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Santé des dirigeants: Entretien avec Olivier TORRES

C’est la première fois que le normalien Olivier TORRES, professeur à l’Université de Montpellier et MBS, donnera une conférence au Maroc, prévue à Marrakech le jeudi 26 mai 2022. A l’issue de sa conférence, il dédicacera son dernier ouvrage : « La santé des dirigeants – de la souffrance patronale à l’entrepreneuriat salutaire » paru aux éditions De Boeck (avril 2022). Libre Entreprise Magazine lui avait posé trois questions pour essayer de comprendre à quel point la santé du dirigeant est le premier capital immatériel d’une PME.

LE : La santé du dirigeant est un sujet très important pour la vie d’une entreprise. Mais que savons-nous au sujet de leur santé ?

O.T : Quand un dirigeant d’un grand groupe disparait, il peut être remplacé en 48h.  Ce fut le cas avec le groupe français TOTAL. De même, quand Steve Jobs est mort, l’action Apple a perdu moins de 1%. Idem avec le groupe français Michelin. ‘Too Big to fail’, disent les anglo-saxons. Trop grand pour faillir.

A l’inverse, dans une PME ou TPE, quand un dirigeant meurt, c’est immédiatement un risque de liquidation.

Avec ces exemples simples, il est facile de comprendre que plus la taille d’une entreprise est petite, plus la santé du dirigeant est le premier capital immatériel de la PME. C’est pour cela que la santé des entrepreneurs est un sujet capital !

Mais ce qui est surprenant, c’est que nous avons très peu de données sur leur état de santé. La raison vient du fait que les dirigeants disent toujours : « j’ai pas le temps d’être malade ! ». Ils ont tendance à s’oublier au profit de leur entreprise.

Avez-vous mesuré l’impact de l’évolution de la santé au travail sur la compétitivité d’une entreprise ? Si oui, quelles en sont les conclusions ?

J’ai dirigé la thèse de Florence Guiliani, aujourd’hui professeur à l’Université de Sherbrooke au Québec (Canada). Son travail doctoral qui a eu le prix de la meilleure thèse en entrepreneuriat en 2017 en France établie deux faits majeurs et à mon avis trop méconnue du grand public.

Tout d’abord, les chefs d’entreprise rognent leur temps de sommeil. On a pu montrer avec l’Observatoire Amarok en France que les dirigeants dorment en moyenne 6h20mn par nuit contre 6h50mn pour le français moyen. Les dirigeants font de leur sommeil une variable d’ajustement de leur travail. Et cela engendre une fatigue chronique qui finit par être épuisante.

Le deuxième résultat de sa thèse (accessible sur le site de l’Observatoire Amarok), c’est qu’un dirigeant fatigué finit par être plus agressif, moins anticipatif, moins créatif, trois éléments qui entachent la compétitivité de la PME.

C’est la raison pour laquelle aujourd’hui Amarok travaille sur les stratégies de récupération des entrepreneurs, seule condition pour mettre en place un entrepreneuriat durable.

Le stress rythme la vie des affaires au Maroc. Vos recommandations pour les patrons de PME et TPE pour garder le moral et rester en bonne santé?

Le stress est co-substantiel à la vie des affaires et il est négatif. Une vieille théorie tend à dire qu’il y a aurait un bon stress et un mauvais stress. L’idée d’un « bon stress » est totalement fausse car les innombrables études épidémiologiques montrent que plus le stress est fort et surtout récurrent, plus il finit par user l’organisme et la santé.

En revanche, comme je le dirai à la conférence du 26 mai à l’Université de Cadi Ayyad, il existe deux types de stress : le stress choisi (‘challenge stressor’) et le stress subi (‘hindrance stressor’). Certes les deux types de stress ont certes un impact négatif sur la santé mais le stress choisi de manière amoindrie comparativement au stress subi qui est très délétère. Pourquoi ? Parce que le stress choisi génère de la satisfaction au travail, à l’inverse du stress subi qui détériore la satisfaction au travail et la santé.

Avec l’Observatoire AMAROK, nous avons mis en évidence que le stress des entrepreneurs était davantage choisi que subi. C’est ce qui leur permet de durer.

Qui est Olivier TORRES ?

Cet économiste des PME a créé en 2009 le premier Observatoire sur la santé des dirigeants de PME, TPE et travailleurs indépendants. Après avoir créé la chaire sur la santé des entrepreneurs au sein du LABEX Entreprendre, il a dirigé une dizaine de thèses sur ce sujet jusqu’alors méconnu des spécialistes de management et de santé au travail. Parmi les sujets que ses doctorants ont traités, on relève des sujets aussi variés que le sommeil, la nutrition, la gestion du stress, le rebond entrepreneurial, l’épuisement professionnel (burnout) et le risque suicidaire. A ce jour, il a réalisé plus de 700 conférences en France et à l’étranger (Belgique, Canada, Japon, Pays-Bas, Suisse…).

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