. Mais l’augmentation des taux d’intérêt depuis quelques mois et l’atténuation de l’inflation dans plusieurs pays commencent à agir positivement sur le taux de change de plusieurs monnaies. C’est le cas de l’Euro qui s’ajuste progressivement par rapport au Dollar américain. Le 30 janvier 2023, par exemple, un Euro s’est échangé contre 1.09, le niveau le plus élevé depuis des mois.

Au Maroc, la dépréciation du DH, qui fait l’objet du débat, n’est pas inquiétante à moyen terme et ne risque pas d’entraîner son désalignement négatif. Ceci s’explique par les principales raisons suivantes.La dépréciation du Dh est due à la détérioration de plusieurs indicateurs fondamentaux. D’abord l’augmentation de l’inflation pour atteindre 6,6% en 2022, niveau record depuis des années. Ensuite, la détérioration de la situation de la balance commerciale à cause du renchérissement des matières premières, notamment les produits énergétiques et les céréales. En dernier lieu, la détérioration de la situation des finances publiques avec un déficit budgétaire de 5,2% en 2022. En plus de tous ces éléments, la dépréciation du Dh s’explique également par la pondération des deux devises constituant le panier de référence ;60% pour l’Euro et 40% pour le Dollar américain. Cette structure assure au Dh une certaine stabilité relative, mais les fluctuations du Dh restent fortement corrélées à l’évolution du Taux de change Euro/Dollar.  La dépréciation actuelle de l’Euro par rapport au Dollar entraîne la dépréciation du Dh. Ainsi, lorsque l’Euro a atteint son niveau le plus faible de 0,9596 Dollar le 28 septembre 2022, le Dh a atteint le pic plancher de  1Dollar=11,0523 Dh . Depuis le début de novembre 2022, l’Euro et le Dh ont commencé à reprendre de la valeur par rapport au Dollar.  Le 30 janvier le taux de change Euro/Dollar =1,08457 et celui Dollar/Dirham = 10,1815.

Le Dirham continue à fluctuer à l’intérieur de la bande déterminée par BAM le 9 Mars 2020. Mais avec une tendance baissière, c’est-à-dire dépréciation depuis le début de janvier 2022 (1Dollar= 9,28439 Dh) en s’approchant progressivement du seuil plancher pour atteindre le pic le 29 septembre 2022 (1Dollar=11,0523) . Depuis cette date le DH a commencé à reprendre de la valeur par rapport au Dollar américain. Le 30 janvier 2023, 1Dollar= 10,1815 DH.

Mais, en cas de dépréciation continue du DH et de risque de sortie de la bande de référence, BAM peut agir en augmentant une autre fois (ou plusieurs) son taux directeur, comme c’était le cas en 2022. Dans ce cas, il faut rappeler que dans un régime flexible, le taux d’intérêt est un facteur déterminant du taux de change et les deux varient dans le même sens. Pour expliquer cette causalité, on utilise généralement la théorie de la parité des taux d’intérêt (PTI) .

BAM peut également intervenir sur le marché de change ( Art 12 de la loi40-17) en utilisant le mécanisme d’adjudication pour alimenter le marché par la liquidité nécessaire et ajuster le taux de change du Dh par rapport aux autres monnaies, notamment le Dollar et l’Euro. Mais dans ce cas, la banque centrale est contrainte d’avoir un stock de devises important. Mais la dégradation de la situation de la balance commerciale et le remboursement de la dette externe entraînent la détérioration de ces avoirs extérieurs.

Pour jouer pleinement son rôle et être efficace, la banque centrale doit être indépendante par rapport aux différents agents économiques, notamment le trésor public dont la gestion budgétaire se fait sous plusieurs contraintes et particulièrement les possibilités de financement en cas de besoins.

Indépendance de la banque centrale

La politique monétaire peut être définie comme un ensemble de mesures prises par les autorités monétaires, notamment la banque centrale pour assurer le financement des agents économiques (via le système bancaire) dans les meilleurs conditions possibles (taux d’intérêt le plus faible possible) tout en sauvegardant la valeur interne et externe de la monnaie nationale.

Le pouvoir libératoire de cette monnaie est fondé sur la valeur ( une monnaie fortement  dépréciée  ne peut pas être acceptée comme moyen de paiement) et sur la confiance dans le système bancaire et principalement la banque centrale. La politique budgétaire peut être considérée (mais tout en tenant compte du rôle socio-économique accordé à l’Etat), comme la principale composante de la politique économique du gouvernement. Théoriquement, ses principaux objectifs sont regroupés dans le Carré Magique de N.Kaldor ; à savoir la croissance, la maîtrise du chômage, de l’inflation et des déséquilibres externes. Les ressources principales de l’Etat sont constituées des recettes fiscales, complétées généralement par la dette (interne et externe). En période de crise, les recettes fiscales baissent, le déficit budgétaire augmente, par conséquent la dette augmente.

 Le risque principal de la dette externe c’est le risque de change lié à la dépréciation de la monnaie nationale. Dans ce cas, la valeur nominale du service de la dette augmente.  Par ailleurs, les interventions massives du Trésor public sur le marché monétaire peut donner lieu à un effet d’éviction ou  peut être à l’origine de l’augmentation de l’inflation dans le pays.

Ainsi, les objectifs de la politique monétaire peuvent être conflictuels avec ceux de politique budgétaire, en cas de creusement du déficit budgétaire et le financement par la création monétaire .C’est pourquoi, plusieurs études ont montré que  pour jouer pleinement son rôle, notamment pour sauvegarder la valeur de la monnaie en maîtrisant l’inflation, la banque centrale doit être indépendante. Mais est ce qu’elle peut garder ce statut d’indépendance en période de crise.

 La banque centrale  a comme principaux objectifs, la maîtrise de l’inflation, la gestion optimale de la politique de change tout en assurant les meilleures conditions pour la relance et le financement de l’économie. Pour atteindre ces objectifs, fortement liés, la banque centrale agit sur l’offre monétaire en utilisant les instruments opérationnels de la politique monétaire, notamment le taux directeurs, la réserve monétaire et les opérations d’intervention sur le marché monétaire. Il faut souligner, qu’en relation avec les banques et le Trésor public, la banque centrale reste le banquier du dernier ressort. Plusieurs études ont montré que pour la crédibilité et l’efficacité de la politique monétaire, la banque centrale doit être indépendante par rapport au gouvernement et sa politique monétaire indépendante par rapport à la politique budgétaire. Aucun ne doit avoir le pouvoir pour interférer avec les choix et les décisions prises par la banque centrale dans le cadre de ses fonctions statutaires ( article 13 de la loi 40-17 de 2019). En effet, l’indépendance de la banque centrale peut avoir plusieurs effets positifs sur l’économie, notamment pour le ciblage de l’inflation ( Barreau  et Gordon 1983  et plusieurs autres). Le problème, c’est que cette indépendance n’est pas absolue mais relative et varie d’un pays à l’autre. Plusieurs travaux de recherches ont essayé de développer des indicateurs quantitatifs pour évaluer le degré de l’indépendance d’une banque centrale donnée (BADE PARKIN 1983, CRILLI-MASCIANDRO et TABILLINI 1991 ,et autre).

Au Maroc, les statuts de BAM (la loi 76-03 de 2006 et la loi 40-17 de 2019) ont donné plus d’indépendance à la banque (l’article 13) et ils ont définis clairement son objectif principale qui est le maintien de la stabilité des prix (article 6), ce qui est différent de la politique de ciblage d’inflation.

 Les thèmes, qui ont fait l’objet de débats ces dernières semaines au Maroc, sont : L’augmentation de l’inflation (6,6% en  2022) ; La dépréciation relative du Dirham par rapport au Dollar ; Le creusement des déficits budgétaires et l’intervention de la banque centrale sur le marché monétaire pour acquérir des bons de Trésor, d’un montant de 25 MM DH, dont la maturité est de 6 mois, avec le taux d’intérêt de refinancement des banques par la banques centrale.

Suite à cette situation, deux questions se posent : D’abord est ce qu’une banque indépendante doit financer le déficit du Trésor public ? Cette facilité ne risque-t-elle pas d’encourager les responsables du budget de ne pas faire attention à la gestion des dépenses publiques ? Ensuite, cette injection de la liquidité par la banque centrale sur le marché monétaire ne risque-t-elle pas d’aggraver l’inflation et la dépréciation du Dirham ?

 Selon l’article 69 de des  statuts, BAM ne peut acquérir directement des titres de créances émis par le Trésor public. Mais, en cas de besoin et selon la situation du marché monétaire, elle est autorisée à lui accorder des concours financiers sous forme de facilité de caisse. Celle-ci est plafonnée à 5% des recettes fiscales de l’année écoulée. La maturité est fixée à 120 jours de la même année budgétaire, avec une rémunération égale au taux d’intérêt appliqué pour le refinancement des banques. Cette facilité peut être suspendue lorsque BAM estime que la situation du marché monétaire le justifie.

Par ailleurs, l’article 66 de la même loi autorise BAM à intervenir sur le marché monétaire pour des opérations d’achat ou de vente de titres publics. C’est dans le cadre de cet article, pour faire face à la faiblesse à la demande des titres du Trésor public sur le marché que BAM a lancé son programme pour y injecter de la liquidité en achetant des titres du Trésor public. Il faut rappeler que le financement par le marché monétaire et par le marché financier ne donne pas lieu à une création monétaire. Par conséquent, cette opération de BAM n’aura d’effet négatif ni sur l’inflation ni sur le taux de change de la monnaie nationale, puisque le financement par les marchés de capitaux se fait par la monnaie existante.

En plus, cette opération ne se fait pas dans le cadre d’une QE, c’est le contraire que nous avons actuellement. Elle peut être considérée comme une opération de monétisation des titres publics comme c’était le cas pour la FED et pour la BCE lors de la crise sanitaire (Covid 19) et la crise de 2008. La conjoncture actuelle est très difficile et imprévisible. Mais avec l’apparition d’une certaine stabilité relative des prix, la baisse de la demande dans plusieurs pays et une meilleure pluviométrie, l’inflation sera maîtrisée et l’Euro reprendra son niveau par rapport au Dollar Américain. Toutes ces prévisions auront des effets positifs sur l’économie marocaine. Elles pourront entraîner la désinflation et l’appréciation du Dirham.  En attendant, pour conforter sa crédibilité et son indépendance, BAM doit être transparente en communiquant plus sur les orientations prévues de sa politique monétaire. Pour le public, elle doit être pédagogue pour bien expliquer les orientations de sa stratégie. 

« LES INTERVENTIONS DE BAM CONSISTANT À AUGMENTER LE TAUX DIRECTEUR ONT ÉTÉ JUGÉES POSITIVES »

Bank Al-Maghrib intervient  sur le marché secondaire en  organisant des opérations structurelles d’achat de bons du Trésor auprès des banques. Quelle lecture en faites-vous ?

Il faut rappeler que l’intervention de Bank Al-Maghrib sur le marché secondaire s’inscrit dans le cadre du dispositif opérationnel de la politique monétaire, et ce en vertu de la loi 40-17 portant statut de Bank Al-Maghrib, de la lettre circulaire et de la décision du Wali de Bank Al-Maghrib relatives aux instruments de la politique monétaire. Il s’agit d’opérations structurelles visant à gérer les situations à caractère durable d’insuffisance ou d’excès de liquidités. Ces opérations peuvent prendre la forme d’achats de titres du trésor sur le marché secondaire. Notons que l’annonce du recours à cet instrument de la politique a été faite directement après la réunion du Conseil de la Banque Centrale le 20 décembre 2022.

Selon les responsables de Bank Al-Maghrib, cette intervention sur le marché secondaire a été dictée par les conséquences directes du changement d’orientation de la politique monétaire via le relèvement du taux directeur en vue de juguler l’inflation au Maroc. En effet, le relèvement du taux directeur à deux reprises (le 27 septembre 2022 puis le 20 décembre 2022) a produit automatiquement un impact négatif sur la performance du portefeuille des titres de trésor détenu par les banques. Notons que lorsque les taux d’intérêt augmentent, les nouveaux bons de trésor sont émis avec des coupons supérieurs à ceux des anciens titres publics. Ces derniers voient leur valeur chuter car leurs détenteurs les présentent  pour acquérir d’autres présentant un meilleur rendement. Il en a résulté une baisse de la demande des titres publics sur le marché primaire des adjudications des bons du trésor. La Banque Centrale au Maroc s’est trouvée dans l’obligation de recourir à cet instrument de politique monétaire pour « ramener la demande » sur le marché des adjudications des bons du trésor, et donc répondre aux besoins de financement de l’Etat.

Précisons que les bons du trésor par adjudication représentent des titres de créance négociables émis par le trésor dans le cadre de séances d’adjudication périodiques. Ces titres concernent des maturités standards de court terme (13, 26 et 52 semaines), de moyen terme (2 et 5 ans) et de long terme (10,15 et 30 ans). Il existe également des maturités inférieures à 13 semaines, soit 32 jours et 45 jours. Il faut souligner que les taux moyens pondérés (TMP) des émissions du trésor par maturités standards ont connu une nette augmentation depuis le premier relèvement du taux directeur. A titre d’exemple, et durant la période allant de septembre 2022 à décembre 2022, les TMP des bons du trésor à 13 semaines sont passés de 1,859% à 2,696% et ceux des bons du trésor à 26 semaines de 2,022% à 3,069%.

Le programme de rachat de bons du trésor sur le marché secondaire opéré par Bank Al-Maghrib a concerné les maturités de court terme et a été plafonné à 25 milliards de dirhams (trois opérations d’achat ont été organisées le 9, le 16 et le 23 janvier 2023 et ont porté respectivement sur 15 milliards de dirhams, 1,2 milliards de dirhams et 200 millions de dirhams ; une quatrième opération sera en principe organisée le 30 janvier 2023). Selon les responsables de Bank Al-Maghrib, ce programme ne va pas impacter le montant global de liquidités injectées dans le système bancaire, système qui souffre d’un besoin structurel en liquidités en raison d’une conjoncture économique défavorable. En effet, suite à cette action, les avances  à sept jours de Bank Al-Maghrib, qui représentent un autre instrument d’injection de liquidités, ont baissé de 14 milliards de dirhams, soit presque l’équivalent des injections sur le marché secondaire par le rachat de bons du trésor. Les banques se sont engagées à réinjecter les montants qui correspondent aux opérations de rachat sur le marché des adjudications ce qui garantit un retour de la demande sur le marché primaire.

L’intervention de BAM et le risque de voir se prolonger dans le temps une croissance faible et une inflation forte sont-ils des signaux précurseurs de dépréciation monétaire ou bien notre dirham est assez solide ?

Au Maroc et selon les prévisions disponibles, il ressort qu’en 2023 et 2024, l’inflation va persister et affichera des taux avoisinant sinon dépassant 4%, niveaux largement supérieurs aux moyennes constatées durant les trois dernières décennies. Cette inflation a pour effet direct la dépréciation du pouvoir d’achat, dépréciation préjudiciable à la promotion de la demande globale. D’autre part, la croissance économique au Maroc restera morose et gravitera autour de 3% environ, soit un niveau largement inférieur par rapport à l’hypothèse de base de la loi de Finances 2023.

Malgré ces facteurs qui sont susceptibles de perturber la bonne marche de l’économie nationale, il existe d’autres indicateurs rassurants quant à l’évolution favorable du taux de change du dirham. D’abord, la stabilité relative du taux de change de la monnaie nationale par rapport à l’euro et au dollar, vu que sa variation reste contenue  dans la bande de fluctuation retenue soit plus ou moins 5%. Ensuite, le niveau confortable des avoirs officiels de réserve qui sont estimés à plus de 341 milliards de dirhams en 2022 et connaîtront une évolution favorable en 2023 et 2024, soit respectivement 362,9 milliards de dirhams et 371 milliards de dirhams c’est-à-dire l’équivalent de presque six mois d’importations. Enfin, le raffermissement des transferts des MRE qui devraient avoisiner les 106 milliards de dirhams en 2022. Ces transferts viennent renforcer les avoirs officiels de réserve et par conséquent la résilience de l’économie nationale aux chocs externes.

Les interventions de la Banque Centrale consistant à augmenter le taux directeur ont été jugées positives non seulement pour inscrire l’économie nationale sur la voie de la stabilité macroéconomique, mais également pour éviter tout dérapage pouvant causer la dépréciation de la monnaie nationale. Jusqu’à présent, toutes choses étant égales par ailleurs, l’économie marocaine bénéficie de la confiance des opérateurs internationaux en raison des efforts consentis en vue de diversifier les sources de financement et d’accéder aux marchés financiers internationaux. Il est unanimement admis que la stabilité de la valeur du dirham dépend étroitement de l’efficacité des politiques économiques mises en œuvre. Les résultats seront d’autant plus probants que les autorités publiques réussiront à maîtriser l’inflation et à contenir le déficit budgétaire et la dette publique et surtout à rétrécir les déséquilibres extérieurs à travers la promotion de  la compétitivité et de l’attractivité de l’économie nationale.

« L’HYPOTHÈSE D’UNE ÉVENTUELLE SYNCHRONISATION ENTRE LES AUTORITÉS MONÉTAIRES ET LE TRÉSOR N’EST PAS À ÉCARTER »

Un dirham solide veut dire aussi des dépôts bancaires solides. A partir de quel niveau, chiffres à l’appui, la baisse des dépôts bancaires deviendrait-elle une source sérieuse d’inquiétudes?

En distinguant entre les dépôts rémunérés et non rémunérés, force est de constater que la croissance tendancielle des dépôts rémunérés est à son plus bas niveau, alors que celle des dépôts non rémunérés est en relative accélération.

En effet, la croissance, en glissement annuel, des comptes à terme et bons de caisse a enregistré, fin septembre 2022, un taux  négatif de -13,55%. Il s’agit d’un creux sans précédent dans l’histoire des séries monétaires, dont la publication des premiers chiffres remonte à janvier 1985. De plus, ce creux est loin d’être une valeur aberrante puisqu’il rime avec une croissance tendancielle négative aux alentours de -6%. Ce qui explique la diminution du poids relatif de l’encours des dépôts à terme dans le bilan des banques, clôturant l’année 2022 à 8% du total du passif, après s’être affiché à 22% fin 2002.

Quant à l’encours des comptes sur carnet, dont le montant rapporté au total des ressources financières des banques, oscille autour de 10% depuis 20 ans, il accuse des baisses successives de son taux de croissance, en glissement annuel, passant de 8,31 % fin 2002 à 2,89% en novembre 2022. Ce qui s’est traduit par un ralentissement de leur croissance tendancielle qui avoisine 2,50%.

S’agissant des comptes à vue, ils affichent une croissance tendancielle d’environ 7% et se placent à la tête des dépôts collectés par les banques, occupant pas moins de 43% du total de leur passif en novembre 2022.

Tout compte fait, l’évolution de l’encours des dépôts bancaires élastiques aux changements des taux d’intérêt, en l’occurrence les dépôts à terme, les bons de caisse et les dépôts sur livret, semble miroiter la diminution de la rémunération y afférente.

Cela dit, il ne s’agit nullement d’une ruée sur les dépôts bancaires. Certes, on pourrait soupçonner qu’il s’agit d’une préférence avérée pour la liquidité chez les épargnants, rimant avec une croissance accrue de la circulation fiduciaire. Sauf qu’il convient de nuancer ces propos en se penchant sur les indicateurs de solidité financière du secteur bancaire marocain. Dans cette perspective, le ratio des actifs liquides de haute qualité rapportés aux sorties nettes de trésorerie sur 30 jours, dépasse les 100% et se situe à un niveau largement supérieur au minimum requis par les normes prudentielles.

De même, le ratio des dépôts rapportés aux crédits, qui sert à détecter un stress de liquidité et à prévenir une crise de confiance dans la viabilité du système bancaire, s’est établi à 104,9 % en 2022, indiquant que les dépôts couvrent suffisamment les crédits.

Le différentiel entre le taux directeur et celui de l’inflation ressort négatif. Quels impacts sur la valeur du dirham et partant sur l’économie nationale ?

En effet, le taux directeur réel est passé en territoire négatif, et ce, parallèlement au désencrage des anticipations d’inflation. Il va sans dire que le taux d’intérêt réel n’est autre que le taux d’intérêt nominal sans risque, en l’occurrence, le taux directeur de la banque centrale, ajusté au taux anticipé de l’inflation future. Lequel taux est estimé par les experts du secteur financier à 4,8% sur l’horizon des huit prochains trimestres, alors que Bank Al-Maghrib table sur une prévision moyenne de 4,5% sur le même horizon. En soustrayant le taux d’inflation anticipé du taux directeur nominal, porté à 2,5% à l’issue du dernier conseil de la banque centrale, la valeur du taux directeur réel se réduirait à -2,3%.

Le réajustement du taux directeur réel vers une valeur positive devrait se faire dans un délai qui s’étend sur le moyen terme et qui soit pris en compte dans l’implémentation de la politique monétaire. Il n’en demeure pas moins que ce délai serait aussi le temps de déséquilibres, tant internes qu’externes, en résonnance avec la conjoncture nationale et internationale.

Du côté des conditions monétaires domestiques, la question sur l’impact de la baisse du taux directeur réel ne peut être dissociée du repli des dépôts bancaires soulevé dans la question précédente. Encore faut-il rappeler que le taux directeur est à la fois un coût marginal et un coût d’opportunité que les banques miroitent sur les intérêts débiteurs et, en particulier, les intérêts créditeurs. Ces derniers, exprimés en termes réels, ne cessent donc de rétrécir, pénalisant ainsi la rémunération des dépôts et réduisant l’attractivité de cette forme d’épargne financière. Une telle situation peut entrainer une réallocation du portefeuille des épargnants et investisseurs, avec un penchant plus prononcé vers l’immobilier. Comme elle peut virer, à plus grande échelle, vers un effet de substitution inter-temporel, sous forme d’une baisse de l’épargne domestique et une hausse conséquente de la consommation. Les pressions de la demande qui en résulteraient sont à même de maintenir l’inflation à des taux d’ores et déjà élevés et de réduire encore plus les taux créditeurs réels.

Par ailleurs, et du point de vue des équilibres externes, le régime de change actuellement en vigueur et les restrictions sur la mobilité des capitaux permettent, conjointement, d’atténuer la dépréciation du Dirham issue du différentiel de taux avec la zone Euro et les États-Unis. Toutefois, les projections du différentiel d’inflation entre le Maroc et ses partenaires commerciaux, combiné à l’atténuation prévue du différentiel de taux, devraient impliquer un ajustement conséquent du taux de change réel.

Dans ce sillage, le Fond Monétaire International prévoit un taux d’inflation moyen de 6,8% dans la zone Euro et de 3,5% aux États-Unis au titre de l’année 2023. De ce fait, le taux d’inflation prévu chez nos partenaires commerciaux, étant la moyenne des deux taux pondérés respectivement à 60% et 40%, serait de 5,48%. Sachant que les projections de Bank Al-Maghrib supposent que l’inflation au Maroc devrait s’établir à 3,9% en 2023, le différentiel d’inflation serait donc positif et devrait ressortir à 1,58%. Compte tenu d’une appréciation nominale estimée à 2%, en lien notamment avec le ressèment monétaire entamé au Maroc et l’évolution future de la parité Euro-Dollar, il est possible d’en déduire que le taux de change réel devrait s’apprécier de 0,42 % en 2023.

Conjuguée à la dégradation des perspectives de croissance des partenaires commerciaux du Maroc, cette appréciation en termes réels du taux de change pourrait, sous certaines conditions, déprimer la composante extérieure de la demande agrégée et saurait se miroiter sur la balance des biens et services du compte courant.

Le fait est que le différentiel de taux, réduit par des hausses successives du taux directeur, serait en mesure de compenser le différentiel d’inflation. Le malheur est que l’effet dépressif du premier pourrait neutraliser l’effet bénéfique du deuxième.

Cela étant, je pense qu’il convient de consolider le différentiel d’inflation, abstraction faite des variations du taux directeur et des fluctuations du taux de change nominal. Toutes choses égales par ailleurs, ramener l’inflation future anticipée à un taux de 3% revient à enclencher une légère dépréciation réelle du taux de change et qui ne dépasse pas 0,48%. Dans cet ordre d’idées, je pense également que l’ancrage des anticipations d’inflation est le moyen le plus efficace et le moins couteux pour y arriver. J’estime que Bank Al-Maghrib devrait, dans le très court terme, fixer et communiquer une valeur numérique du taux d’inflation qu’elle juge optimal et soutenable à long terme. Cette valeur numérique fait foi de cible de la politique monétaire et servirait, idéalement, comme point d’ancrage aux anticipations. Dès lors, les agents financiers et non financiers sauraient en tenir compte dans le processus de formation des anticipations d’inflation. Quoique que le poids accordé à cette cible dépend essentiellement de la crédibilité de la politique monétaire. En somme, l’inertie et la persistance de l’inflation actuellement observées au Maroc peuvent mieux être contournées par un ancrage des anticipations d’inflation, plutôt que par des hausses probablement stagflationnistes du taux directeur.

L’intervention structurelle de BAM d’achat de bons du Trésor auprès des banques est-elle motivée par le financement de l’État ?

À première vue, l’intervention de Bank Al-Maghrib sur le marché secondaire des bons du Trésor, dans l’état actuel des choses, semble paradoxale et prête à confusion. Qu’une banque centrale renchérisse le coût du refinancement des banques commerciales, augmentant ainsi les taux d’intérêt sur le marché monétaire, cela relève du durcissement monétaire dont l’objectif est d’éponger la liquidité et de resserrer les conditions monétaires. Qu’en même temps, cette même banque centrale procède à des opérations d’injection de liquidité sur le marché des titres de créances négociables, et singulièrement le marché obligataire des bons du Trésor, cela semble contrarié ou, à tout le moins, contrariant.

D’après le discours tenu par les responsables de Bank Al-Maghrib à l’occasion d’une sortie médiatique au sujet de ces opérations, l’objectif en est d’alléger le poids de la contrainte bilancielle qui pèse sur les banques et il ne s’agit en aucun cas de financer le Trésor. Toutefois, la réaction du marché obligataire à ces opérations soutient une toute autre lecture.

En tout état de cause, trois remarques sont à soulever quant à ces interventions.  D’abord, les achats de bons du Trésor effectués par Bank Al-Maghrib ont tous porté sur des maturités courtes. Ensuite, chacune de ces opérations d’achats sur le marché secondaire s’est tenue à la veille de l’émission de nouveaux bons du Trésor sur le marché primaire. Enfin, la courbe des taux souverains tend à se pontifier davantage suite à chacune de ces interventions.

Rappelons à cet égard que la propension des investisseurs à se positionner sur les maturités courtes, ainsi que la réticence du Trésor quant aux émissions des maturités longues, s’étaient soldées par un aplatissement de la courbe des taux souverains. Ces derniers ont également subi la pression du resserrement monétaire entamé par Bank Al-Maghrib et qui s’était immédiatement traduite par une hausse des taux de rendements exigés par les investisseurs. Tout ceci sans omettre la hausse de la prime de risque, liée au déficit budgétaire et aux coûts d’opportunités occasionnés par le financement dit innovant.

Dans ces données, l’hypothèse d’une éventuelle synchronisation, du moins tacite, entre les autorités monétaires et le Trésor n’est pas à écarter. Qui de plus est légitime et louable si l’intention initiale est d’apaiser les pressions haussières sur les taux souverains et de liquéfier les actifs échangés sur le marché obligataire.

Mais de là à supposer que l’objectif de l’intervention de Bank Al-Maghrib sur le marché des bons du Trésor était de renflouer les caisses de l’État par un processus de création monétaire, ce serait trop dire.

« BAM A UNE CERTAINE INDÉPENDANCE INSTITUTIONNELLE« 

La théorie de l’indépendance de la Banque Centrale (BC) est née de la crise de stagflation des années 1970. Auparavant, la BC devait être là au service du Trésor pour financer par le biais de la planche à billets le déficit budgétaire qui devait être systématique afin d’augmenter la demande effective et donc de résorber le chômage. A l’époque, l’inflation ne pouvait se produire qu’en situation de plein emploi. Avec la simultanéité de l’inflation et du chômage entre 1975 et 1990 (environ), l’arbitrage entre la lutte contre le chômage et l’inflation, comme héritage keynésien et de la courbe de Phillips intégrée au modèle néokeynésien (IS-LM) de l’époque, la théorie qui consiste à penser séparément à la lutte contre l’inflation et la lutte contre le chômage. C’est la BC qui doit lutter exclusivement contre l’inflation par ses moyens exclusivement monétaires. Et il appartient au Budget de l’Etat de lutter contre le chômage en stimulant la croissance économique par le moyen de l’investissement devant être financé par l’épargne publique et éventuellement par l’emprunt, mais jamais par des avances de la BC. Celle-ci doit donc être indépendante du gouvernement pour ne pas avoir à utiliser la monnaie à des fins de politique économique suivant le cycle électoral. Tout ceci est valable pour les pays industriels démocratiques au lendemain de la stagflation du vingtième siècle. Durant la crise de 2007-2008 et surtout durant la crise de covid, les BC des pays développés ne s’étaient pas conformés à cette théorie d’indépendance de la BC et de l’interdiction de la planche à billets.

Qu’en est-il chez nous ? La BC a une certaine indépendance institutionnelle par rapport au gouvernement dans la mesure où son gouverneur est nommé par le Roi et non par le gouvernement. Mais, la BC fait partie de l’Etat et ne peut pas être indifférente aux besoins de l’Etat de faire face à ses obligations de réaliser une croissance harmonieuse (sans inflation et sans chômage). Il faut, d’ailleurs, remarquer qu’une partie du chômage au Maroc est tout à fait structurelle et que la politique budgétaire ou monétaire sont incapables à elles seules de la résorber.

Qu’a fait BAM face à la nouvelle situation créée pour l’essentiel par la guerre de Russie en Ukraine?

La BC a élevé le taux d’intérêt directeur. Cela est, à mon avis personnel, une erreur. L’inflation chez nous n’est pas le produit d’une surchauffe de l’économie nationale (il n’y a pas eu trop de crédits et de création monétaire comme cause de l’inflation). Cette réaction de la BC risque de freiner davantage l’activité économique et d’aggraver le chômage. Le seul intérêt de cette élévation du taux d’intérêt est d’envoyer un signal aux producteurs pour les inciter à modérer les hausses de prix et probablement aux institutions monétaires internationales. L’inflation importée sera jugulée lorsque ses causes disparaîtront sur le plan international.

Nous arrivons à la dernière mesure concernant le rachat des bons du Trésor par BAM. Il s’agit d’aider indirectement le Trésor. Ce faisant, la BC injecte dans le système bancaire de l’argent frais. Que vont faire les banques commerciales de cet argent frais, elles vont acheter de nouveaux bons du Trésor pour permettre à celui-ci de financer son déficit. Il y aura donc création monétaire pour financer le déficit budgétaire. Le problème est que ce déficit budgétaire est en partie né d’une épargne publique négative. La BC finance, ainsi, indirectement une partie des dépenses ordinaires du Budget Général et une partie des investissements publics.

Cette politique de la BC décourage objectivement l’investissement privé et finance l’investissement public. Il s’agit d’une politique d’éviction du secteur privé à l’opposé du libéralisme longtemps prôné par les institutions financières internationales.

Avec cette nouvelle politique, à mon sens, nous ne risquons pas davantage d’inflation. Cette dernière n’est pas le résultat de mécanismes économiques intérieurs. Nous risquons de nous installer définitivement dans une faible croissance économique et un secteur privé en perte de vitesse.

Pour la dépréciation de la monnaie, c’est le différentiel d’inflation entre le Maroc et nos partenaires économiques qu’il faut surveiller. Pour le moment, ce différentiel est assez favorable au Maroc.

« L’OPÉRATION DE BAM N’AURA PAS D’IMPACT SUR LA VALEUR DU DIRHAM« 

L’intervention structurelle de BAM d’achat de bons du Trésor auprès des banques et le risque de voir se prolonger dans le temps une croissance faible et une inflation forte sont-ils des signaux précurseurs de dépréciation monétaire ou bien notre dirham est assez solide ?

Après avoir relevé le taux directeur de 50 points de base, pour le porter à 2.5% en mois de décembre 2022, Bank Al Maghrib a recouru en mois de janvier 2023 à un autre instrument de la politique monétaire à savoir l’open Market. En intervenant sur le marché secondaire, elle a racheté des bons de trésor de court terme d’un montant de 16,3 milliards de dirhams. Cette opération structurelle n’a pas pour objectif d’impacter le niveau des prix mais d’améliorer la liquidité sur le marché des bons de trésor et de rétablir la demande sur ces titres obligataires.

L’opération menée par Bank Al Maghrib ne pourra pas augmenter ni diminuerl’inflation car le montant des 16,3 milliards de dirhams injecté pour le rachat des bons de trésor sur le marché secondaire a été compensé par la baisse des avances à 7 jours de 13 milliards de dirhams. Par conséquent, cette opération n’aura pas d’impact sur la valeur du dirham.

La hausse des prix des matières premières sur le marché international ainsi que l’augmentation des taux d’intérêt par la banque centrale européenne et par la réserve fédéral américaine sont à l’origine de la dépréciation du dirham marocain.

La décision prise par Bank Al Maghrib concernant l’augmentation du taux d’intérêt va entraîner un renchérissement du prix de l’emprunt et par conséquent une appréciation du dirham. Elle va également engendrer à court et à moyen terme une diminution de la demande et une baisse des anticipations de l’inflation et par conséquent un ralentissement de l’inflation.

Par ailleurs, vu la nature du régime de change au Maroc qui est un régime intermédiaire de parité fixe, Bank Al Maghrib pourrait utiliser l’instrument des réserves de change pour soutenir la valeur de la monnaie en cas d’une forte dépréciation à travers les opération d’achat du dirham contre les devises sur le marché de change. Cet instrument n’a pas été utilisé par la BAM depuis décembre 2021.

La poursuite d’une politique monétaire restrictive par BAM ainsi que le niveau des réserves de change, équivalant à environ six mois d’importations, vont permettre au Maroc de lutter contre l’inflation et de préserver la valeur du dirham.

Le différentiel entre le taux directeur et celui de l’inflation ressort négatif. Quels impacts sur la valeur du dirham et partant sur l’économie nationale ?

Le taux d’intérêt réel est égal à la différence entre le taux nominal et l’inflation anticipé. Si par exemple le taux d’intérêt nominal est de 4% et les anticipations de l’inflation sont ancrées autour de 3%, alors le taux d’intérêt réel est égal à 1%. Ce taux joue un rôle très important dans les décisions de consommation, de l’épargne et de l’investissement.

L’investisseur, quand il décide de placer son argent, il s’attend à ce que son placement lui rapporte des intérêts au moins équivalents à l’inflation.  Autrement dit, il cherche à ce que le rendement de son investissement soit au moins égal à l’inflation. Aujourd’hui, l’augmentation du taux d’inflation par rapport aux taux d’intérêt nominaux rend les taux d’intérêt réels négatifs dans de nombreux pays.

Un taux d’intérêt réel négatif incite les agents économiques à emprunter plus et à augmenter leurs dépenses de consommation et d’investissement et par conséquent à relancer l’activité économique. Par ailleurs, il rend les placements moins attractifs, ce qui conduit à une dépréciation de la monnaie et à une augmentation de l’inflation. C’est le cas par exemple de la Turquie, l’écart négatif entre le taux d’intérêt nominal et l’inflation a entraîné une chute de la livre turque.

Aujourd’hui au Maroc, même si le différentiel entre le taux directeur et celui de l’inflation est négatif, on ne pourra pas dire qu’il va impacter la valeur du dirham et le niveau de l’activité. La politique monétaire menée par la banque centrale visant à lutter contre l’inflation, la baisse prévue des prix de l’énergie et des matières premières ainsi que le niveau de l’inflation chez nos partenaires commerciaux pourrait soutenir la valeur di dirham et conduire même à son appréciation.

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