« Chiffre d‘affaires sous-estimé », « taux anormalement faibles », « valeurs anormalement élevées du « ratio charges d’exploitation/chiffre d’affaires », « résultats nets négatifs », ce sont les conclusions d’une enquête du Conseil de la concurrence sur les cliniques privées et établissements assimilés au Maroc. La lecture de ce document de 103 pages laisse dégager un constat sans appel : les cliniques privées déclarent des indicateurs financiers qui éveillent le soupçon. Selon les contrôles du fisc, les cliniques privées présentent des contributions fiscales relativement basses. En effet, à fin 2021, leurs contributions ne représentaient que 0,16% de l’impôt sur les sociétés, 0,36% de l’impôt sur le revenu et 0,003% de la TVA. Parallèlement, 49,6% des CP ont déclaré un résultat déficitaire en 2021.
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En 2019, le total des chiffres d’affaires déclarés pour les 83 cliniques disposant d’informations sur le CA (chiffre d’affaires) et la taille (capacité litière) s’établit à 1 171 555 004 dirhams. Celles-ci sont décomposées en 3 catégories de cliniques, en fonction de leur capacité litière : CI A (100 lits et plus), CI B (De 31 à 99 lits), CI C (30 lits et moins). Les trois premières cliniques privées, en termes de chiffre d’affaires, appartiennent au groupe Akdital.
Analyse selon les principaux indicateurs financiers
Les charges d’exploitation globales déclarées par les cliniques -toutes tailles
confondues- représentent un montant total de 1,14 milliards de dirhams, soit près
de 98% du chiffre d’affaires. Le ratio « charges d’exploitation / chiffre d’affaires » est
très élevé pour les 3 catégories de cliniques retenues. Il atteint presque 100% pour les cliniques de catégorie CI B et 91% pour celles de catégories CI C. Quant aux cliniques de catégorie CI A, les charges d’exploitation sont supérieures au chiffre d’affaires (ratio de 103,4%), générant ainsi un résultat net négatif de -14,8 millions de dirhams. Celui-ci s’explique par la situation particulière de la clinique verte en 2019 où les charges d’exploitation ont dépassé les 65 millions de dirhams. Ces valeurs anormalement élevées du ratio « charges d’exploitation / chiffre d’affaires » représentent une certaine incohérence dans les comptes déclarés. Cette situation peut s’expliquer par une surestimation des charges d’exploitation ou une sous-estimation des chiffres d’affaires déclarés par les cliniques.
Le principal poste des charges est celui des achats consommés et matériels, qui inclut notamment la pharmacie et les dispositifs médicaux. Ce poste représente près de 40% de l’ensemble des charges des cliniques CI A et CI B et 31% des cliniques CI C.
Les charges du personnel représentent 25,4% du total des charges. Ce ratio est stable dans le temps et pratiquement identique indépendamment de la taille de la clinique. Les charges du personnel n’incluent pas la rémunération et les honoraires des médecins. Celles-ci représentent habituellement entre 20 à 35% des charges d’exploitation totales selon la taille et la spécialité de la clinique. Les charges de personnel rapportées au chiffre d’affaires sont plus importantes dans la
catégorie CI A puisqu’elles représentent 29%, alors qu’elles ne sont que de 23 et 24% respectivement pour les catégories CI B et CI C. Il en est de même pour le poste des achats consommés, matériels et fournitures, qui représente plus de 42% du chiffre d’affaires des CI A et 39% des CI B, alors qu’il n’est que de 28% pour la catégorie CI C. Cela laisse supposer que compte tenu de la taille des établissements, les cliniques CI A et CI B ont relativement plus de charges (en se basant sur leur CA déclaré). Cependant, cette conclusion est biaisée si le chiffre d’affaires réel est bien plus important que celui déclaré.
Le résultat d’exploitation (REX) global déclaré est négatif pour les catégories CI A et CI B et représente respectivement -3% et -1 % du chiffre d’affaires, alors qu’il est positif pour les cliniques de catégories CI C et de l’ordre de 8% du CA déclaré. Ces faibles valeurs du REX sont une conséquence des valeurs anormalement élevées du ratio « charges d’exploitation/chiffre d’affaires ».
Les résultats nets des cliniques CI A et CI B sont négatifs, tandis que ceux des cliniques CI C totalisent 14,2 millions de dirhams (pour 49 cliniques retenues dans l’analyse), soit un taux de rentabilité (résultat net / chiffre d’affaires) de 3,8%. Ce taux de rentabilité est également très faible et s’explique par les faibles chiffres d’affaires déclarés comparativement aux charges d’exploitation.
L’excédent brut d’exploitation (EBE) mesure la rentabilité de l’activité économique des cliniques. Les montants des EBE sont positifs pour les 3 catégories de cliniques, avec respectivement 14,1 ; 24,3 et 37,9 millions de dirhams, soit des taux de marge brute d’exploitation (EBE/CA) respectifs de 5% pour les catégories de cliniques CI A et CI B et 10% pour les cliniques de type CI C. Ces taux sont anormalement faibles et trouvent certainement leur explication dans la sous-estimation des chiffres d’affaires évoquée ci-dessus.
Les montants des capacités d’autofinancement, permettant aux cliniques de financer leur développement sont relativement faibles pour les 3 types de cliniques (en moyenne 0,7 million de dirhams par clinique CI A, 0,27 million de dirhams par clinique CI B et 0,6 million de dirhams par clinique CI C). Ces montants sont anormalement bas et ne sont pas en cohérence avec les investissements de remplacement et de développement réalisés par les cliniques.
Analyse des indicateurs financiers par lit
Le chiffre d’affaires moyen déclaré annuel/lit des CP est de l’ordre de 0,49 million de
dirhams en 2019. Celui de la catégorie CI A est de 0,55 million de dirhams, de la catégorie CI B de 0,49 million de dirhams et de la catégorie CI C de 0,43 million de dirhams. Plus la taille de la CP (lits) est importante, plus le CA / lit est élevé.
Ces chiffres d’affaires déclarés pour les trois catégories de cliniques CI A, CI B et CI C semblent faibles, voire largement sous-estimés.
Évolution des indicateurs financiers
L’analyse de l’évolution des principaux indicateurs financiers, sur la période [2015, 2019], permet de relever les observations suivantes :
Le chiffre d’affaires déclaré des cliniques s’est inscrit en hausse, avec un taux de croissance annuel moyen (TCAM) de 30%, passant de 412 millions de dirhams en 2015 à 1,17 milliard de dirhams en 2019. Ceci s’explique d’une part par l’augmentation du nombre de cliniques privées entre 2015 et 2019 et par l’entrée sur le marché de cliniques privées de la catégorie A (plus de 100 lits). Cependant, cette augmentation est à relativiser comme le montre l’évolution du CA/lit sur la période qui a un TCAM de 7,5%, passant de 358000 dirhams
en 2015 à 478000 dirhams en 2019.
• Le montant des charges d’exploitation globales a également augmenté sur la même période passant de 381 millions de dirhams à 1,15 milliard de dirhams, pour les mêmes raisons précitées, avec un TCAM de 32.5%. Quand ces charges sont ramenées au nombre de lits, la charge d’exploitation/lit a augmenté à un TCAM de 4,3% (plus faible que celui du CA/lit).
• Concernant l’évolution des résultats d’exploitation, elle n’est pas stable à travers le temps. Les ratios « charges du personnel/CA » et « achats consommés et matériels/CA » sont stables dans le temps et se situent respectivement autour de 24% et 32%. Quant au ratio « charges personnel/lit », il est passé de 79000 dirhams en 2015 à 119000 dirhams en 2019, soit un TCAM de 10,6%. Cette évolution semble normale au regard du nombre de cliniques ayant été créées pendant cette période. Ce ratio pourrait se voir stabilisé, voire optimisé, par les
cliniques à terme.
• L’évolution des taux de marge brute d’exploitation (EBE/CA) sur la période [2015,2019] s’est inscrit en baisse, passant de 12,42% en 2015 à 6,60%. Ce constat semble contrintuitif pour un secteur en développement. L’explication de ces taux anormalement faibles se trouve certainement dans la sous-estimation des chiffres d’affaires déclarés. Quant à l’évolution des indicateurs financiers par lit, elle connaît des variations instables.
