
Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes,
Lors des deux précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises des exportateurs.
Les explications fournies par l’économiste nous ont permis de comprendre les modalités de fonctionnement de ces comptes : les opérations pouvant être enregistrées au crédit et au débit de ces comptes.
Ces modalités soulèvent bien entendu des questionnements concernant leur pertinence.
Ce sujet fera l’objet du présent entretien.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les comptes en devises exportateurs ?
Les dispositions de la règlementation des changes régissant lescomptes en devises des exportateurs soulèvent de multiples remarques.
Ces remarques concernent les opérations pouvant être enregistrées au crédit de ces comptes, ainsi que celles pouvant être enregistrées au débit desdits comptes.
Quelles sont vos remarques au sujet des opérations pouvant être enregistrées au crédit des comptes en devises des exportateurs ?
Les opérations pouvant être enregistrées au crédit des comptes en devises des exportateurs soulèvent plusieurs remarques.
Ces remarques concernent en premier lieu la quotité maximum de 70% des recettes d’exportation , quotité qui peut atteindre 85% pour les sociétés relevant du secteur des industries aéronautiques et spatiales.
Cette quotité doit à mon avis être augmentée à 100%.
Est-ce que cette décision ne risque-t-elle d’impacter négativement les réserves de change ?
Les comptes en devises ouverts au nom des exportateurs auprès des banques marocaines sont par construction neutres sur le plan « devises » : ils n’ont aucun impact sur les réserves de change du Maroc.
Qu’est- ce que vous entendez par le vocable « par construction » ?
Le vocable « par construction » symbolise l’idée que les comptes en devises des exportateurs n’accordent aucun avantage majeur aux exportateurs en matière de régime de convertibilité du dirham.
En effet, les opérations pouvant enregistrées au débit de ces comptes sont généralement les opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes.
Par conséquent l’alimentation des comptes en devises des exportateurs par des devises n’engendre aucune augmentation des dépenses potentielles en devises du Maroc.
Cela a pour implication que ces comptes n’ont aucun impact sur les réserves de change du Maroc.
Mais les devises logées dans des comptes en devises des exportateurs sont des devises en moins sur le marché des changes, n’est-ce pas ?
Les devises logées dans les comptes détenus par les exportateurs auprès des banques marocaines sont des devises confiées par des entités résidentes (les exportateurs marocains) à des entités résidentes (les banques marocaines).
Par conséquent ces devises restent dans le marché des changes marocain.
Pour mieux illustrer cela, prenons le cas irréaliste où les exportateurs décident collectivement de loger toutes leurs recettes dans des comptes en devises ouverts auprès des banques marocaines.
Dans ce cas de figure, les banques marocaines auront le choix entre les trois décisions suivantes :
– Garder ces devises , dans le cas où leur volume global est inférieur à leurs positions de change ;
-Prêter ces devises à d’autres banques ou à des opérateurs économiques dans le cas leur volume global dépassent leurs positions de change ;
– Céder ces devises à Bank Al Maghrib , dans le cas leur volume global dépassent leurs positions de change.
En définitive, les devises restent sur le marché des changes marocain.
Vous qualifiez ci-dessus « d’irréaliste » la décision éventuelle des exportateurs de maintien de la totalité de leurs recettes dans des comptes en devises, pourquoi ?
Comme je l’ai suffisamment expliqué lors de la quatre-vingt seizième partie de notre entretien, les exportateurs sont obligés de céder sur le marché des changes une grande partie de leurs recettes en devises, et ce, en raison de contraintes économiques pures.
En effet, les exportateurs de biens sont des opérateurs économiques qui mobilisent des ressources économiques dans l’objectif de produire des biens économiques.
Ces ressources représentent en moyenne environ 90% de la valeur des biens produits.
Cette contrainte a pour conséquence que le montant « potentiellement non cessible sur le marché des changes » s’établit en moyenne à 10% de la valeur des exportations.
Quant aux 90% restant, ils seront converties en définitive pour partie en dirhams et pour partie en devises.
La partie convertie en dirhams sert à payer les dépenses en dirhams inhérentes à l’activité des exportateurs : charges du personnel, biens intermédiaires achetés sur le marché intérieur, frais financiers, etc.
Quant à la partie convertie en devises, elle sert à payer les dépenses en devises inhérentes à l’activité des exportateurs : opérations d’importation de biens et de services, etc.
Ces arguments sont confirmés en pratique par le très faible recours des exportateurs aux comptes en devises.
Vous dites ci-dessus que les opérations pouvant être enregistrées au crédit des comptes en devises des exportateurs soulèvent plusieurs remarques. Vous en avez cité une , avez-vous d’autres remarques ?
Effectivement, j’ai deux autres remarques concernant les opérations relatives aux voyages d’affaires.
En effet, le régime des comptes en devises des exportateurs permet à ces derniers d’enregistrer au crédit de leurs comptes ouverts auprès des banques marocaines les deux opérations suivantes :
-Versement des devises billets de banque prélevées et non utilisées suite à l’annulation de voyages professionnels, dans un délai de 30 jours à compter de la date de prélèvement des devises et ce, sur présentation du passeport justifiant que le bénéficiaire de la dotation n’a pas quitté le territoire national ;
-Versement du reliquat des devises billets de banque prélevées et non utilisées au titre de voyages professionnels réalisés, dans un délai de 30 jours à compter de la date d’entrée sur le territoire national.
Ces deux opérations n’auront plus de raison d’être , suite à la réforme du régime des voyages d’affaires, proposée dans la quarante quatrième partie de notre entretien.
Cette réforme consiste pour rappel à mettre en place un cadre libéral en matière d’opérations relatives aux voyages d’affaires.
Ce cadre consisterait à permettre aux personnes morales résidentes ( exportateurs ou autres) d’effectuer les paiements en devises , quel que soit leur montant , pour la réalisation d’opérations de voyages, et ce,sur présentation d’un document justifiant « l’effectivité présumée » du voyage, à savoir :
-La facture (réservation d’hôtel, etc.) , pour les paiements au titre des dépenses de voyages effectuées par virement bancaire ;
– Tout document délivré par l’entité dont relève la personne effectuant le voyage (ordre de mission, etc.) précisant l’objet et les frais liés au voyage , pour les paiements au titre des dépenses de voyages effectuées en billets de banque ou par carte de paiement internationale.
Ainsi, l’adoption de cette réforme aura pour implication que les dépenses en devises éventuelles des exportateurs destinées à la réalisation d’opérations de voyages d’affaires ne seront plus conditionnées par leurs recettes en devises.
Par conséquent ces deux opérations devront naturellement être supprimées.
C’est clair avez-vous d’autres remarques au sujet des opérations pouvant être enregistrées au crédit des comptes en devises des exportateurs ?
Oui en effet, je pense que d’autres opérations doivent également être supprimées, notamment :
-Les montants au titre du paiement du crédit acheteur accordé par une banque marocaine ;
– Les montants au titre de remboursements en principal du crédit fournisseurs ;
– Les montants au titre de devises rapatriées et cédées sur le marché des changes dans un délai maximum d’un an à compter de la date de ladite cession ;
– Les montants initialement débités du compte au titre d’annulation de règlements en partie ou en totalité ;
-Les montants précédemment prélevés pour couvrir des dépenses au Maroc, et ce, dans un délai maximum d’une année à compter de la date de leurs prélèvements.
Cette suppression doit être remplacée par une disposition autorisant les exportateurs à créditer ces comptes des montants au titre des achats de devises sur le marché des changes.
Cette disposition se justifie par le fait que l’opération d’alimentation de comptes en devises des exportateurs n’a aucun impact sur les réserves de change.
Par conséquent, il serait judicieux pour des raisons de simplification d’adopter la proposition suggérée ci-dessus.
En définitive, les propositions suggérées ci-dessus doivent aboutir à un schéma règlementaire dans lequel les exportateurs sont autorisés à créditer leurs comptes bancaires en devises comme suit :
– 100%, au maximum, des recettes d’exportation rapatriées par virement ou par importation de billets de banque effectuée conformément aux dispositions de la règlementation des changes ;
-Les montants au titre des achats de devises sur le marché des changes ;
– Les sommes provenant d’un autre compte en devises ou en dirhams convertibles ouvert au nom du même exportateur ;
-Les intérêts sur les dépôts à vue.