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Entrepreneur individuel au Maroc: Pourquoi pas l’insaisissabilité du patrimoine personnel ?

  • Meryem AMIMI
  • Professeur en droit et chercheur

« Il faut mentionner que l’auto – entrepreneur peut bénéficier de l’insaisissabilité automatique de sa résidence principale. Au contraire, l’entrepreneur individuel ne profite pas des dispositions de la loi n°114-13) »

L’entreprise individuelle se confond avec son entrepreneur. Cet attachement de l’homme et l’entreprise peut être une source polémique de la conception dite classique du patrimoine, telle que développée dans la seconde moitié du XIXe siècle par deux auteurs, Aubry et Rau, inspirés du juriste allemand ZACHARIAE.

 Selon ces deux auteurs : « tout patrimoine suppose à sa tête une personne ; toute personne a nécessairement un patrimoine ; toute personne n’a qu’un patrimoine ».

Il s’agit bien évidemment de la théorie de l’unicité du patrimoine posé par (l’article 1241 du DOC), « dogme » de la culture juridique française qui en demeure donc le principe en droit marocain, sans révolutions et sans améliorations.

Si ce statut de l’entrepreneur individuel reste à ce jour le mode d’exercice privilégié des petits patrons (Commerçants et Artisans). Les avantages que présente ce régime-là, ne doivent cependant pas faire oublier les revers de cette liberté totale, à savoir la responsabilité illimitée, personnelle et indéfinie.

En l’absence de moyens spécifiques relatifs à la protection de son patrimoine personnel, le futur créateur désireux d’exercer une activité à titre individuel, aura recours aux palliatifs de l’une des formes de sociétés unipersonnelles (SARLAU – SASU) ou le statut de l’auto – entrepreneur.

Par ailleurs , le législateur français ayant pris le pouls de la situation , a tôt fait d’y consacrer des solutions permettant à l’entrepreneur individuel de limiter sa responsabilité : « De l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) à la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), en passant ensuite à la déclaration d’insaisissabilité vers l’affectation du patrimoine par la fiducie  et l’EIRL , pour arriver au tremblement de terre provoqué par la naissance du statut unique de l’entrepreneur individuel ; la réforme de l’année  de 2022 ,  donnée comme un cadeau de Saint – Valentine pour tous les entrepreneurs français qui agissent en solo appelées souvent les indépendants  » .

Ce sont des procédés qui doivent être reconsidérés par le système juridique marocain dans l’optique de protection, à tout le moins, optimale du patrimoine des entrepreneurs individuels qui demandent le secours surtout en ces périodes des crises de la pandémie du COVID-19 et  la guerre russo-ukrainienne. La situation est-elle pour autant désespérée ?

Pour répondre à cette question, on peut dire que si la situation est grave, elle n’est pas pour autant désespérée. Il suffit juste d’une intervention rapide pour chercher, s’inspirer et adopter des mécanismes tendant à déclarer l’insaisissabilité du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel marocain.

Pour la création d’un nouveau statut unique, protecteur de l’entrepreneur individuel :

Il est, cependant, regrettable que la législation marocaine ne soit pas précise sur ce point de « la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ». Malheureusement, il n’en découle d’aucun texte de loi qui régit uniquement ce statut. Contrairement aux sociétés de personnes et de capitaux qui sont bien encadrées.

A cet effet, nous estimons qu’une modification du code de commerce marocain s’impose, afin d’insérer tout un chapitre relatif à la protection de l’entrepreneur individuel pour limiter les risques qui pourraient entraver leurs activités en cours. Il est désormais obligatoire, que notre législateur marocain prenne en considération le tissu entrepreneurial de notre pays, de dépasser les instruments juridiques français comme ceux de : (la fiducie, la déclaration d’insaisissabilité, l’EIRL) et d’opter pour une approche juridique plus novatrice, en passant directement à la création d’un statut unique de l’entrepreneur individuel. En s’inspirant de l’expérience française mais en respectant la réalité des entreprises individuelles marocaines. C’est l’heure de déclencher le clignotant et de présenter des solutions concrètes permettant ainsi de dissocier (Patrimoine – Personne) et (Entreprise – Homme).

 La séparation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel :

Le patrimoine de l’entrepreneur individuel devra être scindé entre patrimoine personnel et patrimoine professionnel.

Et c’est au législateur marocain de préciser une liste exhaustive portant sur les éléments utiles à son activité ou ses activités professionnelles comme les marchandises, le matériel et l’outillage etc., et ceux des éléments non compris dans le patrimoine professionnel constituant son patrimoine personnel comme la résidence principale…

Le principe : Seul le patrimoine professionnel sera engagé, dont les créanciers ne peuvent saisir que les éléments du patrimoine professionnel.

L’exception : l’entrepreneur individuel marocain pourra solliciter un notaire et renoncer par écrit à la séparation de ces deux patrimoines à la demande de l’un de ses créanciers (banque, fournisseurs…).

Pour clore ce constat sur une note moins pessimiste, la création d’un statut protecteur pour l’entrepreneur individuel marocain correspond à un besoin de la société et le législateur se doit d’y répondre. C’est un chantier stratégique et permanent qui va participer à la minimisation des conséquences du risque entrepreneurial, d’assurer davantage la sécurité juridique et d’améliorer notre classement dans le rapport Doing Business.

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