Les Enjeux de la nouvelle position espagnole sur la question du Sahara marocain
- Azzedine GHOUFRANE
- Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques,
- Economiques et Sociales – Souissi
- Université Mohammed V Rabat
La lettre adressée par le président du gouvernement espagnol à Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 18 mars 2022 et relative à la nouvelle position de son pays sur la question du Sahara marocain, n’a pas seulement mis fin à une crise diplomatique qui a duré près d’un an entre Rabat et Madrid suite à l’hospitalisation en Espagne du chef du Polisario sous une fausse identité ; elle constitue surtout un tournant historique dans l’approche espagnole de cette question et une rupture par rapport au passé car elle met fin à » la neutralité » que Madrid avait jusque-là affiché. D’une part, l’Espagne considère dans cette lettre « l’initiative marocaine d’autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend » et salue les efforts du Maroc dans le cadre des Nations Unies « pour trouver une solution mutuellement acceptable ». D’autre part, elle reconnaît « l’importance de la question du Sahara pour le Maroc ».
Le revirement espagnol sur la question du Sahara marocain, qui consacre la prééminence de l’initiative d’autonomie de la région du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine présentée par le Maroc à l’ONU le 11 avril 2007, peut être considéré comme une reconnaissance de facto de la marocanité du Sahara par l’ancienne puissance coloniale. C’est aussi un changement réaliste et pragmatique qui s’inscrit dans une dynamique internationale favorable à la consolidation des acquis réalisés par la diplomatie royale dans le dossier du Sahara. Parmi ces acquis, il convient de rappeler les plus saillants : importance accordée par le Conseil de sécurité depuis 2007 dans ses résolutions à une solution politique mutuellement acceptable et désintérêt pour les solutions obsolètes ; soutien du nouveau gouvernement allemand à l’initiative d’autonomie de la région du Sahara ; ouverture de consulats dans les provinces du sud ; reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis. D’ailleurs, ce changement a été salué aussi bien par les Etats-Unis que par l’Union européenne. Cette dernière l’a considéré « comme bénéfique pour la mise en œuvre du partenariat euro-marocain dans son ensemble ».
En rapport toujours avec cette dynamique internationale favorable au Maroc, on peut mentionner qu’avant la correction de la position espagnole sur le Sahara le Conseil de sécurité a adopté le 29 octobre 2021 la résolution 2602 qui conforte les acquis marocains en « se félicitant des efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc pour aller de l’avant vers un règlement » basé sur le réalisme et l’esprit de compromis. Cette résolution saluée par le ministre marocain des affaires étrangères, de la coopération africaine et des marocains résidant à l’étranger, a été dénoncée par l’Algérie et le Polisario en raison, selon leurs prétentions, de son caractère « partial » et « déséquilibré ».
La nouvelle position espagnole sur la question du Sahara peut être expliquée par plusieurs facteurs et enjeux. Outre le poids de l’histoire et de la géographie dans la détermination de la politique étrangère et l’explication du comportement des individus et des communautés, cette position a des soubassements et des enjeux géopolitiques et géoéconomiques. Tout d’abord, l’affirmation du leadership régional du Maroc, son déploiement à l’échelle africaine ainsi que sa stabilité dans un contexte international instable et incertain ont renforcé sa position de négociation face à l’Allemagne et l’Espagne.
Cela est d’autant plus vrai que le positionnement stratégique du Maroc comme « point d’entrée vers l’Afrique » le prédispose à jouer un rôle pionnier dans les rapports euro-africains et dans le processus d’intégration régionale dans le cadre de la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (la ZLECAF). Ensuite, il y a le souci du partenaire espagnol quant à la préservation de ses intérêts stratégiques, sécuritaires et économiques. Comme l’a affirmé dans cette perspective l’ancien chef de gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero « il s’agit d’une position [la nouvelle position sur la question du Sahara] qui est dans l’intérêt de l’Espagne, de sa sécurité, de sa politique intérieure et de sa stabilité ».
En adoptant une nouvelle grille de lecture stratégique de l’évolution de la question du Sahara, l’Espagne s’est comportée comme un acteur rationnel privilégiant enfin la préservation de ses intérêts nationaux. L’importance stratégique de la coopération avec le Maroc a été mise en relief dans ce contexte par le Ministre espagnol des affaires étrangères qui a assuré que « la relation avec notre voisin du Sud est fondamentale en termes de gestion des flux migratoires, de sécurité et de lutte contre le terrorisme ». Outre les enjeux stratégiques et sécuritaires de la nouvelle position espagnole sur la question du Sahara, il convient de mettre dans la balance également les intérêts économiques de l’Espagne au Maroc en termes d’échanges commerciaux, d’investissements et de pêche.
A cet égard, le Maroc constitue la première destination pour les investissements espagnols en Afrique (il accueille environ 1500 entreprises à capitaux espagnols) et l’Espagne est devenu le premier partenaire commercial du Maroc (premier fournisseur et premier client). En matière de pêche, la grande majorité des navires européens qui pêchent sur les côtes du Sahara marocain sont espagnols. En outre, le Maroc occupe une place centrale dans la stratégie commerciale et financière pour l’Afrique – Horizonte Africa – mise en place par le gouvernement espagnol en 2020. Cette stratégie devait selon ce gouvernement « renforcer le rôle du Maroc de hub espagnol pour le continent africain ».
En bref, la densité des intérêts de l’Espagne avec le Maroc et les défis communs auxquels se trouvent confrontés les deux pays en raison de la proximité géographique ont renforcé le positionnement stratégique du Maroc dans son environnement régional tant méditerranéen qu’atlantique et favorisé l’évolution de la position espagnole sur la question du Sahara marocain. Ce nouveau positionnement de l’Espagne aura des retombées positives au niveau international sur la reconnaissance de la légitimité des droits historiques du Maroc dans ses provinces du Sud car il concerne l’ancienne puissance coloniale qui a longtemps contrarié le parachèvement de l’intégrité territoriale du Maroc et soutient maintenant la proposition d’autonomie de la région du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine.
En tant que membre du Groupe des Amis du Sahara au sein de l’ONU – qui prépare les résolutions soumises au vote du Conseil de sécurité et relatives au renouvellement du mandat du MINURSO – et de l’Union européenne, l’Espagne peut influencer les décisions qui seront prises dans ces enceintes dans un sens favorable à l’argumentaire de la diplomatie du Maroc. L’Espagne devrait renforcer aussi la position du Maroc sur ses provinces du Sud dans son aire d’influence politique et culturel à savoir l’Amérique Latine.
En définitive, dans un contexte international et régional instable et complexe marqué par la montée des tensions géopolitiques (guerre entre la Russie et l’Ukraine, objectif de reconquête de Taiwan par la Chine, enjeux du dossier nucléaire iranien, défis sécuritaires dans l’espace sahélo-saharien,…..), la diplomatie bilatérale maroco-espagnole redonne l’espoir de régler pacifiquement les différends par voie de négociation.
Malgré l’existence d’intérêts divergents, les deux pays ont un destin stratégique partagé qui, en raison de l’histoire et la géographie, impose une contribution positive de la part de l’Espagne dans la résolution du différend sur le Sahara marocain qui a trop duré et l’édification de nouvelles relations à la hauteur du XXIe siècle et de ses défis ; relations basées sur le co-développement, la transparence et le respect mutuel des engagements. A cet effet, la lettre adressée par le président du gouvernement espagnol au souverain marocain a suscité au Maroc un accueil favorable au lancement d’une nouvelle étape de coopération bilatérale dans tous les domaines et au règlement des divergences par le dialogue et la négociation.